26/05/2023
Marie de Quatrebarbes, Vanités
Un monde vit sous ce monde, dedans, dessus, invisible& dans l’air, mêlé à nos liquides, circule en nous, inaperçu
Tout existe à l’état mélangé & caché, dispersé en mille particules, sous la terre, peu importe dans quelle région de l’univers où tu te situes
Coquillage, génération dorée des paons, insecte géant qu’on appelle cerf-volant, parfum de myrrhe, saveur de vanille, débris blancs, coques, antennes, proues, nymphes, expression d’une multitude imbriquée
Choses nombreuses & qui errent, rebondissant sans fond à travers le vide, agitées d’accords & de désaccords, changent de route, en tous sens.
Marie de Quatrebarbes, Vanités, Éric Pesty éditeur, 2023, np.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES, Quatrebarbes Marie (de) | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : marie e quatrebarbes, vanités, mélange, dispersion, contraires | Facebook |
02/05/2017
André Frénaud, HÆRES
Les expressions de la physionomie
Celui qui sans raison prétend au sacrifice,
celui dont les dons ne valent plus,
celui qui s’entête, celui qui écourte,
celui qui fait la roue — qui fait semblant —
celui qui s’est détourné, qui est là encore
quand il sourit sans plus récriminer,
celui qui s’encourage par des billevesées
à défaut de mieux,
celui qui hurle parce qu’il ne sait plus dire,
celui dont le cri s’est étranglé,
celui qui s’entrouvrait à la rumeur
qu’il n’entend plus,
celui-ci, le même,
sous différents jeux de physionomie,
dans la bonne direction décidément,
et qui atermoie, qui atermoie,
conserve-t-il de la bonté, je le voudrais.
André Frénaud, HÆRES, Gallimard, 1982, p. 253.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES, Frénaud André | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : andré frénaud, hÆres, expressions de la physionomie, unité, dispersion | Facebook |
03/11/2014
Norma Cole, Avis de faits et de méfaits, traduit par Jean Daive : recension
Jean Daive (que Norma Cole a traduit en anglais) a choisi des poèmes dans deux recueils publiés en 2009 aux États-Unis, 38 dans 14000 facts et 23 More facts, auxquels s'ajoute en ouverture un poème en mémoire de Derrida. Dans sa présentation, il définit ces faits comme des « bris et débris, somme implosée d'une existence en son commencement » ; c'est dire le caractère disparate des énoncés : dans ces poèmes courts de trois (parfois quatre) strophes, chacune le plus souvent entre deux et quatre vers, le monde apparaît en effet souvent comme un ensemble d'éléments sans aucun lien les uns avec les autres.
Le lecteur avance dans le livre en passant d'un contenu à l'autre, du "nous" au "je", avec des changements incessants d'éclairage, et il connaît dans quelques poèmes une difficulté à comprendre comment associer les éléments des vers, ou plutôt il s'aperçoit que plusieurs solutions sont possibles et qu'elles sont à accepter ensemble ; dans « éclats de pensée / alignés // petits navire / ils s'illuminent », "alignés" qualifie aussi bien "éclats" que "navires", et le statut de "ils" est également ambigu, le pronom renvoyant à "navires" ou à "éclats". Ailleurs, il est impossible de lier deux vers successifs qui renvoient à des réalités éloignées, comme dans la suite « ombres gris foncé» / met-il des jambières ». Ici et là, le lien entre deux vers pourrait être fait, mais l'absence de contexte conduit à les délier et à lire des faits isolés : « N'attends pas que je dise autre chose / Terre brûlée ingrate ». À côté de ces passages brutaux, des vers sont inachevés, suspendus, comme si le fait n'avait pu être saisi entièrement ou qu'un autre avait pris plus d'importance et avait supplanté sa perception. Le trouble est entier quand ce qui est dit — ce qui est dit est un fait — n'est pas interprété correctement, que "il" comprend A au lieu de B.
"Il" ? Quels personnages apparaissent dans l'accumulation des notations ? Dans la plupart des poèmes, les faits sont donnés sans être pris en charge, mais dans une partie d'entre eux un "je" et un ""tu" sont introduits, un "nous" livre une donnée personnelle (« Nous avons / toujours été // un village / baleinier ») : autres faits que ces discours rapportés, bribes arrachées au flot des paroles. La présence d'allusions à des poètes (Éluard, avec « terre bleue ») et à des personnages de la mythologie gréco-latine (Hermès, Vénus) élargit le champ du monde et renvoie aussi au passé — « Vénus, une tranche / de temps / au-delà des mots ».
Le rassemblement de faits, leur accumulation ne font pas que tenter de restituer quelque chose des cahots de la vie, de donner ainsi un sens à des milliers d'éléments disjoints : ils interrogent la manière de vivre le temps. Après l'observation d'oiseaux qui se déplacent dans un arbre, vient la question « [...] quand / commence / le passé ? » et un essai de réponse, « quelque chose // en suspens / qui fut / est loin ». Reste une inconnue, comment aller du passé au présent ? pas de continuité, seulement une divagation continue, une absence de narrativité : réunir des faits, quels qu'ils soient, ne pas se soucier de les ordonner, livrer un « récit infini » ; Il y a toujours la possibilité de dire alors même que l'on vit le monde comme défait, « Les limites de la / langue ne sont pas / les limites de ce / monde dévasté ». Et l'écriture impose une unité, toujours fragile sans doute, mais réelle ; à côté de la récurrence du verbe "tuer" et de faits tragiques s'imposent d'autres notations relatives à la musique et à la lumière (« illuminer », « étoiles », « source lumineuse », etc.).
Norma Cole, Avis de faits et de méfaits, présenté et traduit par Jean Daive, Corti, 2014, 152 p., 17 €.
Recension publiée sur Sitaudis le 28 octobre 2014.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : norma cole, avis de faits et de méfaits, traduit par jean daive, monde, dispersion, temps, passé | Facebook |
24/04/2013
Pierre Chappuis, À portée de la voix
Avril, embellie
Clarté, soudain de partout rayonne une même clarté.
Elle se laisse emporter à regret, dirait-on, glisse, alanguie, joueuse, enjouée, s'attarde à des embrassades, éprise d'elle-même, disperse ses reflets aussitôt rassemblés que fractionnés ; bientôt se lance à corps perdu dans des rapides, rejaillit de ruade en ruade, impatiente de s'envoyer en l'air.
Ou encore : frondaison de gouttelettes en suspension au-dessous d'une large verrière prenant tout le toit, à l'instant dégagé de son vélum.
*
Cortège d'automne
Entre des rives jonchées de confetti et autres cotillons, sans bruit, quels esquifs légers, on dirait aériens défileraient, portant couleur, chacun à son allure ?
En réalité, se pressant en foule, se bousculant pour se mettre en place, tout juste s'ils ne chavirent pas.
Un instant pris dans des tourbillons, défaits, dispersés, soudain sans éclat, plus loin de nouveau s'égaient dans le courant apaisé.
Pierre Chappuis, À portée de la voix, José Corti, 2002, p. 21, 48.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : pierre chappuis, À portée de la voix, avril, automne, embellie, dispersion, clarté | Facebook |