Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

21/04/2017

Giacomo Leopardi, Poèmes et fragments

 Leopardi.JPG

À soi-même

 

Or à jamais tu dormiras,

cœur harassé. Or est le dernier mirage,

que je crus éternel. Mort. Et je sens bien

qu’en nous des chères illusions

non seul l’espoir, le désir est éteint.

Dors à jamais Tu as

assez battu. Nulle chose ne vaut

que tu palpites, et de soupirs est indigne

la terre. Amertume et ennui,

non, rien d’autre, la vie ; le monde n’est que bosse.

Or calme-toi. Désespère

un dernier coup. À notre genre le Sort

n’a donné que le mourir. Méprise désormais

toi-même, la nature, et la puissance

brute inconnue qui commande au mal commun,

et l’infinie vanité du Tout.

 

Giacomo Leopardi, Poèmes et fragments, traduction

de Michel Orcel, La Dogana, 1987, p. 123.

 

22/11/2015

Pierre Reverdy, Sable mouvant

                        reverdy150x200.jpg

                                 Le bonheur des mots

 

   Je n’attendais plus rien quand tout est revenu, la fraîcheur des réponses, les anges du cortège, les ombres du passé, les ponts de l’avenir, surtout la joie de voir se tendre la distance. J’aurais toujours voulu aller plus loin, plus haut et plus profond et me défaire du filet qui m’emprisonnait dans ses mailles. Mais quoi, au bout de tous mes mouvements, le temps me ramenait toujours devant la même porte. Sous les feuilles de la forêt, sous les gouttières de la ville, dans les mirages du désert ou dans la campagne immobile, toujours cette porte fermée – ce portrait d’homme au masque moulé sur la mort, l’impasse de toute entreprise. C’est alors que s’est élevé le chant magique dans les méandres des allées.

   Les hommes parlent. Les hommes se sont mis à parler et le bonheur s’épanouit à l’aisselle de chaque feuille, au creux de chaque main pleine de dons et d’espérance folle. Si ces hommes parlent d’amour, sur la face du ciel on doit apercevoir des mouvements de traits qui ressemblent à un sourire.

   Les chaises sont tombées, tout est clair, tout est blanc — les nuits lourdes sont soulevées de souffles embaumés, balayées par d’immenses vagues de lumières.

   L’avenir est plus près, plus souple, plus tentant.

   Et sur le boulevard qui le lie au présent, un long, un lourd collier de cœurs ardents comme ces fruits de peur qui balisent la nuit à la cime des lampadaires.

 

Pierre Reverdy, Sable Mouvant : Au soleil du plafond, La Liberté des mers, suivi de Cette émotion appelée poésie, édition d’Étienne-Alain Hubert, Poésie / Gallimard, 2003, p. 51-52.