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12/02/2023

Paul Claudel, Connaissance de l’Est, suivi de L’Oiseau noir dans le soleil levant

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                           HAÏ-KAÏ

La nuit du 1er septembre 1923 entre Tokyo et Yokohama

 

À ma droite et à ma gauche il y a une ville qui brûle mais la Lune entre les nuages est comme sept femmes blanches.

La tête nue sur un rail mon corps est mêlé au corps de la terre qui frémit. J’écoute la dernière cigale.

Sur la mer sept syllabes de lumière une seule goutte de lait.

 

Paul Claudel, Connaissance de l’Est, suivi de L’Oiseau noir dans le soleil levant, Poésie/Gallimard, 1974, p. 198.

11/02/2023

Paul Claudel, Connaissance de l’Est, suivi de L’Oiseau noir dans le soleil levant

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                                    La maison suspendue

 

Par un escalier souterrain je descends dans la maison suspendue
 de même que l’hirondelle, entre l’ais et le chevron maçonne l’abri de sa patience et que la mouette colle au roc son nid comme un panier, par un système de crampons et de tirants et de poutres enfoncées dans la pierre, la caisse de bois que j’habite est solidement attachée à la voûte d’un porche énorme creusé à même la montagne. Une trappe ménagée dans le plancher de la pièce inférieure m’offre des commodités ; par là, tous les deux jours, laissant filer mon corbillon au bout d’une corde, je le ramène pourvu d’un peu de riz, de pistaches grillées et de légumes confits dans la saumure.

 

Paul Claudel, Connaissance de l’Est, suivi de L’Oiseau noir dans le soleil levant, Poésie/Gallimard, 1974, p. 123-124.

04/02/2021

Paul Claudel, Lettres à Ysé

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Légation de France au Brésil

Rio de Janeiro, 4 août 1917

 

(...) Chère R. il est parfaitement vrai que pendant plusieurs mois j’ai été complètement fou, mais je sais aussi qu’aucune femme au monde n’a été /aimée/ par un homme comme vous l’avez été par moi. Ce sentiment ne s’est jamais éteint dans mon cœur, vous êtes la seule femme que j’aie jamais aimée, celle vers qui mes pensées et mes rêves ne cessent de revenir, et il me semble que rien et la mort elle-même ne pourra jamais étouffer le mouvement profond, impétueux, irrésistible, qui entraînait mon être vers le vôtre. Dans mes pires heures de torture, je n’ai jamais eu qu’une seule et véritable souffrance, c’était la pensée que vous aviez cessé de m’aimer. Cette idée me perçait le cœur et elle était à peine soutenable pour moi.

 

Paul Claudel, Lettres à Ysé, Gallimard, 2017, p. 112-113.

18/07/2020

Paul Claudel, Connaissance de l'Est

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                                           La pluie

Par les deux fenêtres qui sont en face de moi, deux fenêtres qui sont à ma gauche, et les deux fenêtres qui sont à ma droite, je vois, j’entends d’une oreille et de l’autre tomber intensément la pluie. Je pense qu’il est un quart d’heure après midi ; autour de moi, tout est lumière et eau. Je porte ma plume à l’encrier, et, jouissant de la sécurité de mon emprisonnement intérieur, aquatique, tel qu’un insecte dans le milieu d’une bulle d’air, j’écris ce poème.

Ce n’est point de la bruine qi tombe, ce n’est point une pluie languissante et douteuse. La nue attrape de près la terre et descend sur elle serré et bourru, d’une attaque puissante et profonde. Qu’il fait frais, grenouilles, à oublier, dans l’épaisseur de l’herbe mouillée, la mare ! Il n’est point à craindre que la pluie cesse ; cela est copieux, cela est satisfaisant.

Paul Claudel, Connaissance de l’Est (1929), Poésie / Gallimard, 1974, p. 82.

18/12/2019

Paul Claudel, L'Oiseau noir dans le soleil levant

 

                                    Deux bambous verts

 

Sur une longue bande de papier Seiki a peint deux bambous parallèles de diamètres différents, pas de feuilles, rien que les deux tuyaux d’un vert égal en commençant par les racines. Deux cannes, on dirait : est-ce un sujet pour un peinte ? Mais que les deux tuyaux n’aient pas la même grosseur, est-ce que l’œil ne s’en aperçoit pas aussitôt et ce qui nourrit en nous le sens de la proportion ? Aussi ne vois-tu pas que les jointures très rapprochées près de la racine s’écartent ensuite à des distances calculées qui ne sont pas sur les deux tiges les mêmes ? Et de cette double comparaison ne jaillit-il pas pour l’esprit à la fois une harmonie et une mélodie comme des nœuds d’une double flûte ? l’œil ne se lasse pas de vérifier que la proportion est ce nombre qui n’est capable d’être représenté par aucun chiffre.

 

Paul Claudel, L’Oiseau noir dans le soleil levant, à la suite de Connaissance de l’Est, Poésie/Gallimard, 1974, p. 247.

Paul Claudel, L'Oiseau noir dans le soleil levant

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                                    Deux bambous verts

 

Sur une longue bande de papier Seiki a peint deux bambous parallèles de diamètres différents, pas de feuilles, rien que les deux tuyaux d’un vert égal en commençant par les racines. Deux cannes, on dirait : est-ce un sujet pour un peinte ? Mais que les deux tuyaux n’aient pas la même grosseur, est-ce que l’œil ne s’en aperçoit pas aussitôt et ce qui nourrit en nous le sens de la proportion ? Aussi ne vois-tu pas que les jointures très rapprochées près de la racine s’écartent ensuite à des distances calculées qui ne sont pas sur les deux tiges les mêmes ? Et de cette double comparaison ne jaillit-il pas pour l’esprit à la fois une harmonie et une mélodie comme des nœuds d’une double flûte ? l’œil ne se lasse pas de vérifier que la proportion est ce nombre qui n’est capable d’être représenté par aucun chiffre.

 

Paul Claudel, L’Oiseau noir dans le soleil levant, à la suite de Connaissance de l’Est, Poésie/Gallimard, 1974, p. 247.

30/07/2019

Paul Claudel, Vézelay

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                                                Vézelay

(…)

Il n’y a qu’à lever la tête pour devenir conscient de tout un peuple qui, au sommet de chaque colonne, se livre à l’occupation mystique. Sur deux étages se superposent et se prolongent les rangées de ces canéphores barbares, qui, au lieu d’acanthes et de la gerbe éleusienne, supportent, sur les quatre faces de cette coiffure que leur fait le chapiteau un trophée confus d’événements. Toute l’Histoire sainte s’y mêle au rêve, à la légende et à cette liturgie campagnarde qu’on pourrait appeler le Propre du Temps. Des quatre côtés, sous le poids du sens inclus, cela se penche et se déverse sur nous. On fauche, on presse la vendange, on dort, on fait de la musique, on ramasse les grappes et les essaims, Adam et Ève voisinent avec la punition de l’avare et du calomniateur, les Israélites adorent le Veau d’or, Absalon s’accroche par les cheveux à son chêne, le cor de saint Eustache répond à celui de saint Hubert, et le son en parvient jusqu’à nous, mêlé à celui incessant du mailler qui tape sur le ciseau. Car tout cela est sorti prodigieusement du même atelier, de la même imagination et de la même piété. (…)

 

Paul Claudel, Vézelay, dans Œuvres en prose, Pléiade / Gallimard, 1965, p. 319.

07/06/2019

Paul Claudel, Dodoitzu

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Ma figure dans le puits

 

Ma figure dans le puits

Pas moyen que je me l’ôte

Ma figure dans le puits

Pas moyen que je me l’ôte

Et que j’en mette une autre

Et si l’on me trouve jolie

Tant pis ! C’est pas ma faute !

 

                                    Her face in the well

 

                                    My face in the well

                                    I cannot take it out

                                    My face in the well

                                    I cannot take it off

                                   And if you think I’m pretty     

                                   It’s really not ma fault !

 

 

Le crapaud

Quand j’entends dans l’eau

Chanter le crapaud

Des choses passées

J’ai le cœur mouillé !

 

                                           Nightingale and toad

 

                                           When I hear in the cool

                                           Gold of the moonlight pool

                                           The nightingale singing,

                                           It is my heart ringing.

 

 Paul Claudel, Dodoitzu, peintures de Rihakou Harada, Gallimard, 1945, non paginé.

14/02/2019

Paul Claudel, Positions et propositions

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         On ne pense pas d’une manière continue, pas davantage qu’on ne sent d’une manière continue. (…) Notre appareil à penser en état de chargement ne débite pas une ligne ininterrompue, il fournit par éclairs, secousses, une masse disjointe d’idées, images, souvenirs, notions, concepts, puis se détend avant que l’esprit se réalise à l’état de conscience dans un nouvel acte.Sur cette manière première l’écrivain éclairé par sa raison et son goût et guidé par un but plus ou moins distinctement perçu travaille, mais il est impossible de donner une image exacte des allures de la pensée si l’on ne tient pas compte du blanc et de l’intermittence.

         Tel est le vers essentiel et primordial, l’élément premier du langage antérieur aux mots eux-mêmes : une idée isolée par un blanc. Avant le mot une certaine intensité, qualité et proportion de tension spirituelle.

(…)

         Dans la prose les éléments primordiaux de la pensée sont en quelque sorte laminés et soudés, raccordés pour l’œil, et leurs ruptures natives sont artificiellement remplacées par des divisions logiques. Les blancs du stade créateur ne sont plus rappelés que par les signes de la ponctuation qui marquent les étapes dans le train uniforme du discours. Dans la poésie, au contraire, le lingot a été accepté tel quel et soumis seulement à une élaboration additionnelle (…).

                                                          *

Pas plus que l’inspiration, la poésie n’est un phénomène réservé à un petit nombre de privilégiés. Pas plus que les couleurs ne sont réservées aux peintres. Partout où il y a langage, partout où il y a des mots, il y a une poésie à l’état latent.Ce n’est pas assez de dire et j’ai envie d’ajouter : partout où il y a silence, un certain silence, partout où il y a attention, une certaine attention, et surtout partout où il y a rapport, ce rapport secret, étranger à la logique et prodigieusement fécond, entre les choses, les personnes et les idées qu’on appelle l’analogie1et dont la rhétorique a fait la métaphore, il y a poésie. La texture même du langage, et par conséquent de la pensée, est faite de métaphores… La poésie est partout. Elle est partout, excepté dans les mauvais poètes.

 

(1) Saint Bonaventure a donné la formule de l’analogie : A est à B comme C est à D.

 

Paul Claudel, "Réflexions et propositions sur le vers français" et "La Poésie est un art", dans Positions et propositions, Œuvres en prose, Pléiade, 1965, p. 3-4 et 54-55.

 

15/12/2018

Paul Claudel, Connaissance de l'Est

 

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                              La terre quittée 

C’est la mer qui est venue nous rechercher. Elle titre sur notre amarre, elle décolle de l’appontement le flanc de notre bateau. Lui, dans un grand tressaillement, agrandit peu à peu l’intervalle qui le sépare du quai encombré et de l’escale humaine. Et nous suivons dans son lacet paresseux le fleuve tranquille et gras. C’est ici l’une de ces bouches par où la terre dégorge, et, crevant dans une poussée de pâte, vient ruminer la mer mélangée à son herbage. De ce sol que nous habitâmes, il ne reste plus que la couleur, l’âme verte prête à se liquéfier. Et déjà, devant nous, là-bas un feu dans l’air limpide indique la ligne et le désert.

 

Paul Claudel, Connaissance de l’Est, Poésie / Gallimard, 1974, p. 139-139.

 

29/01/2018

Paul Claudel, Lettres à Ysé

 

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                              "L'amour fou"

Rio de Janeiro, 4 août 1917 (Paul Claudel à Rozie — "Ysé") 

 

(…) il est parfaitement vrai que pendant plusieurs mois j’ai été complètement fou, mais je sais aussi qu’aucune femme au monde n’a été aimée par un homme comme vous l’avez été par moi. Ce sentiment ne s’est jamais éteint dans mon cœur, vous êtes la seule femme que j’aie jamais aimé, celle vers qui mes pensées et mes rêves ne cessent de revenir, et il me semble que rien et la mort elle-même ne pourra jamais étouffer le mouvement profond, impétueux, irrésistible, qui entrainait mon être vers le vôtre. Dans mes pires heures de torture, je n’ai jamais eu qu’une seule véritable souffrance, c’était la pensée que vous aviez cessé de m’aimer. Cette idée me perçait le cœur et elle était à peine soutenable pour moi.

 

Paul Claudel, Lettres à Ysé, édition G. Antoine, Gallimard, 2017, p. 112-113.

22/03/2017

Paul Claudel, Connaissance de l'Est

 

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                                           Le pin

   L’arbre seul, dans la nature, pour une raison typifique, est vertical, avec l’homme.

   Mais un homme se tient debout dans son propre équilibre, et les deux bras qui pendent, dociles, au long de son corps, sont extérieurs à son unité. L’arbre s’exhausse par un effort, et cependant qu’il s’attache à la terre par la prise collective de ses racines, les membres multiples et divergents, atténués jusqu’au tissu fragile et sensible des feuilles, par où il va chercher dans l’air même et la lumière son point d’appui, constituent non seulement son geste, mais son acte essentiel et la condition de sa stature.

   La famille des conifères accuse un caractère propre. J’y aperçois non pas une ramification du tronc dans ses branches, mais leur articulation sur une tige qui demeure unique et distincte, et s’exténue en s’effilant. De quoi le sapin s’offre pour un type avec l’intersection symétrique de ses bois, et dont le schéma essentiel serait une droite coupée de perpendiculaires échelonnées.

(…)

 Paul Claudel, Connaissance de l’Est, Poésie / Gallimard, 1974 (Mercure de France, 1900), p. 101-102.

10/11/2016

Paul Claudel, Connaissance de l'Est

 

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Novembre

 

   Le soleil se couche sur une journée de paix et de labeur. Et les hommes, les femmes et les enfants, la tignasse pleine de poussière et de fétus, la face et les jambes maculées de terre, travaillent encore. Ici on coupe le riz ; là on ramasse les javelles, et comme sur un papier peint est reproduite à l’infini la même scène, de tous les côtés se multiple la grande cuve de bois quadrangulaire avec les gens qui face à face battent les épis à poignées entre ses parois ; et déjà la charrue commence à retourner le limon. Voici l’odeur de grain, voici le parfum de la moisson. Au bout de la plaine occupée par les travaux agricoles on voit un grand fleuve, et là-bas, au milieu de la campagne, un arc de triomphe, coloré par le couchant d’un feu vermeil, complète le paisible tableau. Un homme qui passe auprès de moi tient à la main des poules couleur de flamme, un autre porte aux extrémités de son bambou, devant lui, une grosse théière d’étain, derrière un paquet formé d’une hotte verte d’appétits, d’un morceau de viande et d’une liasse de ces taëls de papier d’argent que l’on brûle pour les morts, un poisson pend au-dessous par une paille. La blouse bleue, la culotte violette éclatent sur l’or terni de l’éteule.

 

Paul Claudel, Connaissance de l’Est [1900], Poésie / Gallimard, 1974, p. 60.

 

Pour que vive la Maison du Peuple (Saint-Brieuc)

«Et il faudrait ne rien dire ?»
Louis Guilloux,

La Maison du Peuple

 

 

OÙ EN SOMMES-NOUS ?

 

La Maison du Peuple de Saint-Brieuc, inaugurée en 1932, est interdite au public depuis 2005 pour des raisons de sécurité.
En 2008, Bruno Joncour en inscrit la réhabilitation dans son programme électoral.
En 2010, le mouvement social contre la réforme des retraites utilise un barnum installé sur la place Poulain-Corbion, derrière la Maison du Peuple fermée ; à la suite de quoi est créé à l'initiative de militants CGT et FSU un «Comité des usagers historiques de la Maison du peuple».
Lors du Conseil Municipal du 1er février 2011, le maire Bruno Joncour présente un rapport sur la «mise en place d'une concertation sur le devenir du site» de la Maison du Peuple. A cette occasion, il déclare : « Je vous propose ce soir que la Maison du Peuple [...] soit rénovée, reconstruite, dans l'esprit qui a été le sien lors de sa création et avec, naturellement, la vocation qui se rattache à son histoire».
Un «Comité de pilotage» chargé d'envisager des solutions pour «faire revivre» l'édifice est alors mis en place.
Depuis cette date (cinq ans déjà), RIEN n'a été fait et le site de la rue Cardenoual est à l'abandon.

 

 

QU'EST-CE QUE LA MAISON DU PEUPLE DE SAINT-BRIEUC ?

 

La Maison du Peuple de Saint-Brieuc n'est pas n'importe quelle Maison. Ce n'est pas qu'une Maison des Syndicats. Ce n'est pas une M. J. C ou une Maison de la Culture. C'est encore moins une salle polyvalente. Elle s'inscrit dans le mouvement d'éducation populaire (années 1920-1930) qui vit des ouvriers organisés prendre l'initiative de la construction de nombreuses maisons de ce type, en Belgique, en Suisse et en France.
Pourtant, ce n'est pas non plus n'importe quelle Maison du Peuple.
Sa singularité lui vient d'abord de ses origines (telles qu'elles sont évoquées dans le roman de Louis Guilloux, La Maison du Peuple, publié en 1927).
Elle lui vient ensuite de son histoire (depuis son inauguration en présence de Léon Jouhaux, secrétaire général de la CGT, jusqu'aux manifestations de 2010 — en passant par le Front Populaire, l'arrivée des réfugiés espagnols en 1939, les meetings de 1968, les luttes du Joint Français en 1972, le mouvement des chômeurs en 1998, la grève des enseignants en 2003...).
Elle lui vient enfin de la force symbolique que lui a conférée cette succession de rassemblements syndicaux, de batailles politiques, de débats démocratiques, d'actions de solidarité, de manifestations culturelles et artistiques (en 1999 elle accueillit la lecture de l’intégrale du Jeu de Patience de Louis Guilloux par plus de 200 habitants de la ville).
En somme, ce n'est pas seulement un bâtiment : c'est un mémorial. La présence de cette mémoire vivante au cœur de la cité est une réserve de sens et de confiance pour les luttes d'aujourd'hui comme pour celles de demain.

 

QUE VOULONS-NOUS ?

 

Nous sommes nombreux à Saint-Brieuc à croire qu'il peut toujours exister sous ce beau nom de «Maison du Peuple» un espace démocratique ouvert à toutes et à tous, à l'expression libre et à la prise de parole émancipatrice.
Nous ne voulons pas nous résoudre à ce que ce bâtiment intimement lié à l'image de notre ville soit détruit (ou même déplacé) — parce qu'il ne s'agirait pas seulement de la disparition d'un édifice mais de l'enterrement des questions que cet édifice incarne et suscite.
Nous voulons que la Maison du Peuple soit rénovée ou reconstruite sur place (au cœur de la cité) et dédiée à sa vocation historique : être «un outil au service du monde du travail, de ses luttes, et au service de l'éducation populaire»1.
Bien entendu, cette Maison du Peuple que nous appelons de nos vœux devra à nouveau accueillir des rassemblements syndicaux, fournir des salles de réunions pour la vie associative, être un lieu de meetings politiques, ouvrir ses salles à des spectacles, des concerts, des festivités populaires, servir de base à des actions solidaires et fonctionner comme établissement d'éducation populaire (par exemple pour l'alphabétisation des réfugiés, demandeurs d'asile, migrants).

 

 

 

UN PEUPLE ET SA MAISON ?

 

Vouloir maintenir et faire vivre à Saint-Brieuc une Maison du Peuple semble supposer que l'on sache ce qu'est aujourd'hui le «peuple» et qu'on ait une idée de ses «besoins» — auxquels répondrait l'existence d'une «Maison» qui serait la sienne.
Mais nul ne dispose aujourd'hui de ce savoir. Il s'agit de questions. Nous voulons qu'elles restent ouvertes. Ce n'est que dans l'action que des réponses peuvent apparaître. Une Maison du Peuple est un bon lieu pour accueillir ces actions et aider à formuler les réponses nouvelles dont notre temps a besoin.
Il faut pour cela que la gestion d'une telle maison ne soit ni sectaire, ni illusoirement œcuménique, ni figée dans les rôles et les modes d'action que son histoire a promus. Il faut au contraire qu'elle s'ouvre aux formes nouvelles d'action sociale, politique et culturelle qui s'inventent un peu partout aujourd'hui.

 

 

APPEL

 

Nous invitons le plus grand nombre possible de personnes et d'organisations à nous rejoindre et à agir pour obtenir des pouvoirs publics que la Maison du Peuple de Saint-Brieuc ne soit ni laissée à son état d'abandon actuel ni vendue et démolie; mais qu'elle soit au contraire réhabilitée sur place et remise en activité selon les vœux de la population briochine et conformément aux engagements pris il y a maintenant cinq ans par l'actuelle équipe municipale.

 

Vanda Benes (actrice), Roland Fichet (auteur dramatique), Michel Guyomard (responsable d'action culturelle), Guillaume Hamon (fonctionnaire territorial), Hervé Hamon (écrivain), Jean Guy Le Bère (ancien conseiller municipal), Vonig Le Goïc (militante associative), Yann Le Guiet (professeur de Lettres retraité), Annie Lucas (artiste dramatique), Monique Lucas (comédienne, professeure d'art dramatique), Lan Mafart (limonadier, libraire), Gérard Mauduit (citoyen militant), Jacky Ollivro (retraité, militant syndical), Christian Prigent (écrivain), Paul Recoursé (militant associatif), Robert Uriac, Jean-Luc Wilmart (retraité Gens de Mer).

 

 

Contacts :

christian.prigent@gmail.com

paul.recourse@wanadoo.fr

 Publié sur Situais le 4 novembre 2016

 

19/06/2016

Paul Claudel, Connaissance de l'Est

 

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                                                      Heures dans le jardin

 

   Il est des gens dont les yeux tout seuls sont sensibles à la lumière ; et même qu’est, pour la plupart, le soleil, qu’une lanterne gratuite à la clarté de quoi commodément chacun exécute les œuvres de son état, l’écrivain conduisant sa plume et l’agriculteur ses bœufs. Mais moi, j’absorbe la lumière par les yeux et par les oreilles, par la bouche et par le nez, et par tous les pores de la peau. Comme un poisson, j’y trempe et je l’ingurgite. De même que les feux du matin et de l’après-midi mûrissent, dit-on, comme des grappes de raisin encore, le vin dans sa bouteille qu’on leur expose, le soleil pénètre mon sang et désopile ma cervelle. Jouissons de cette heure tranquille et cuisante. Je suis comme l’algue dans le courant que son pied seul amarre, sa densité égalant l’eau, et comme ce palmier d’Australie, touffe là-haut sur un long mât juchée de grandes ailes battantes, qui, toute traversée de l’or du soir, ploie, roule, rebondit dessus de l’envergure et du balan de ses vastes fonds élastiques.

[…]

Paul Claudel, Connaissance de l’Est [1900], Poésie/Gallimard, 1974, p. 132-133.

07/03/2016

Paul Claudel, L'Oiseau noir dans le soleil levant

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                           Hai-Kai

(La nuit du 1er septembre 1923 entre Tokyô et Yokohama)

 

   À ma droite et à ma gauche il y a une ville qui brûle mais la lune entre les nuages est comme sept femmes blanches.

   La tête sur un rail mon corps est mêlé au corps de la terre qui frémit. J’écoute la dernière cigale.

   Sur la mer sept syllabes de lumière une seule goutte de lait.

 

Paul Claudel, L’Oiseau noir dans le soleil levant [1929], dans Connaissance de l’Est, Poésie / Gallimard, 1974, p. 198.