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27/05/2023

Marie de Quatrebarbes, Vanités

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« Fleurs » : j’ai dit ce mot par prudence, mais il importe peu. Tout ce qui bat et s’agite, cherche refuge.

 

On l’appelle aussi « petite chose », comme on le dit d’une personne hors de portée, aspirant l’air par les pieds

 

Plutôt que de prendre racine, nous passons ; construire une maison n’est plus notre propriété

 

Où nos pas nous portent, nous allons les pas chargés d’indices, suivant les lignes futures d’un mystère probable.

 

Marie de Quatrebarbes, Vanités, Érid Pesty éditeur, 2023, np.

15/07/2021

Pierre Reverdy, En vrac

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Bien connaître le passé pour pouvoir feindre de prévoir l’avenir, les meilleurs politiques n’ont jamais réussi un tour plus habile que celui-là.

 

On s’use à vivre et sans pouvoir comprendre quoi que ce soit à ce que peut signifier la vie. On en use autant qu’elle nous use et c’est tout.

 

Il ne faut pas écrire pour son temps mais dans son temps. Et celui qui ne se mêle que de son temps meurt plus vite que son temps. C’est qu’il n’écrit au fond que pour lui-même — un peu trop peu.

 

Vivre et vieillir pour qui et quoi que ce soit, êtres et choses, sont synonymes. Mais on ne se rend bien compte de cette évidence que lorsque le phénomène vieillir a déjà très nettement pris le pas sur celui qu’on appelle vivre.

 

Pierre Reverdy, En vrac, dans Œuvres complètes, Flammarion, 2010, p. 856, 858, 851, 863.

31/12/2019

Jean-Pierre Lemaire, L'exode et la nuée

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Tu déblaies le temps devant toi

ce temps qui nous vient toujours de l’arrière

et progressivement plus rien ne s’impose

aucune fenêtre, aucun paysage

rien que l’avenir

muet, couleur de neige

devant lequel tu avais reculé

à vingt ans. Sur le même seuil

pour ne pas manquer le second rendez-vous

tu sors les yeux nus

dans le silence et dans le blanc

 

Jean-Pierre Lemaire, L’exode et la nuée, Gallimard,

1982, p. 101.

25/05/2019

Boris Pasternak, Poèmes

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Le poème qui suit les poèmes

 

Sur votre étagère j’ai posé des poèmes

Poèmes que vous prenez pour du « moi-même »

Sur mon étagère aucun poème :

Et dans les jours que j’ai subisd aucun « moi-même ».

 

Dans la vie de ceux qui le mieux ont chanté,

Des traits d’une telle simplicité

Que quicinque, authentique, y a goûté

Ne peut plus que s’achever en silence entier.

 

Né de même parenté avec tout ce qui est,

Familier d’un avenir, qui dès aujourd’hui est,

Comment ne pas, finalement, tomber

Dans l’hérésir de la simplicité inouïe ?

 

J’ai honte, tous les jours plus honte

Qu’au profond de ce siècle de telels ombres

Subsiste une certaine haute maladie

Nommée « haut mal de poésie ».

 

Boris Pasternak, Poèmes, traduction Armand Robin,

Paris, sans nom d’éditeur, octobre 1946.

16/11/2018

Guillaume Apollinaire, Calligrammes

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L’avenir

 

Soulevons la paille

Regardons la neige

Écrivons des lettres

Attendons des ordres

 

Fumons la pipe

En songeant à l’amour

Les gabions sont là

Regardons la rose

 

La fontaine n’a pas tari

Pas plus que l’or de la paille ne

         [s’est terni

Regardons l’abeille

Et ne songeons pas à l’avenir

 

Regardons nos mains

Qui sont la neige

La rose et l’abeille

Ainsi que l’avenir

 

Guillaume Apollinaire, Calligrammes, avril

1918, Pléiade / Gallimard, 1965, p. 300.

 

 

 

10/07/2015

Paul Klee, Journal

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Nous étions attablés dans notre charmante petite trattoria (...) lorsqu’y entrèrent, comme à l’accoutumée, des musici qui se mirent à accorder mandolines et guitares. Le premier morceau résonnait normalement, un tantinet désaccordé, mais plein de sentiment. Vers la fin, la fillette qui était entrée avec eux, inaperçue, se fit remarquer par des gestes d’abord incertains et, aux derniers accords, se produisit avec désinvolture. On savait bien à quoi l’on assistait : une scène (et quelle scène !). J’ai vu mainte exhibition artistique, mais rien d’aussi original. La créature a une taille assez racée, pour le reste elle n’est pas précisément belle et sa voix n’est pas non plus parfaite. Mais on pouvait apprendre ici à discerner la beauté dans la seule vérité de l’expression. On devinait que la fillette anticipait avec talent ce que peut-être elle vivrait plus tard, les sentiments les plus forts n’étant autre chose que des sentiments primitifs. L’avenir ne saurait devenir : il ne fait que sommeiller dans la nature humaine et n’attend que l’éveil. C’est pourquoi même l’enfant connaît l’Eros dont nous pûmes entendre ici la gamme entière, depuis le petit couplet jusqu’à la scène pathétique et finalement tragique.

 

Paul Klee,  Journal, traduction Pierre Klossowski, Grasset, 1959, p. 77.

31/12/2014

Paul Claudel, Connaissance de l’Est

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                                                    DÉCEMBRE

 

   Balayant la contrée et ce vallon feuillu, ta main, gagnant les terres couleur de pourpre et de tan que tes yeux là-bas découvrent, s’arrête avec eux sur ce riche brocart. Tout est coi et enveloppé ; nul vert blessant, rien de jeune et rien de neuf ne forfait à la construction et au chant de ces tons pleins et sourds. Une sombre nuée occupe tout le ciel, dont, remplissant de vapeur les crans irréguliers de la montagne, on dirait qu’il s’attache à l’horizon comme par des mortaises. De la paume caresse ces larges ornements que brochent les touffes de pins noirs sur l’hyacinthe des plaines, des doigts vérifie ces détails enfoncés dans la trame et la brume de ce jour hivernal, un rang d’arbres, un village. L’heure est certainement arrêtée ; comme un théâtre vide qu’emplit la mélancolie, le paysage clos semble prêter attention à une voix si grêle que je ne la saurais ouïr.

   Ces après-midis de décembre sont douces.

   Rien encore n’y parle du tourmentant avenir. Et le passé n’est pas si peu mort qu’il souffre que rien lui survive. De tant d’herbe et d’une si grande moisson, nulle chose ne demeure que de la paille parsemée et une bourre flétrie ; une eau froide mortifie la terre retournée. Tout est fini. Entre une année et l’autre, c’est ici la pause et la suspension. La pensée, délivrée de son travail, se recueille dans une taciturne allégresse, et, méditant de nouvelles entreprises, elle goûte, comme la terre, son sabbat.

[1896]

 

Paul Claudel, Connaissance de l’Est, Poésie/Gallimard 1974, p. 72.

29/05/2014

Bertolt Brecht, Du pauvre B. B.

 

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Du pauvre B. B.

 

III

Je suis gentil avec les gens. Je fais ce qu'ils font,

Je porte un chapeau melon. Je dis :

« Ce sont des animaux à l'odeur tout à fait spéciale. »

Et je dis : « Ça ne fait rien, j'en suis un, moi aussi. »

 

V

Le soir je réunis chez moi quelques hommes,

Nous nous adressons les uns aux autres en nous donnant

du "gentleman". Les pieds sur ma table ils disent : « Pour nous

Les choses vont aller mieux. » Et jamais je ne demande : « Quand ? »

 

VI

Vers le matin, dans le petit jour gris les sapins pissent

Et leur vermine, les oiseaux, commence à crier.

C'est l'heure où moi, en ville, je vide mon verre, jette

Mon mégot et m'endors, inquiet.

 

VIII

De ces villes restera : celui qui les traversait, le vent !

Sa maison réjouit le mangeur : il la vide. Nous sommes,

Nous le savons, des gens de passage

Et ce qui nous suivra : rien qui vaille qu'on le nomme.

 

Bertolt Brecht,  Du pauvre B. B., traduction Maurice Regnaut,

dans Europe, "Bertolt Brecht", août-septembre 2000, p. 8-9.

 

21/07/2011

Anise Koltz, Je renaîtrai

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                            Mon avenir

 

Dans les paumes de ma mère

où tous les temps coexistent

je lis mon avenir


Ne me souvenant plus de ma première mort

je renais au besoin

réplique de moi-même

 

                            Autour de moi

 

Je veux renaître

oiseau de proie


Voir pousser sur ma peau

des plumes ébouriffées

par mes montées abruptes

mes descentes sanguinaires


Tandis qu’autour de moi

les anges tombent

et s’écrasent

 

                            Je renais

 

Je me mets au monde

jour par jour


Je n’apporte ni commencement

ni fin


Je renais dans la crasse

et le sang

 

                            Le corbillard

 

Mes souliers

sont troués


Mes béquilles

souillées de boue


Je regarde passer le corbillard

qui emporte

tout ce que je n’ai pas vécu

 

                            Trou noir

 

La poésie est un trou noir

où le passé s’engouffre


Celui qui se souvient

au-delà du temps

la rejoindra

 

 

Anise Koltz, Je renaîtrai, Arfuyen, 2011, p. 19, 33, 47, 75, 121.