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09/07/2015

Philippe Beck, Dans de la nature

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À Anne Morin

 

Que peut bien le :

« Qui suis-je pour demander

du paradis ici ? »

dans de la nature ?

La question a voyagé

et a de la sève isolée.

Question usée est un tesson

dans de l’usure.

Si elle est plaine criante

enrouée,

alors « Qui suis-je pour... ? »

est l’énergie satirique

qui aère les morceaux de bravoure,

les « Par ici ! » archaïques

dont je canalise les rivières

en pleine cité. Comme celui

qui empoignait grammaticalement

un frêle et gracile pipeau

et marchait sur du pétrole enterré.

« Qui suis-je pour... ? »

est roucoulement de tourterelle,

bête interdite chantant ardemment.

Les tourterelles font et refont des Oh !

« Oh » est l’étiquette de la Dame qui chante.

 

Philippe Beck, Dans de la nature, Poésie / Flammarion,

2003, p. 73.

13/08/2013

Jacques Réda, L'incorrigible

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               Oiseaux automatiques

 

La tourterelle, on dirait qu'elle est mécanique.

Toute la matinée, elle a volé d'un toit

À l'autre avec un grincement mélancolique

De vieux jouet en fer qu'on remonte d'un doigt

 

Prudent pour ménager le ressort en spirale

Qui sans doute a rouillé depuis vingt ou trente ans.

Mais non, ça marche encore, et l'on entend ce râle

S'efforcer entre des rouages grelottants.

 

Puis un pinson réglé comme une horloge vrille

Et vrille de nouveau, tout au fond du jardin.

L'air presque froid sous un ciel gris où rien ne brille :

Quelle cloison veut-il crever ? Ce qu'il atteint.

 

En fin de compte, c'est l'écœurante purée

Qu'on voudrait garder sous la paroi

La plus dure. Mais quand ce fer de la durée

La perfore, une paix se mêle au désarroi.

 

Car ce chant qui revient sans arrêt, identique,

Dit que le temps existe et qu'il ne compte pas.

Que l'heure sonne en vain puisqu'elle communique

Avec un vide où les attentes, les combats,

 

Les abandons, l'espoir et l'oubli s'équilibrent

Comme le ciel et son reflet dans les canaux.

Tout est joué d'avance. Il ne reste de libre

Que la querelle vaine et sans fin des oiseaux.

 

Jacques Réda, L'incorrigible, Gallimard, 1995, p. 30-31.