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02/05/2021

Rainer Maria Rilke, Correspondance

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À Ilse Erdmann,

11.0.1915, samedi

 

(...) les sécurités que vous avez trouvées dans mes livres ne sont plus celles dont je vis. Spirituellement et, à bien des égards, physiquement, tout appui m’a été momentanément retiré, je me maintiens, en quelque sorte, dans l’impossible ; mais puisque je m’y maintiens, il doit y avoir à l’œuvre en moi une énergie que je finirai peut-être par faire mienne, puisqu’elle persiste malgré tout. Le fait qu’autour de cette épreuve intérieure se soit refermé un monde non moins éprouvé enveloppe mon cœur épuisé d’indescriptibles ténèbres. Pour  comprendre à quel point l’époque actuelle m’est difficile à supporter, il est nécessaire de savoir  que mes sentiments ne sont d’aucune manière « allemands » ; bien que je ne puisse être étranger à la réalité allemande puisque je suis enraciné dans sa langue, sa manifestation et ses revendications actuelles n’ont pu que me surprendre et me heurter ; quant à trouver dans le monde autrichien, qui est toujours resté pour moi un compromis artificiel (la déloyauté faite État), quant à trouver là une patrie, il me serait absolument impossible de le concevoir. Comment pourrai-je, moi dont le cœur a été formé par la Russie, la France, l’Italie, l’Espagne, le désert et la Bible, comment pourrai-je m’entendre avec ceux qui fanfaronnent ici autour de moi ! Passons.

 

Rainer Maria Rilke, Correspondance, éditions Philippe Jaccottet, Seuil, 1976, p. 382. 

09/07/2015

Philippe Beck, Dans de la nature

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À Anne Morin

 

Que peut bien le :

« Qui suis-je pour demander

du paradis ici ? »

dans de la nature ?

La question a voyagé

et a de la sève isolée.

Question usée est un tesson

dans de l’usure.

Si elle est plaine criante

enrouée,

alors « Qui suis-je pour... ? »

est l’énergie satirique

qui aère les morceaux de bravoure,

les « Par ici ! » archaïques

dont je canalise les rivières

en pleine cité. Comme celui

qui empoignait grammaticalement

un frêle et gracile pipeau

et marchait sur du pétrole enterré.

« Qui suis-je pour... ? »

est roucoulement de tourterelle,

bête interdite chantant ardemment.

Les tourterelles font et refont des Oh !

« Oh » est l’étiquette de la Dame qui chante.

 

Philippe Beck, Dans de la nature, Poésie / Flammarion,

2003, p. 73.

04/03/2015

Mary Oliver, American Primitive

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Première neige

 

La neige

a commencé ici

ce matin et continué

toute la journée, sa blanche

rhétorique partout

nous renvoyant au pourquoi, comment,

d’où vient une telle beauté

et quel en est le sens : une telle

fièvre oraculaire ! glissant

devant les fenêtres, une énergie qui semblait

ne jamais devoir se retirer, ne jamais s’apaiser

qu'en beauté ! seulement maintenant,

au coeur de la nuit,

elle s’est enfin arrêtée.

Le silence

est immense,

et les cieux retiennent encore

un million de bougies ; nulle part

les choses familières :

les étoiles, la lune,

l'obscurité que nous attendons

et repoussons tous les soirs. Les arbres

scintillent comme des châteaux

de rubans, les vastes champs

se consument à la lumière, le lit

d'un ruisseau amasse au passage

des collines luisantes

et bien que les questions

qui nous ont assaillis tout le jour

demeurent — pas une seule

réponse trouvée ;

sortir maintenant

dans le silence et la lumière

sous les arbres

et à travers champs,

semble en être une.

 

*

 

 

First snow

 

The snow

began here

this morning and all day

continued, its white

rhetoric everywhere

calling us back to why, how,

whence such beauty and what

the meaning; such

an oracular fever! flowing

past windows, an energy it seemed

would never ebb, never settle

less than lovely! and only now,

deep into night,

it has finally ended.

The silence

is immense,

and the heavens still hold

a million candles; nowhere

the familiar things:

stars, the moon,

the darkness we expect

and nightly turn from. Trees

glitter like castles

of ribbons, the broad fields

smolder with light, a passing

creekbed lies

heaped with shining hills;

and though the questions

that have assailed us all day

remain — not a single

answer has been found —

walking out now

into the silence and the light

under the trees,

and through the fields

feels like one.

 

Mary Oliver, "First snow", extrait de

American Primitive, Back Bay Books,

1983, p. 26-27. Traduction Chantal Tanet

et Melissa Nickerson.

06/02/2014

Mina Loy, Manifeste féministe & écrits modernistes

  

Les éditions NOUS ont 15 ans...

www.editions-nous.com

 

Le dernier livre paru : Mina Loy [1882-1966]

 

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        Manifeste féministe [1914]

 

Le mouvement féministe tel qu'il est constitué à présent est

Imparfait

 

Femmes si vous souhaitez vous accomplir — vous êtes à la veille d'un soulèvement psychologique dévastateur — toutes vos illusions domestiques doivent être démasquées — les mensonges des siècles sont à congédier — Êtes-vous préparées à cet arrachement— ? Il n'y a pas de demi-mesure  — NUL coup de griffe à la surface du monceau d'ordure s de la tradition ne conduira à la Réforme, la seule méthode est une Démolition Absolue.

Cessez de placer votre confiance dans la législation économique, les croisades contre le vice & l'éducation égalitaire — vous glosez à côté de la Réalité

Des carrières libérales et commerciales s'ouvrent à vous —

Est-ce là tout ce que vous voulez ?

 

[...]

 

Aphorismes sur le modernisme

 

   Le MODERNISME est un prophète criant dans le désert que l'Humanité épuise son temps.

 

   La MORALE a été inventée comme excuse pour assassiner le voisinage.

 

   Les ANARCHISTES en art en sont les aristocrates immédiats.

 

Notes sur l'existence

 

   La guerre n'a laissé aucune trace en nous à l'exception de la disgrâce de quelques vieilles dames qui publiquement se vautrent sur la tombe de leurs fils alors qu'elles auraient dû savoir comment mieux les élever.

 

   Tomber amoureux est un tour de passe-passe qui consiste à magnifier un être humain à des proportions telles que toutes les comparaisons s'évanouissent.

 

   Considérant ma vie passée, je peux en tirer une loi absolue   de la physique — que l'énergie est toujours perdue.

 

Mina Loy, Manifeste féministe & écrits modernistes, traduction [de l'anglais] et préface d'Olivier Apert, NOUS, 2014, p. 15-16, 49, 50, 51, 59, 61, 61.