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18/10/2015

Alain Veinstein, Une fille éperdue

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Une fille éperdue

 

Une fille éperdue, aux yeux irradiant la mort.

 

Là, dans l’appartement d’à côté,

c'est toi, mon amour,

et je ne peux pas te regarder dans les yeux

car un poing m'écrase le visage.

Si seulement je pouvais écrire

rongé par tant de passion...

 

La porte ouverte à la volée,

tes bras jetés autour de mon cou,

le parfum de tes cheveux contre ma joue,

mes lèvres sur ta peau.

 

Le store levé dessine une plage de lumière

sans cesse interrompue par le clignotement

de l'enseigne lumineuse.

 

[...]

 

Alain Veinstein, Une fille éperdue, dans Koshkonong,

numéro 7, printemps 2015, p. 2.

 

19/05/2015

Alain Veinstein, Dix pas avant les ruines

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[...]

Pour commencer, je tourne le dos au passé, à l’enfance où il y a la mort...

 

Hors de ses jambes, pour que la phrase ne se referme pas...

 

Ce n’est pas le dernier jour... Au début, il faut écrire sans amour...

 

Pas question de décrire les lieux, les personnages... Pas trace d’affaire d’homme... Je refuse l’aide d’une description de la terre... Je ne tire pas profit d’une scène... d’un concours de circonstances qui m’aurait permis de franchir un grand pas... D’un trait de plume, j’écarte les événements : personne, rien... Je ne m’appuie sur personne et sur rien...

 

De la précarité, je fais un théâtre... Enfance encore... Difficile  de s’arracher ces lambeaux d’enfance... Et cette haine qui me tient... Face au personnage féminin, je puise dans la haine mon désir de l’ouvrir... Je rêve de mise à nu, de sang... Ce n’est pas une violence mauvaise... C’est mon amour, de très loin, hors de portée des lèvres... Je dis mon amour, étourdi encore, désarmé par le bruit d’un pas... Désarmé comme par le fracas, plus haut, de la caisse... J’ai fait un pas et, à chaque pas, s’enfonce une dernière demeure.

 

J’ai fait un pas et rêve d’un autre pas comme au début de la vie... Presque la force d’écrire à bout portant...

 

Je parle du premier pas à partir de la mort... Un temps lointain... Quelques arpents de terre où j’aurais trouvé ma nourriture... Toute  une histoire... Je me souviens de quelques pas perdus... Et de la peur, rencontrée à chaque coin de phrase...

[...]

 

Alain Veinstein, Dix pas avant les ruines, dans L’introduction de la pelle, Seuil, 2014, p. 357-359.

11/10/2014

Alain Veinstein, Voix seule

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                     Aujourd'hui

 

Encore une approche manquée...

 

Trop de mots, décidément,

trop de mots tonitruants.

 

La terre, jusqu'à nouvel ordre,

n'a rien d'un théâtre

où se déploie le merveilleux.

Seul le froid s'invite dans l'air,

s'infiltre, se resserre,

épaissit le silence.

Il m'accompagne depuis l'enfance

ce silence glacé

dans le calme accablant

du noir.

 

                        Aujourd'hui

 

Voix

en grandes capitales rouges,

 

oubliée et remontée

de l'épaisseur de la nuit,

restée à l'abri de la mort.

 

Dans le recoin où je vis,

je la rejoue de mémoire,

elle résiste,

ne se laisse pas faire,

 

chante, oui,

de ne pas chanter.

 

À chaque instant

je suis sur le point de la perdre,

 

à chaque instant

tout peut être perdu.

 

Alain Veinstein, Voix seule, Seuil, 2011, p. 139, 175.

09/07/2014

Alain Veinstein, Scène tournante

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À haute voix mon nom

impossible de le prononcer

Je me cache pour ne pas me faire prendre

 

J'ai l'impression que ses lettres vont être écartées

afin que son secret en soit extirpé

et jeté en pâture aux chiens,

sans aucune pitié.

Quelques lettres ici, tournent à la haine.

 

Chaque fois, aujourd'hui,

que je décline mon identité,

j'entends et aboiements

et voient des projecteurs lancer leurs poursuites

du haut de formes indistinctes

que je prends pour des miradors.

 

Alain Veinstein, Scène tournante, "Fictions & Cie",

Seuil, 2012, p. 39.

 

23/02/2013

Alain Veinstein, Voix seule

Alain Veinstein, Voix seule, le temps, l'enfance, mots volés

Aujourd'hui

 

Le ciel est déjà si noir :

il se confond avec la terre.

 

Pas assez de cœur

à ce moment précis

pour appeler terre

cette radiographie

des entrailles du temps.

 

                    *

 

Toute ma vie, j'ai dû perdre l'équilibre

dans une scène de violence,

sans une histoire à raconter,

un drame à jouer,

tout feu tout flamme cependant

au moindre éclair de vérité

apparemment conforme à l'enfance

que je m'étais attribuée,

inventée de toute pièces,

dans l'illusion que JE me laisserait en paix.

Mais chaque fois jusqu'à présent,

il m'a fallu déchanter, bouche béante,

quand les mots volés m'ont démasqué

et que je me suis retrouvé une fois de plus sans famille,

sans maison, sans enfance,

le visage écrasé contre un rideau de théâtre.

 

Alain Veinstein, Voix seule, Seuil, 2011, p. 61, 126.

29/09/2011

Alain Veinstein, Voix seule

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Un pas

 

À mesure que je m’enfonce

je n’ai rien tant à cœur

que la vérité.

Mais quoi que je fasse et dise,

pas de pas gagné

qu’il soit possible de tenir :

tous les témoins sont morts

et je reste seul en scène

à tenir un rôle

que les vrais mots de l’enfance

feraient voler en éclats.

 

Jour

 

Le seul jour jusqu’ici

je l’ai éclairé

à coups de pelle. Souvenez-vous.

Malgré les éclats de rire

et le effets de cruauté,

la pelle

 

m’a appris la vie.

 

Je lutte ici même contre l’envie

de la reprendre

et d’ensanglanter avec fureur

la terre épuisée par la brume.

 

Où es-tu ?

 

Parti pour ne pas revenir,

ne plus être

père,

père, jamais

et pourtant

les deux bras tendus,

je brandis

une couronne de roses

et je crie :

je suis ton enfant,

celui que tu berçais dans tes bras,

prêt à se faufiler, si Dieu le veut,

comme un rat dans ta tombe.

Et pourtant, nous ne nous reverrons plus,

nous avons, toi et moi, des visages sans avenir.

Le ciel est froid et sombre

contre mon dos.

Il ne manquerait plus que le vent se lève

sur le petit tas brillant

que j’appelais père

il y a à peine un instant.

 

Alain Veinstein, Voix seule, Fiction & Cie, Seuil, 2011, p. 59, 91 et 122.