21/04/2019
Myrto Gondicas, Allures
Allures
1
Main subtile
à la nuque, nœud de vent
et volonté calme, invisiblement pilotée on va
sur un rythme étrange, ourlée de sons
proférés bas, défiant les membres
qui glissent à la proue ; le corps capteur
suit des lancers secrets ; camarade du vide, il trace
sa piste différente et volubile.
Rien
ne pèse, on vire et s’arrête
et repart immédiatement, si l’acte tendre
maniant les ressorts vivants se renouvelle ; l’âme menée
cède alors et tremble, et les pleurs
doucement sourdent.
Myrto Gondicas, Allures, dans Rehauts, n° 43, printemps 2019, p. 74.
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12/07/2018
Séverine Daucourt, Transparaître, dans Rehauts 41
Transparaître
d’abord les lèvres
ce rouge qui veut dire quoi au juste
maman me signalant
dans l’ascenseur
avec ses feux de croisement
c’est un peu trop
ben justement maman l’excès me meut
tu me tiens je te tiens par le petit bout
des lèvres
je me tiens debout pourpre et ensanglantée
je veux dire femme et ma mère
m’ordonnant d’effacer tous ces avantages
ne sait ni ce qu’elle creuse
ni qu’elle me troue davantage
*
à Belleville
devant les boutiques
dans ma mini-jupe
très courte
plusieurs me lançaient des regards troubles
lui m’a envoyé un baiser
lubrique
je me suis félinisée
à l’époque je vivais avec un nordique raciste rompu au féminisme que le comportement des arabes exaspérait il faillit sortir les armes vikings pour égorger l’ennemi sur le boulevard
je l’ai calmé
au fond de moi j’étais fière
de ce genre d’invectives
les cherchais
par répétition de l’essentiel
ou suite à une injonction tombée du ciel
je déambulais sur terre
dans les rues le métro les cafés
collé derrière ma vitrine
invisible
exhibée
sans malice
déjà victime
déjà consentante
[…]
Séverine Daucourt, Transparaître, dans Rehauts, n° 41, p. 43-44.
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13/10/2015
Jean-Pierre Chevais, Sans titre, dans Rehauts
Sans titre
on fait la pause on a reçu en partant un sandwich mais on est deux ils n’ont pas dit ce qu’il y avait dedans on fait quand même la pause
on a fait la pause on n’a plus rien à faire on en aurait eu un chacun on serait encore à s’occuper pas longtemps mais un peu
on fait une deuxième fois la pause on a en partant rien eu d’autre on hésite à poursuivre on va quand même le faire
*
en rentrant de la pause on a trouvé dans la cour un sandwich il était pas trop abîmé mais on est deux on l’a pas ramassé
ils nous cachent quelque chose on va rentrer de la pause un peu plus tard peut-être qu’ils ont besoin d’un peu de temps c’est tout
la fois suivante on n’a pas eu le temps de rentrer ils ont demandé pourquoi qu’est-ce qu’on en sait et même si on savait
*
quand on hésite à quoi penser on repense au sandwich dans la cour on le sait bien pourtant penser dans ces cas-là ça n'a jamais suffi
on s'est en fin de compte séparés on n'avait rien à se dire n'empêche ça n'a pas été rien d'abord on n'y arrivait pas à la fin si
on fait maintenant la pause chacun à part ça repose c'est vrai quand même il y a des jours on crierait bien mais alors fort
[...]
Jean-Pierre Chevais, "Sans titre", dans Rehauts, automne-hiver 2015, n° 36, p. 47-48.
Rehauts, 112 p., 13 €. Abonnement 1 an, 2 numéros : 22 € ; 2 ans, 39 €.
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03/10/2014
Mathieu Bénézet, Poèmes uniques, dans Rehauts
Tes habits d'aujourd'hui
Rue du Moulin Vert un rejet de gly
cine se prit dans es cheveux Je
t'évoquais dans tes habits d'aujourd'hui
Tu pars comme on dit au travail
dans un journal à Saint-Denis
(J'y écrivis naguère encore hier demain qui sait)
Ô la glycine je nous connus neuf
ans déjà rue du Château, rue des Plantes
les allers et retours
charriant le petit panier du repas
(Ô fête d'une sieste sous un ciel de chambre)
(fête du poulet grillé dans un four)
Si profondément se forme un pas d'homme
(moi) il te regarde chaque jour
dans tes habits d'hier d'aujourd'hui
demain qui sait
Rue Jean Sicard, Paris le 30.X.1991
Mathieu Bénézet, Poèmes uniques, dans Rehauts,
n° 33, 2014, p. 91.
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24/09/2013
Antoine Emaz, Planche (2), dans Rehauts, avril 2013
Planche
La classification des genres littéraires ne peut tenir que si la frontière formelle entre eux est nette. Dès lors que ces limites deviennent floues ou s'effacent, et c'est souvent le cas aujourd'hui, parler de genre ne signifie plus grand chose. Il faut peut-être seulement faire passer le fil rouge entre littérature et non-littérature. Alors l'opposition poésie / narration n'a plus vraiment lieu d'être. Avec des écritures comme celes de Marie Cosnay, Fabienne Courtade ou Sereine Berlottier, on est en littérature, voilà tout. C'est accepter que l poésie perde son appellation contrôlée.
Au départ du poème, il y a toujours un événement, un choc qui ébranle le cœur, le corps, la mémoire, la langue. J'écris en contre : vivre est premier. Un poème comme un contrecoup de langue à partir d'un coup de vivre.
Le seul vrai moment de bonheur est celui de la survenue du poème, le premier jet. Dans ce moment, on ressent une fabuleuse impression de maîtrise, d'évidence, comme si la vie / la langue étaient poreuses, porteuses l'une et l'autre d'une même vérité simple. Une transparence de loupe, une nécessité sana freine, une musique qui s'ajuste comme sans mal, sans heurt mais avec passion, nerfs tendus à bloc.
Dès le lendemain, ou même quelques heures après, la magie a disparu, et c'est de nouveau doute, suspicion, autocritique... Il n'y a plus d'élan, juste le tracé mort de l'élan, sa mémoire, et ne reste à travailler qu'une trajectoire.
Antoine Emaz, Planche, dans Rehauts, n°31, avril 2013, p. 33, 34, 37.
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