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17/10/2014

Jules Supervielle, Les Amis inconnus

              Jules Supervielle, Les Amis inconnus, oiseau, arbre, regard, mort, peur

                                  L'oiseau

 

« Oiseau, que cherchez-vous, voletant sur mes livres,

Tout vous est étranger dans mon étroite chambre.

 

— J'ignore votre chambre et je suis loin de vous,

Je n'ai jamais quitté mes bois, je suis sur l'arbre

Où j'ai caché mon nid, comprenez autrement

Tout ce qui vous arrive, oubliez un oiseau.

 

— Mais je vois de tout près vos pattes, votre bec.

 

— Sans doute pouvez-vous approcher les distances

Si vos yeux 'ont trouvé ce n'est pas de ma faute.

 

— Pourtant vous êtes là puisque vous répondez.

 

— Je réponds  à la peu que j'ai toujours de l'homme

Je nourris mes petits,  je n'ai d'autre loisir,

Je les garde en secret au plus sombre d'un arbre

Que je croyais touffu comme l'un de vos murs.

Laissez-moi sur ma branche et gardez vos paroles,

Je crains votre pensée comme un coup de fusil.

 

— Calmez donc votre cœur qui m'entend sous la plume.

 

— Mais quelle horreur cachait votre douceur obscure

Ah ! vous m'avez tué, je tombe de mon arbre.

 

— J'ai besoin d'être seul, même un regard d'oiseau !...

 

— Mais puisque j'étais loin au fond de mes grands bois ! »

 

Jules Supervielle, Les Amis inconnus, dans Œuvres poétiques complètes, édition sous la direction de Michel Collot, Pléiade, Gallimard, 1996, p. 300-301.

24/08/2014

Jean-Louis Giovannoni, Les mots sont des vêtements endormis

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Je me regarde sans cesse dans les reflets des vitrines, je me surveille. Toujours cette peur de me perdre.

 

On court, on s'agite, rien que pour faire croire que l'on connaît la sortie.

 

Sous ces traits, ce visage à jamais tourné vers lui-même que seuls les murs savent refléter.

 

Bouge un tant soit peu,

et c'est un monde qui s'efface.

 

Ce besoin de toujours traîner un corps dans ses rêves.

 

Tu regardes l'espace : tu penses aux oiseaux. Et lorsque tu t'agites ce ne sont que tes membres que tu agites.

 

Chaque matin, une force bestiale me pousse à revenir, à émerger.

 

C'est terrifiant de penser que l'on peut emporter le monde, juste en fermant les yeux.

 

Que veut-on tuer lorsqu'on se tue ?

 

Ce sont nos vêtements qui nous donnent corps — sans ça tout s'effondrerait.

 

Pourquoi faudrait-il qu'on soit sauvé et pas ce chat, ce cendrier... ?

 

Jean-Louis Giovannoni, Les mots sont des vêtements endormis, éditons Unes, 2014, p. 14, 15, 16, 19, 20, 21, 23, 24, 27, 31, 35.

30/06/2014

Tchicaya U Tam'si, Notes de veille

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Pourquoi n'est-elle pas venue

un soir me prendre au berceau

je n'avais qu'un lit de feuilles

Un rapt facile...

 

D'un peuple qui mendie son sang

qui dirait qu'il est à plaindre ?

 

Je manque d'ivresse pour comprendre ce qui est plausible.

Et pourtant le monde est tel qu'il apparaît à l'alouette : un miroir déformant.

 

C'est fatal je devais dormir encore quand le coq chantait.

 

Je descends des bâtards de Gengis Khan : je baisse la tête et souris de ce que la terre ne supporte plus aucun vertige.

 

Il suffirait d'être un Envoyé

et la raison d'être aurait

valeur de signe monétaire

ou de plus-value

J'ai mendié sur les chemins

l'envers de ce que le monde paraît

un pli à cette commissure.

[...]

 

Tchicaya U Tam'si, Notes de veille, dans J'étais nu pour le premier baiser de ma mère, Œuvres complètes, I, Gallimard, 2013, p. 561-562.

22/03/2014

Yves di Manno, Champs (2)

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                              L'été, I

 

Qu'une fenêtre s'ouvre, que le vent

S'y engouffre et déjà, immobile

La main s'élance, voudrait suspendre

Tel mouvement de branche. Une plume

Tombe du corps d'un oiseau. Un enfant

La ramasse. Les paniers sont emplis

De fruits. Le long des routes, des

Noyers inclinés par des siècles de

Bourrasque désignant un Sud hypothétique

Hors d'atteinte. Le temps n'y est pour

Rien.

 

         Un fauteuil immuable tend ses bras

Dans le vide. La soucoupe est pleine

De mégots où les lèvres de femme ont

Laissé une empreinte étonnée. Près

d'elle un journal aux pages effeuillées

Par le vent : une main posée sur l'angle

D'un buffet : une clef que l'on hésite à

Tourner.

 

Yves di Manno, Champs, Poésie / Flammarion,

2014, p. 101.

05/03/2014

Jean Grosjean (1912-2006), Une voix, un regard, textes retrouvés

 

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                 L'homme quittera

 

                         II. Fuite

 

Les jours passent comme des nuages

et leur ombre sur la terre.

Le mobilier ne change guère,

vergers de prunes bleues ou jaunes,

noyers bruns à forte odeur,

tendres mousses sur la roche,

envols d'oiseaux qu'interrompt

le froid. Mais les parents

que nous venions voir se sont

enfuis à notre approche.

 

                          XI. Brume

 

Brume sur les champs.

L'amour de toi.

 

Tu ne te dédis pas,

tu ne t'éloignes que peu.

 

Je n'entends qu'à peine

les morts derrière toi.

 

Je vois dans la brume

luire tes cheveux.

 

Jean Grosjean, Une voix, un regard, textes retrouvés

1947-2004, édition de Jacques Réda, préface

de J.M.G. Le Clézio, Gallimard, 2013, p. 85-86, 90.

                                                   

24/01/2014

Jean-Loup Trassard, Caloge

                                   Jean-Loup Trassard, Caloge, blé, mer, oiseau, alouette

          Une semaine avec Jean-Loup Trassard

 

   Mer bientôt blonde sur ses orges, mer chevelue de seigles roux. Nous sommes là simplement pour voir. Pour marcher de façon précaire au bord d'une sphère sur son orbe. Et nous croyons que rien n'entame le regard de l'homme vers la mer.

   Marée montante du blé vert, reflux des pailles qui laissent le chaume aride. Dans l'étendue de ciel béant les oiseaux n'ont pas coutume de se percher, ils nichent sur le sol, faute de branches passent en élévation, ou chutes, leur vie criante. Alouettes que leur chant maintient hautes, qui soudain tombent en deux ou trois paliers, et devant notre étrave le vol de l'œdicnème. D'entre les vagues céréales mûrissantes sort l'appel d'une caille, nous la nommons.

   Sensible à cette respiration longue qui nous fait sur les champs monter descendre, à l'ample courbe qui jusqu'au lointain baisse relève les champs avec lenteur, nous allons sous la voile du ciel tendu, à chacun pour seule mâture sa verticalité, d'espace ivres.

 

Jean-Loup Trassard, Caloge, Le temps qu'il fait, 1991, p. 28.

02/12/2013

Gabrielle Althen, "Réjouissance", "La limite et l'abîme"

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            Réjouissance

 

Prémonition d'oiseau fort

La cascade cherche l'azur

Comme s'il habitait parmi nous

Sous la pluie verte il se trouva

Quelques vieillards preux et vivants

Pour soulever le rideau de ces mots

Tout en riant ces bons savants

Une grosse mouche active

Exhibait sans penser

Le moteur de son vivre

Et le temps continua sans plus en avoir l'air

Amen dit la vie

Sans qu'on sût qui parlait.

 

                           *

 

            La limite et l'abîme

 

Mer transparente mer opaque

On ne sait pas de quel côté seront les pleurs

Peau de reptile ou verre nu

On ne sait de quel côté viendra la peur

De part et d'autre

Les mots sont retombés

Qui jonchent le passé

Et la mer qui demeure ne s'est pas retournée

 

Gabrielle Althen, Poèmes inédits", dans NU(e), n° 53,

 

2013, 234 p., p. 37 et 40.

30/07/2013

Robert Duncan, La profondeur du champ

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     Tenir la rime

 

 

Par accent et syllabe

Par changement de rime et de contour

le vers long à la cadence bizarre atteint sa période même.

 

Le vers court

nous raffinons

et vouons à la candeur.

 

Nous nous en souvenons

la braise de la flamme

prend le mot dès lors qu'il s'entend

     (« Nous devons comprendre ce qui se passe »)

et surgit au désir,

          air

à la justesse de l'oiseau.

 

C'est la bûche du solstice d'hiver qui réchauffe décembre.

C'est l'herbe neuve qui surgit de la terre.

 

Robet Duncan, L'ouverture du champ, traduction Martin Richet,

 

éditions Corti, 2012, p. 110.

12/06/2013

Étienne Faure, La vie bon train, proses de gare

Étienne Faure,  La vie bon train, proses de gare, train, bruit, oiseau,Apollinaire

 

Lents comme des états d'âme,

après l'été les trains revenaient,

las d'avoir trimballé tous ces corps

à la mer, à la montagne, dans des contrées

dont furent natifs les pères (introuvables sur la carte),

à grincer de nouveau en gare,

y faire leur entrée, annoncer le pire

qui toujours sera à venir,

le soleil ras rougissant la face des ultimes

voyageurs ; c'était l'automne,

chacun se rappelait les vers

d'Apollinaire — un train qui roule, ô ma saison mentale

et la violente espérance de vie :

devait-on revenir

quand il aurait fallu ne partir jamais

— et puis après,

dans la gare sans issue,

on n'allait pas pleurer pour ça.

 

revenir

 

                                                    *

 

Le crissement du fer en copeaux dispersé, taraudé en son cœur puis découpé, reste ancré un moment dans les crânes. Comme un cri presque humain poussé chez un dentiste. En fait ce n'est qu'un rail que l'on répare, une pièce défectueuse à nouveau d'aplomb. Quand les locomotives passées sur les ponts et les viaducs en fer débarquent sous ces charpentes usinées d'autrefois, tous les monuments d'ingénierie, ces tonnes d'acier, les rails et les wagons, se répondent, se parlent en grincements d'époque. Les bruits fabriquant les lieux, les cris de mouettes au-dessus de la gare font resurgir avec le bleu la mer, un port ou alors l'abattoir du même âge, du temps du métal bon marché, où furent montés, au cœur des villes, de tels pavillons. Les mouettes en assemblée générale, concurrentes, associées, se disputent, ailes et becs, prospèrent au-dessus des toits criant leur amour de la viande et des abats. Parfois elles piquent, plongeant vers la basse fosse, ainsi que des oiseaux de proie formant des cercles au-dessus des rails, à la recherche de déchets.

 

 

Étienne Faure,  La vie bon train, proses de gare, Champ Vallon, 2013, p. 91 et 75.

© Photo Tristan Hordé.

27/05/2013

Jean de Sponde, Les Amours

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   Les vents grondoyent en l'air, les plus sombres nuages

Nous desroboyent le jour pesle mesle entassez,

Les abismes d'enfer estoyent au ciel poussez,

La mer s'enfloit de montz, et le monde d'orages :

 

   Quand je vy qu'un oyseau delaissant nos rivages

S'envole au beau milieu de ses flots courroucez,

Y pose de son nid les festus ramassez

Et rappaise soudain ses escumeuses rages.

 

   L'amour m'en fit autant, et comme un Alcion,

L'autre jour se logea dedans ma passion

Et combla de bon-heur mon âme infortunée.

 

   Après le trouble, en fin, il me donna la paix :

Mais le calme de mer n'est qu'une fois l'année,

Et celuy de mon âme y sera pour jamais.


Jean de Sponde, Les Amours, dans Œuvres littéraires, suivis

d'écrits apologétiques avec des Juvénilia édités avec une

introduction et des notes par Alan Boas, Genève, Droz,

1978, p. 74.

 

05/05/2013

Marie Étienne, L'Aigrette, dans Le Livre des recels

Marie Étienne, L'Aigrette, dans Le Livre des recels, oiseau, lumière, amour

Tu                m'appel

                     les l'Aigrette

                     dit l'Aigrette

                     mais tu i

                     gnores que je suis

                     l'Oiseau

                     qui vient de cette Nuit     Là-bas

 

au cœur       de la Forêt

                     ce n'est pas la Noirceur

                     mais souvenir de la Noirceur

                     ce n'est pas la Lumière

                     mais souvenir de la Lumière

                     qui entretient et remercie

 

j'ai regagné   le Fleuve

                     je m'y tiens à présent

                     comme une pierre en plein midi

                     une prière sur son socle

                     ô Ciel

                     ap

                     proche ta joue

 

et vous          un Dieu

                     combien au fond d'un Dieu

                     l'Amour est long

                     à être mus

                     elé

                     approche et sens

 

[...]

 

Marie Étienne, L'Aigrette [2008], dans Le Livre des recels, Poésie / Flammarion, 2011, p. 317-318.

 

 

 

29/03/2013

Pierre Chappuis, À portée de la voix

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                 L'oiseau à tire d'aile

 

   Taillant dans le vif à tire d'aile au plus étroit du défilé comme si, issue des ténèbres, une main donnait — mais dans le vide — de grands coups de ciseaux.

 

   Le bel embrouillamini de cascades, de tourbillons, de remous, plis et replis, de gerbes d'écume qu'il traverse sans dévier !

 

   Joindra-t-il une rive de la nuit à l'autre ? En tout cas sans mettre aucun ordre ni tracer de ligne de démarcation qui vaille. Pour l'avoir frôlée, ne noircira pas l'eau, messager de l'oubli.

 

                   Geais querelleurs encore

 

   L'air qu'invisiblement, presque imperceptiblement on froisse, de l'autre côté de la haie ; venu le moment des cadeaux, on s'apprêterait, cachant mal son éclat, à dégager avec précaution quelque chose (rien moins que le jour) de son emballage encombrant quoique léger, qui se déchire, s'en va en lambeaux, poussé de côté.

 

   Peut-être un couple de geais.

 

   Leurs soudaines criailleries, tels des jurons, leur grossièreté, tandis qu'ils s'affairent ramènent sans ménagement aux tâches, aux préoccupations terre à terre.

 

Pierre Chappuis, À portée de la voix, José Corti, 2002, p. 7, 56.

 

 

10/09/2012

Émile Verhaeren, Poèmes : Les soirs, Les débâcles, Les flambeaux noirs

Émile Verhaeren, Poèmes : Les soirs, Les débâcles, Les flambeaux noirs, le cri, oiseau

                           Le cri

 

Sur un étang désert que lustra une eau brunie,

Un rai du soir s'accroche au sommet d'un roseau,

Un cri s'écoute, un cri désespéré d'oiseau,

Un cri pauvre qui pleure au loin une agonie.

 

Comme il est faible et frêle et peureux et fluet !

Et comme avec tristesse il se traîne et s'écoute,

Et comme il se répète et comme avec la route

Il s'enfonce et se perd dans l'horizon muet !

 

Et comme il scande l'heure, au rythme de son râle,

Et comme, en son accent minable et souffreteux,

Et comme, en son écho languissant et boiteux,

Se plaint infiniment la douleur vespérale !

 

Il est si doux parfois qu'on ne le saisit pas.

Et néanmoins toujours, et sans fatigue, il tinte

L'obscur et triste adieu de quelque vie éteinte ;

Il dit les pauvres morts et les tristes trépas :

 

La mort des fleurs, la mort des insectes, la douce

Mort des ailes et des tiges et des parfums ;

Il dit les vols lointains et clairs qui sont défunts

Et reposent, cassés, dans l'herbe et dans la mousse.

 

Émile Verhaeren, Poèmes : Les soirs, Les débâcles, Les flambeaux

noirs, Mercure de France, 1920, p. 63-64.