05/03/2014
Jean Grosjean (1912-2006), Une voix, un regard, textes retrouvés
L'homme quittera
II. Fuite
Les jours passent comme des nuages
et leur ombre sur la terre.
Le mobilier ne change guère,
vergers de prunes bleues ou jaunes,
noyers bruns à forte odeur,
tendres mousses sur la roche,
envols d'oiseaux qu'interrompt
le froid. Mais les parents
que nous venions voir se sont
enfuis à notre approche.
XI. Brume
Brume sur les champs.
L'amour de toi.
Tu ne te dédis pas,
tu ne t'éloignes que peu.
Je n'entends qu'à peine
les morts derrière toi.
Je vois dans la brume
luire tes cheveux.
Jean Grosjean, Une voix, un regard, textes retrouvés
1947-2004, édition de Jacques Réda, préface
de J.M.G. Le Clézio, Gallimard, 2013, p. 85-86, 90.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES, ESSAIS CRITIQUES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : jean grosjean, une voix, un regard, textes retrouvés, réda, le clézio, fuite, brume, oiseau | Facebook |
04/10/2013
Jean Grosjean, Une voix, un regard, textes retrouvés, 1947-2004
La Beune
Un grand verger bosselé au fond d'un vallon, bordé de sombres noyers, avec un néflier tortueux, deux mirabelliers, des quetschiers, quelques pommiers penchants. Et la fosse d'un étang à sec. Oui, le ruisseau a été détourné. Il circule entre des roches qu'il lave ou bien il les enjambe avec une sorte de chuchotement, de quoi inquiéter les arbres. Ils ont l'air de se retourner à demi comme les vaches quand on traverse leur pâture.
Surplombé de pentes raides où les forêts s'accrochent, ce vallon ne s'ouvre qu'au nord. Il est livré aux brefs jours d'hiver, aux longs vents d'hiver, aux brusques gels, à des neiges stagnantes. Mais le soleil d'été le regarde par dessus les bois. Le soleil sait voir, à travers l'eau courante, es galets de grès rose qui somnolent au fond du ruisseau. Et il y a les cris des enfants qui jouent à la guerre avec des chutes d'étoffes pour drapeaux. Ah les prunes par terre.
Il serait temps de secouer les arbres, mais on aime mieux remuer les pierres, faire des barrages, des biefs, des méandres. Soif, peut-être, à tant pétrir l'eau ? Le plus brave court à Jauloin, l'autre source, tellement meilleure à boire, mais le sentier à travers les buissons est un coupe-gorge avec ses tournants et la corde qu'une chèvre tend pour brouter avec ce froissement des fourrés que font les bandits dans les livres.
Jean Grosjean, Une voix, un regard, textes retrouvés, 1947-2004, édition de Jacques Réda, préface de J. M. G. Le Clézio, 2012, p. 189-190.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : jean grosjean, une voix, un regard, textes retrouvés, jacques réda, le clézio, la beune | Facebook |