12/10/2012
Yaël Cange, L'en-allée
Ce que j'aime à la fin ?
« Pas de cœur. » C'est bien ce qu'on disait, non ? N'en quelles contrées déjà ? N'sais plus. Sauf qu'il y faisait froid : « Pas de cœur », pensez ! De quel regard Ah ! Doux regard en si fol appel de vous — ces mots m'auront privée ! Vous étiez — dès l'heure présente — toutes mes blessures à venir.
« Qu'une main vienne à se tendre » — peu de choses que j'ai demandé là ? Cela m'est — jusqu'à maintenant — tendresse apeurée. Comme autant d'étoiles qui finiraient de s'éteindre.
Qu'aucun, aucune — ne l'ait présagé seulement !
Au reste : longtemps — que je n'aime plus personne.
Mais si. Toi peut-être. À toi je peux parler. Imagine : « pas de cœur ». « Pas de cœur » — moi, ça ?
Toutes ces lyres, ces luths pourtant — qu'il croyait vous porter !
Ç'aurait dû se passer ainsi, non ?
[...]
*
Presque nuit déjà
Pourquoi diable — ce cri — qui me troue la gorge ?
Mais cet état — que ronces — ou fibres au-dedans appellent : de parfait abandon. L'avez-vous connu, vous ?
Serait temps, oui, de perdre cœur. Le mieux. Le meilleur ce serait, sans doute, contre un tel sentiment de tendresse blessée.
Yaël Cange, Pierre Cordier et Gundi Falk, L'en-allée, préface de Claude Louis-Combet, Bruxelles, La Pierre d'Alun, 2012, p. 35, 59.
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10/09/2012
Émile Verhaeren, Poèmes : Les soirs, Les débâcles, Les flambeaux noirs
Le cri
Sur un étang désert que lustra une eau brunie,
Un rai du soir s'accroche au sommet d'un roseau,
Un cri s'écoute, un cri désespéré d'oiseau,
Un cri pauvre qui pleure au loin une agonie.
Comme il est faible et frêle et peureux et fluet !
Et comme avec tristesse il se traîne et s'écoute,
Et comme il se répète et comme avec la route
Il s'enfonce et se perd dans l'horizon muet !
Et comme il scande l'heure, au rythme de son râle,
Et comme, en son accent minable et souffreteux,
Et comme, en son écho languissant et boiteux,
Se plaint infiniment la douleur vespérale !
Il est si doux parfois qu'on ne le saisit pas.
Et néanmoins toujours, et sans fatigue, il tinte
L'obscur et triste adieu de quelque vie éteinte ;
Il dit les pauvres morts et les tristes trépas :
La mort des fleurs, la mort des insectes, la douce
Mort des ailes et des tiges et des parfums ;
Il dit les vols lointains et clairs qui sont défunts
Et reposent, cassés, dans l'herbe et dans la mousse.
Émile Verhaeren, Poèmes : Les soirs, Les débâcles, Les flambeaux
noirs, Mercure de France, 1920, p. 63-64.
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