Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

27/01/2015

Jean-Loup Trassard, Caloge

                                                   images.jpg

                               Croissant

 

   Il disait qu'il allait y aller. Mais il avait commencé au jardin, arraché ou coupé, brûlé bourrier, ronces, fanes d'artichauts. Débité les branches tombées pendant la tempête, mis les triques à l'abri sous le bûcher. Fait un fourneau encore pour les feuilles, bois mort, grandes herbes, lierre. Consolidé les clôtures et barrières, payé dans le bourg plusieurs factures. Son travail de bureau le tenait aussi à l'intérieur. Cependant il voulait avant de repartir mettre la propriété en ordre; Et savait qu'en rentrant, après trois semaines, il faudrait déjà tout reprendre. Vous n'imaginez pas ça, vous, en ville. Ce n'est pas seulement le rapport. Il y a du respect pour la terre. On ne peut manquer à faire ce qu'il faut. Semblerait qu'on ne lui rend pas ce qu'elle nous donne. Même les prés ont besoin d'entretien, surtout les vieilles pairies de fond comme celles-là où n'importe quoi pousse assez vite si l'on n'y prend pas garde.

   Depuis son arrivée, fin de juin, il s'était mis en retard. Il répétait, avec raison, que fallait couper chardons, orties, oseilles avant qu'elles ne puissent dégrainer. Envahissants, ils prendraient la place de l'herbe. Même rares, leurs touffes rompent le tapis, comme on dit chez nous, « ça dégriche, ou grimace, fait vilain. » Et puis, si vous laissez vos chardons monter, les voisins se plaignent : la graine, emplumée, vole au loin quand elle est mûre, tout le quartier serait ensemencé. Cette année, je ne sais pas pourquoi, on en a eu des sacrés chardons !

 

Jean-Loup Trassard, Caloge, Le temps qu'il fait, 1991, p. 79-80.

24/01/2014

Jean-Loup Trassard, Caloge

                                   Jean-Loup Trassard, Caloge, blé, mer, oiseau, alouette

          Une semaine avec Jean-Loup Trassard

 

   Mer bientôt blonde sur ses orges, mer chevelue de seigles roux. Nous sommes là simplement pour voir. Pour marcher de façon précaire au bord d'une sphère sur son orbe. Et nous croyons que rien n'entame le regard de l'homme vers la mer.

   Marée montante du blé vert, reflux des pailles qui laissent le chaume aride. Dans l'étendue de ciel béant les oiseaux n'ont pas coutume de se percher, ils nichent sur le sol, faute de branches passent en élévation, ou chutes, leur vie criante. Alouettes que leur chant maintient hautes, qui soudain tombent en deux ou trois paliers, et devant notre étrave le vol de l'œdicnème. D'entre les vagues céréales mûrissantes sort l'appel d'une caille, nous la nommons.

   Sensible à cette respiration longue qui nous fait sur les champs monter descendre, à l'ample courbe qui jusqu'au lointain baisse relève les champs avec lenteur, nous allons sous la voile du ciel tendu, à chacun pour seule mâture sa verticalité, d'espace ivres.

 

Jean-Loup Trassard, Caloge, Le temps qu'il fait, 1991, p. 28.