14/09/2023
Tristan Tzara, Où boivent les loups
errer errer dans une tête pleine
où j’attends la seule l’absente
la mal choisie d’entre les belles
la pierre au cou
par les profondes ruelles du sourire
tant d’hommes s’égarent près du pont
toujours partie — ni rides ni vents
parmi les rares
vieille l’ombre s’est rompue
de la branche sans amis
et la dernière est morte
qui voulait revivre une jeunesse morte
toute le neige toute
le ciel où demeurent toutes
ancrées désespérément
dans un cri — d’avoir trop compris
Tristan Tzara, Où boivent les loups, dans
Œuvres complètes, 2, 1925-1933, éditions
Henri Béhar, Flammarion, 1977, p. 207.
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25/10/2013
Marie Borel, Loin
j'ai choisi dans la mesure où je n'avais pas le choix
je rêve et me souviens et en rêvant j'écris ceci
je prendrai tes doigts endormis je les poserai
en rêvant sur mon cou
les doigts de ceux qu'on aime sont des gouttes de pluie
des coquillages en place d'ongles boire l'eau fraîche
en fermant les yeux pour s'isoler
manger des œillets durs comme tes seins menus
je n'ai pas tourné la tête
mais quelque chose en moi s'est mis à trembler
je t'ai reconnue à ta jambe pensive tes genoux lustrés
ma buveuse de thé
tu t'es inclinée en dansant amoureuse d'un clavecin
au milieu d'un bonheur frêle on entend des ruisseaux
des chiens et des abeilles
tu racontes des histoires des histoires ou bien des rêves
nonchalance & absolut ou aquavit
midi dormait sur les pierres celle que tu connais
depuis une heure a mis sa main sur ton bras nu
je songe au peu que tu me donnes
conclus que tu ne m'aimes pas
désolation muette des dimanches
je me couche sur ta nuque au-dessus de ce petit os
il fait une saillie
et par le dieu de tes doigts et des espaces entre tes doigts
deux fois je t'ai revue dans des salons
dansant parmi les dorures
nous avons dit quelques mots feints je n'en peux plus
ma bouche est pleine de ta poussière
ensuite il a neigé l'oubli
moi j'imagine ces histoires
et sur mes genoux le chat les écrit
(c'est une chatte)
du moment qu'une porte est fermée
les mots prononcés derrière doivent y rester
Marie Borel, Loin, éditions de l'Attente, 2013, p. 100-101.
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04/08/2013
André Frénaud, Il n'y a pas de paradis
Si l'amour fut
Mon amour, était-ce toi ou mon seul élan,
le nom que ma parole a donné à son désir.
As-tu existé, toi l'autre ? Était-il véritable,
sous de larges pommiers entre les pignons,
ce long corps étendu tant d'années ?
L'amour a-t-il été un vrai morceau du temps ?
N'ai-je pas imaginé une vacance dans l'opaque ?
Étais-tu venue, toi qui t'en es allée ?
Ai-je été ce feu qui s'avive, disparut ?
Tout est si loin. L'absence brûle encore la glace.
Les ramures de mémoire ont charbonné.
Je suis arrêté pour jusqu'à la fin ici,
avec un souvenir qui n'a plus de figure.
Si c'est un rêve qu'éternel amour,
qu'importe j'y tiens.
J'y suis tenu ou je m'y trouve abandonné.
Désert irrémédiable et la creuse fierté.
Quand tu reviendras avec un autre visage,
je ne te reconnais pas, je ne sais plus voir, tout n'est rien.
Hier fut. Il était mêlé de bleu et frémissait,
ordonnancé par un regard qui change.
Une chevelure brillait, violemment dénouée,
recomposée autour de moi, je le croyais.
Le temps remuait parmi l'herbe souterraine.
Éclairés de colère et de rire, les jours battaient.
Hier fut.
Avant que tout ne s'ébranlât un amour a duré,
verbe qui fut vivant, humain amour mortel.
Mon amour qui tremblait par la nuit incertaine.
Mon amour cautionné dans l'œil de la tempête
et qui s'est renversé.
André Frénaud, Il n'y a pas de paradis, Poésie / Gallimard,
1967, p. 174-175.
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