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17/12/2016

Bernard Noël, Qu'est-ce qu'écrire, I

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                                       Qu’est-ce qu’écrire, I

 

(…)

   Nous écrivons avec des mots. Nous savons tous qu’écrire, c’est d’abord rassembler des mots. Nous le faisons sans savoir ce qu’ils sont, ni quel type d’outillage ils représentent, ni de quelle partie de nous ils sortent avec un tel naturel. Parfois, ce naturel tombe en panne, et une maladie s’ensuit dans le corps. Parfois, celui qui écrit ne supporte plus que son texte ne soit qu’un texte, et il fait tomber en panne ce naturel.

   L’amour, l’écriture, le jeu, etc., déclenchent un emportement dans le mouvement duquel leur acteur touche l’autre : un autre qui peut être réellement l’autre, mais qui peut aussi être une figure que nous ne touchons qu’en nous.

L’amour, l’écriture, le jeu, etc., ont ainsi dans leur activité même un sens qui nous suffit et qui fait, par exemple, que nous ne cherchons pas à sentir dans la main qui écrit une main plus ancienne, pas plus que nous cherchons à connaître la besogne qu’elle pourrait secrètement poursuivre sous le masque de l’écriture.

(…)

Bernard Noël, La Place de l’autre, Œuvres, III, P.O.L, 2013, p. 203.

05/09/2013

Michel Deguy, Donnant donnant

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L'amour est plus fort que la mort disiez-vous

Mais la vie est plus forte que l'amour et

L'indifférence plus forte que la vie — La vie

Mienne ou tienne et nôtre en quelque manière

Est ensemble la seule séquence de métamorphoses

(Le néoténique se mue en héros à sexe

Plus tard en ventru chauve pourrissant comme un dieu)

Et bains-douches au Léthé tous les mois

Et un vieillard muet en nous depuis longtemps

Survit sans douleur au charnier des enfants

 

                                                        40° Ouest 60° Nord

 

 

Michel Deguy, Donnant donnant, "Le Chemin", Gallimard, 1981, p. 28.

07/08/2013

André Frénaud, Hæres, poèmes 1968-1981

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                       Feu originel

  

                                      I

 

L'amour brûle, il n'est personne.

                                         *

Le centre est partout, il est interdit.

                                         *

Ce qui s'était allumé à jamais

                       de toujours s'obscurcissait.

                                          *

Montaient l'arbre et l'aubier pour le fourmillement.

                                          *

Le bruissement de l'origine,

l'incessant, l'incertain.

et qui ne se distinguerait pas de la finalité

inconnaissable.

                                          *

Ne discontinuait pas de se faire imminent

ce qui encore se différait.

                                           *

Si lui ne la voit pas et ne l'a jamais

                              dans sa vie, reconnue

                                                    la Joie

tout à coup s'éleva de son œuvre

                                               et le marque.

 

 

André Frénaud,  Hæres, poèmes 1968-1981, Gallimard,

1982, p. 221-222.

21/04/2013

André Frénaud, La Sainte Face, Nul ne s'égare

André Frénaud, La Sainte Face, Nul ne s'égare, la vie, l'amour, une passante (Baudelaire)

La vie est comme ça

 

—  Ça ne tache pas, c'est du vin rouge

—  Ça vous fera plaisir, c'est du sang

—  Ça ne lui fera pas de mal, ce n'est qu'un enfant

—  Ça ne vous regarde pas, c'est la vérité

—  Çane vous touche pas, c'est votre vie

—  Ça ne vous blessera pas c'est l'amour

 

André Frénaud, La Sainte Face, Poésie / Gallimard, 1985

(1968), p. 77.

 

Une passante

 

L'altière, le grand lévrier,

sa longue chevelure,

sur la pointe des pieds, dans les fourrures,

traversant le monde éclipsé...

 

Elle est repartie sans être venue,

emportant l'éblouissant désastre.

 

Des astres. Des astres. Des fleurs défaites.

 

Pour apurer les comptes

 

Ce n'est rien, donne-moi l'addition, c'est gratuit.

C'est toujours rien, tout est payé, ta vie aussi.

Tout est donné et tout repris. Mais va-t-en donc.

 

Pourquoi trembler, ou te vanter, t'émerveiller ?

Pourquoi mentir et ressasser, pourquoi rougir ?

Pourquoi vouloir, ou bien valoir ? Pour être qui ?

 

Ce n'est rien, ce ne fut jamais rien, c'est la vie.

Céder, chanter. Tout vient, s'en va, pourquoi te plaindre

si le dieu qui n'est pas paie tout ? Mais pourquoi vivre ?

 

André Frénaud, Nul ne s'égare [1982], précédé de Haeres 1986], Poésie / Gallimard, 2006, p. 267, 273. 

18/09/2012

Charles Baudelaire, Fusées

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   L'enthousiasme qui s'applique à autre chose que les abstractions est un signe de faiblesse et de maladie.

 

   La vie n'a qu'un charme vrai ; c'est le charme du Jeu Mais s'il nous est indifférent de gagner ou de perdre ?

 

   De la langue et de l'écriture prises comme opérations magiques, sorcellerie évocatoire.

 

   Dans certains états de l'âme presque surnaturels, la profondeur de la vie se révèle tout entière dans le spectacle, si ordinaire qu'il soit, qu'on a sous les yeux. Il en devient le symbole.

 

   Il y a dans l'acte de l'amour une grande ressemblance avec la torture ou avec une opération chirurgicale.

 

   Si un poète demandait à l'État le droit d'avoir quelques bourgeois dans son écurie, on serait fort étonné, tandis que si un bourgeois demandait du poète rôti, on le trouverait tout naturel.

 

   Ce qu'il y a d'enivrant dans le mauvais goût, c'est le plaisir aristocratique de déplaire.


   À chaque minute nous sommes écrasés par l'idée et la sensation du temps. Et il n'y a que deux moyens pour échapper à ce cauchemar : la plaisir et le travail. Le plaisir nous use. Le travail nous fortifie. Choisissons.

   Plus nous nous servons d'un de ces moyens, plus l'autre inspire de répugnance.

 

Charles Baudelaire, Fusées, dans Œuvres complètes, texte établi et annoté par Y.-G. Le Dantec, édition révisée par Claude Pichois, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, 1968, p. 1251, 1252, 1256, 1257, 1257, 1257, 1259, 1266.

 

23/08/2011

Paul Éluard, L'amour la poésie

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Où la vie se contemple tout est submergé

Monté les couronnes d’oubli

Les vertiges au cœur des métamorphoses

D’une écriture d’algues solaires

l’amour et l’amour.

 

Tes mains font le jour dans l’herbe

Tes yeux font l’amour en plein jour

Les sourires par la taille

Et tes lèvres par les ailes

Tu prends la place des caresses

Tu prends la place des réveils.

      

                     *

 

Toutes les larmes sans raison

Toute la nuit dans ton miroir

La vie du plancher au plafond

Tu doutes de la terre et de ta tête

Dehors tout est mortel

Pourtant tout est dehors

Tu vivras de la vie d’ici

Et de l’espace misérable

Qui répond à tes gestes

Qui placarde tes mots

Sur un mur incompréhensible

 

 Et qui donc pense à ton visage ?


Paul Éluard, L’amour la poésie, Gallimard, 1929, p. 21 et 47.