27/07/2018
Armand Robin, Le temps qu'il fait
Le silence
Le temps pour l’aube d’être aubépine et solitaire.
Le temps d’une aile d’hirondelle. Le temps pour l’air de se ployer. L’espace écarte ses deux rives, range son lit de souffles lisses, se maintient droit : le temps pour l’herbe de faire place sans s’agiter.
Le temps pour l’aubépine d ‘étendre ses dix bras. Vite fait. Le ciel aide.
Le temps du pavillon de toutes les couleurs. Le temps d’un rayon plus frais qui perle goutte à goutte.
Le temps pour l’hirondelle de couler. Le temps d’être libre. Le temps d’être l’aube. Le temps d’être l’âme. Le temps pour l’âme d’étendre ses dix bras.
Le temps d’être sauvage, d’être fait de rosée, de se croiser les bras vaillants, humides.
Le temps d’être au monde pour aimer, le temps d’aimer pour être au monde.
Le temps pour l’hirondelle de revenir. Le temps d’une herbe qui reprend calme.
Le temps qui va du souvenir à l’avenir.
Le temps sans rien que lui-même.
Armand Robin, Le temps qu’il fait, L’imaginaire/ Gallimard, 1986, p. 108-109.
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25/08/2016
Lisa Robertson, Le temps
Vendredi
Vendredi
Nous nous reposons sur la cité ou de l’eau et des formes simulées dans un beau soir après les averses le ciel plein de spécimens de formes bizarres. Cette image présente le commencement d’une brume du soir. Nous nous reposons sur des événements violents ou des enchaînements d’incidents ou d’onguents de maquillage de pollen l’ornement mobile après le fait est entré montrant tapageur vigoureux et humide. De la partie du ciel une masse nuageuse. Nous nous reposons sur le spectacle chtonien prodigieux ou sur l’imbroglio satisfaisant dans l’inachèvement comme dans les brumes basses et rampantes. L’image est après les averses. Elle signifie célèbre éclatant et beau. Dans une belle soirée d’été. Tacite. Après les averses. […]
Lisa Robertson, Le temps, traduction de l’anglais (Canada) par Éric Suchère, NOUS, 2016, p. 52.
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12/08/2013
Jacques Réda, Récitatif
Transfert
Maintenant je sors à nouveau d'une maison du temps.
Faire autrement, non, je ne peux pas, il faut que je sorte.
À peine avait-il refermé tout doucement la porte
(Il y avait des fleurs, il y avait du feu pourtant)
Je l'ai vu qui me souriait derrière la fenêtre.
J'ai tiré les petits rideaux sensibles — rouge et blanc.
Dehors aussi des fleurs et du feu : neige et ciel. Peut-être
Que nous aurions pu vivre là quelques heures, le temps
Et moi, sans rien dire, pour mieux apprendre à nous connaître.
Mais il n'entre jamais. Il bâtit sans cesse en avant.
Je l'entends de l'autre côté des collines qui frappe,
Qui m'appelle, et je ne dois pas le laisser un instant,
Mais le suivre, le consoler d'étape en étape.
Et tantôt je ne touche rien dans les maisons du temps,
Ou juste un pli qui se reforme au milieu de la nappe,
Tantôt vous comprenez c'est plus fort que moi, je descends
Tout à grands coups de pied dans cette saloperie,
Et si quelqu'un se lève alors des décombres et crie
(Parfois on dirait une femme, et parfois un enfant)
Je m'en vais sans tourner la tête, car on m'attend.
Jacques Réda, Récitatif, "Le Chemin", Gallimard, 1970, p. 69.
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23/02/2013
Alain Veinstein, Voix seule
Aujourd'hui
Le ciel est déjà si noir :
il se confond avec la terre.
Pas assez de cœur
à ce moment précis
pour appeler terre
cette radiographie
des entrailles du temps.
*
Toute ma vie, j'ai dû perdre l'équilibre
dans une scène de violence,
sans une histoire à raconter,
un drame à jouer,
tout feu tout flamme cependant
au moindre éclair de vérité
apparemment conforme à l'enfance
que je m'étais attribuée,
inventée de toute pièces,
dans l'illusion que JE me laisserait en paix.
Mais chaque fois jusqu'à présent,
il m'a fallu déchanter, bouche béante,
quand les mots volés m'ont démasqué
et que je me suis retrouvé une fois de plus sans famille,
sans maison, sans enfance,
le visage écrasé contre un rideau de théâtre.
Alain Veinstein, Voix seule, Seuil, 2011, p. 61, 126.
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11/02/2013
Lionel Ray, Comme un château défait
De toi que reste-t-il ? les mots et les chemins
de partout tombent
comme les cartes du jeu ancien.
Tu appelles du fond de la gorge
toutes les paroles du monde.
Ces mots qui ne sont à personne,
pour la grande moisson nocturne,
la messe noire du souvenir.
*
Le termps ne vieillit pas,
il tourne la page du jour,
préserve la nuit dans son poing de pierre.
Le temps est un pays immobile
en deça d etoi-même.
Il éloigne toute fin, la dissipe,
verger aux fruits obscurs
et familiers.
Lionel Ray, Comme un château défait, Gallimard,
1993, p. 94 et 95.
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21/12/2012
Chloé Bressan, le chant de le femme d'argile
Par un scintillant un rayon de jour brodé sur le temps, chiffre un, étoilé, recommence janvier. Grise étendue de ciel, grisance paradis éternel par un scintillant un rayon de jour brodé sur le temps, chiffre deux, glissant sourire parallèle par un scintillant un rayon de jour brodé sur le temps, chiffre un, étoilé, recommence par un scintillant, un rayon de jour brodé par un scintillant un ...
À son rêve
elle oppose un sourire
muet
des lézardes le long de l'échine
elle est
immobile
vision opaline, regard pierreux
sans refuge
son beau visage mais de peur
effraie le passant qui
de regard
s'arcboute
se rétracte
s'abîme au soir transi
[...]
Chloé Bressan, le chant de le femme d'argile, éditions
isabelle sauvage, 2012, p. 7-8.
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24/11/2012
Nelly Sachs, Brasier d’énigmes et autres poèmes
Et tu as traversé la mort
comme en la neige l’oiseau
toujours noir scellant l’issue…
Le temps a dégluti
les adieux que tu lui offris
jusqu’à l’extrême abandon
au bout de tes doigts
Nuit d’yeux
S’immatérialiser
Ellipse, l’air a baigné
la rue des douleurs…
Und du gingst über den Tod
wie der Vogel im Schnee
immer schwarz siegelnd das Ende –
Die Zeit schluckte
was du ihr gabst an Abschied
bis auf das äusserste Verlassen
die Fingerspitzen entlang
Augennacht
Körperlos werden
Die Luft umspülte – eine Ellipse –
die Strasse der Schmerzen –
Nelly Sachs, Brasier d’énigmes et autres poèmes,
traduit de l’allemand par Lionel Richard,
Denoël, 1967, p. 258-259.
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20/11/2012
Malcom Lowry, Pour l’amour de mourir
Le passé
Comme une vieille échelle pourrie
Qu’on a jeté d’une scierie désaffectée
Et qui flotte, émergeant seulement par le haut,
Tandis que, tout imprégné d’eau, le reste baigne,
Rongé par les tarets, encroûté de bernacles
Et de moules accrochées en papillotes bleues ;
Puante, alourdie d’algues et de ces curieux êtres
Qui vivent de la mort et de la marée basse,
Route vermiculée, en proie à l’helminthiase :
Telle est ma conscience.
De temps en temps, je la sèche au soleil,
Je l’appuie (contre rien du tout,
Puisqu’elle ne monte nulle part) ;
Mais je la garde, on ne sait jamais, ça peut servir.
Qui sait si elle n’est pas récupérable,
Si on ne pourrait pas la radouber un peu ?
Et chaque nuit sans raison ma cervelle
Monte et descend les barreaux de l’échelle.
Malcom Lowry, Pour l’amour de mourir, traduction de
J.-M. Lucchioni, préface de Bernard Noël,
éditions de La Différence, 1976, p. 97.
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09/10/2012
Valérie Rouzeau, Va où
Des heures de nuit des heures de jour je fais mon temps je pointe quoi passe
Poèmes à la chaîne j'avance bien j'oublierai peut-être au bout tout
Si je détache mieux mes syllabes de mon sentiment dans le vide si je tiens le rythme d'enfer
M'évertue à poursuivre juste sans sauter une seule ligne de chance j'oublierai peut-être au bout tout
Tellement tout sera loin au bout après des saisons de peine lourde mon boulet sous des tas de feuilles
*
Me mets en quarantaine pour faire mes lignes quoi d'autre
Me dégourdis les doigts sentiment sur la touche tac tac tac suis toquée
Me ressemble à l'index toc toc toc suis frappée
Ça peut durer longtemps de pianoter toujours et de taper jamais
Si je perdais mon temps il me ferait ce coup-là de me retrouver
Valérie Rouzeau, Va où, Le temps qu'il fait, 2002, p. 23 et 59.
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24/09/2012
Édith Azam, qui journal fait voyage
le jour du chien qui me mordra
Dans le jardin d'en face
un chien hurle à la mort :
il attend le printemps.
Près de la niche
os en plastique
plastique bouffé
par les fourmis.
Lui le chien
le très vieux chien
il est aveugle
ses yeux de cire sont gris pâle
ses yeux de cire ne voient pas
les fourmis rouges bouffer l'os
les fourmis rouges qui approchent
le chien de cire hurle à la mort
le très vieux chien
le trop vieux chien
Pendant ce temps le printemps passe
le printemps passe
le printemps passe
le printemps passe...
Le jour du jour bouffe ton tapis
Cette fois le walkman à fond
me fais la cinquième
de Beethov'
Je cours trois cents kilomètres heure
je dépasse mon corps
arrache les cheminées chimiques
désosse les lignes de chemin de fer
et me fais moi :
tout dérailler
Dehors ?
Dehors tout va très vite
le point de fuite
est souterrain
l'autre côté de moi
ne laisse pas de temps
Édith Azam, qui journal fait voyage, Atelier de
l'agneau, 2012, p. 34, 42. www.at-agneau.fr
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18/09/2012
Charles Baudelaire, Fusées
L'enthousiasme qui s'applique à autre chose que les abstractions est un signe de faiblesse et de maladie.
La vie n'a qu'un charme vrai ; c'est le charme du Jeu Mais s'il nous est indifférent de gagner ou de perdre ?
De la langue et de l'écriture prises comme opérations magiques, sorcellerie évocatoire.
Dans certains états de l'âme presque surnaturels, la profondeur de la vie se révèle tout entière dans le spectacle, si ordinaire qu'il soit, qu'on a sous les yeux. Il en devient le symbole.
Il y a dans l'acte de l'amour une grande ressemblance avec la torture ou avec une opération chirurgicale.
Si un poète demandait à l'État le droit d'avoir quelques bourgeois dans son écurie, on serait fort étonné, tandis que si un bourgeois demandait du poète rôti, on le trouverait tout naturel.
Ce qu'il y a d'enivrant dans le mauvais goût, c'est le plaisir aristocratique de déplaire.
À chaque minute nous sommes écrasés par l'idée et la sensation du temps. Et il n'y a que deux moyens pour échapper à ce cauchemar : la plaisir et le travail. Le plaisir nous use. Le travail nous fortifie. Choisissons.
Plus nous nous servons d'un de ces moyens, plus l'autre inspire de répugnance.
Charles Baudelaire, Fusées, dans Œuvres complètes, texte établi et annoté par Y.-G. Le Dantec, édition révisée par Claude Pichois, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, 1968, p. 1251, 1252, 1256, 1257, 1257, 1257, 1259, 1266.
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12/07/2011
Raymond Queneau, Battre la campagne
Avec le temps
Avec le temps le toit croule
avec le temps la tour verdit
avec le temps le taon vieillit
avec le temps le tank rouille
avec le temps l’eau mobile
et si frêle mais s’obstinant
rend la pierre plus docile
que le sable entre les dents
avec le temps les montagnes
rentrent coucher dans leur lit
avec le temps les campagnes
deviendront villes et celles-ci
retournent à leur forme première
les ruines même ayant leur fin
s’en vont rejoindre en leur déclin
le tank le toit la tour la pierre
Poussière
Derrière les semelles
vole la poussière
à condition de ne pas battre
l’asphalte des routes goudronnées
dans cette poussière il y a
de quoi rêver
du pollen des fleurs décédées
de la bouse de vache séchée
des éclats amenuisés
de silex ou de calcaire
du bois très très émietté
des feuilles pulvérisées
quelques insectes écrasés
des œufs de bêtes innomées
et tout ça vole vole vole
lorsque c’est un peu remué
et tout ça vole vole vole
vers telle ou telle destinée
projeté à coups de souliers
sur le chemin mal empierré
qui conduit au cimetière
Les pauvres gens
un champ d’un are
un litre de vin
un stère de bois
un hecto de pain
une lampe d’un watt
un mètre de toit
un centime dans la poche
des années d’existence
Raymond Queneau, Battre la campagne, Gallimard, 1968, p. 45, 132 et 182.
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