13/08/2013
Jacques Réda, L'incorrigible
Oiseaux automatiques
La tourterelle, on dirait qu'elle est mécanique.
Toute la matinée, elle a volé d'un toit
À l'autre avec un grincement mélancolique
De vieux jouet en fer qu'on remonte d'un doigt
Prudent pour ménager le ressort en spirale
Qui sans doute a rouillé depuis vingt ou trente ans.
Mais non, ça marche encore, et l'on entend ce râle
S'efforcer entre des rouages grelottants.
Puis un pinson réglé comme une horloge vrille
Et vrille de nouveau, tout au fond du jardin.
L'air presque froid sous un ciel gris où rien ne brille :
Quelle cloison veut-il crever ? Ce qu'il atteint.
En fin de compte, c'est l'écœurante purée
Qu'on voudrait garder sous la paroi
La plus dure. Mais quand ce fer de la durée
La perfore, une paix se mêle au désarroi.
Car ce chant qui revient sans arrêt, identique,
Dit que le temps existe et qu'il ne compte pas.
Que l'heure sonne en vain puisqu'elle communique
Avec un vide où les attentes, les combats,
Les abandons, l'espoir et l'oubli s'équilibrent
Comme le ciel et son reflet dans les canaux.
Tout est joué d'avance. Il ne reste de libre
Que la querelle vaine et sans fin des oiseaux.
Jacques Réda, L'incorrigible, Gallimard, 1995, p. 30-31.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES, Réda Jacques | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : jacques réda, l'incorrigible, oiseaux, tourterelle, pinson, oubli, temps | Facebook |
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