Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

03/05/2025

Philippe Jaccottet, La Semaison

 

                               Philippe jaccottet, la semaison, pluie

Pluie oblique, changeante, passante ou fuyante ; bruit d’une machine indéterminée, peut-être dans les champs. Journées encore presque froides, méchantes. Le bruit des voitures est aussi comme celui d’une machine, d’un outil qui s’enfoncerait dans la matière de l’air pour lr percer.

Des paroles brèves comme une rapide pluie. Comme ces lignes qu’elle laisse sur la vitre un instant, brillantes, étoilées, et pourtant chaque perle, chaque goutte a son nœud d’ombre. Derrière l’astre des larmes, l’herbe encore un peu plus verte, et une multitude analogue dans le nid des arbres. Une fumée bleue comme les lointains.

 

Philippe Jaccottet, La Semaison dans, Œuvres, Pléiade/Gallimard, 2014, p. 353

.

02/05/2025

Philippe Jaccottet, Airs

 

            Unknown-10.jpeg

Dans l’herbe à l’hiver survivant

ces ombres moins pesantes qu’elle,

des timides bois patients

sont la discrète, la fidèle,

 

l’encore imperceptible mort

 

Toujours dans le jour tournant

ce vol autour de nos corps

Toujours dans le champ du jour

ces tombes d’ardoise bleue

 

Philippe Jaccottet, Airs, dans Œuvres,

Pléiade/Gallimard, 2014, p. 422.

30/04/2025

Philippe Jaccottet, Dans le ciel...

                               philippe jaccottet, dans le ciel..., hiver, ciel

 

Les couleurs graves des fins d’après -midi, l’hiver : le brun qui tire sur le fauve, le pourpre, le violet ; le vert très sombre, les lointains bleus ; et aujourd’hui, entre l’horizon et de longs nuages peut-être chargés de neige, un morceau de ciel si clair qu’il en paraît juvénile ou angélique. L’enclos du grand jardin avec ses murs couverts de lierre donne toujours un même conseil de calme, de patience, de confiante attente.

Autre « Chambre des époux » fidèles, avec à la voûte cette couronne légère, cette baie d’air animée par de rares nuages pareils à des roses. Comme si l’on embrassait d’un même regard la navigation, là-haut, et tout en bas l’heureuse rumeur du port.

 

Philippe Jaccottet, Dans le ciel…, dans Œuvres, Pléiade/Gallimard, 2014, p. 765.

 

27/04/2025

Philippe Jaccottet, Observations I

                                    Unknown-10.jpeg

 Le vingt-huit novembre au matin, comme je passais le pont du Carrousel, une brume sans aucun poids ni moiteur (le ciel au zénith étant clair) enveloppait encore la Seine, le Louvre, la passerelle des Arts et au moins la base de l’Île. Ni la Tour Saint-Jacques, ni le City-Hôtel, ni le Vert Galant n’existaient plus qu’une âme endormie. Un soleil parfaitement rouge apparut dans leur rêve et roula, par-dessus les toits du Louvre jusque sur le jardin qu’ils encadrent.

 

Philippe Jaccottet, Observations I, dans Œuvres, Pléiade/Gallimard,

2014, p. 32.

10/11/2024

Philippe Jaccottet, Airs

Unknown-6.jpeg

Qu’est-ce que le regard ?

 

Un dard plus aigu que la langue

la course d’un excès à l’autre

du plus profond au plus lointain

du plus sombre au plus pur

 

un rapace

 

Philippe Jaccottet, Airs, dans

Œuvres, Gallimard, Pléiade, 2014, p. 427.

09/11/2024

Philippe Jaccottet, Leçons

Unknown-1.jpeg

Toi cependant,

 

ou tout à fait effacé

 

et nous laissant moins de cendres

que feu d’un soir au foyer,

 

ou invisible habitant l’invisible,

 

ou graine dans la loge de nos cœurs,

 

quoi qu’il en soit,

 

demeure en modèle de patience et de sourire,

tel le soleil dans notre dos encore

qui éclaire la table, et la page, et les raisins ?

 

Philippe Jaccottet, Leçons, dans Œuvres,

Gallimard, Pléiade, 2014, p. 460.

08/11/2024

Philippe Jaccottet, Airs

Unknown-6.jpeg

Qu’est-ce que le regard ?

 

Un dard plus aigu que la langue

la course d’un excès à l’autre

du plus profond au plus lointain

du plus sombre au plus pur

 

un rapace

 

Philippe Jaccottet, Airs, dans

Œuvres, Gallimard, Pléiade, 2014, p. 427.

07/11/2024

Philippe Jaccotet, L'Ignorant

Unknown-2.jpeg

Chanson

 

Qui n’a vu monter ce rire

comme du fond du jardin

la lune encore peu sûre ?

Qui n’a vu s’ouvrir la porte

au bout de l’allée de pluie ?

 

(Ah ! qui entre dans cette ombre

 ne l’oublie pas de sitôt !)

 

Les bras merveilleux de l’herbe

et ses ruisselants cheveux,

la flamme, du bois mouillé

tirant rougeur et soupirs…

 

(Qui s’enfonce dans cette ombre

ne l’oubliera de sa vie)

 

Qui ‘a vu monter ce rire…

Mais toujours vers nous tourné,

on ne peut qu’appréhender

sa face d’ombre et de larmes.

 

Philippe Jaccottet, L’Ignorant, dans

Œuvres, Gallimard, Pléiade, 2014, p. 147.

06/11/2024

Philippe Jaccottet, Observations, I

 

Unknown-4.jpeg

  L’amour lui-même ne doit-il pas être absolument sans but ? Ainsi une sorte de bonheur semblerait possible même dans les plus dures conditions. 

La lumière du monde n’est pas moins pure qu’au temps des Grecs ; mais moins proche, et nos paroles moins limpides. Il es inquiétant de songer à cette évolution. 

La vanité est tressée dans la littérature. Elle détruit. Bonheur de la naïveté. 

Pas de hâte. On est toujours trop pressé. La source est bien gardée : que de contes nous l’ont dit ! Ce n’est pas encore aujourd’hui que tu dissiperas l’obscurité qui t’entoure, que tu deviendras le compagnon des oiseaux.

 

Philippe Jaccottet, Observations I, Gallimard, Pléiade, 2014, p.44, 46, 56, 62.

05/11/2024

Philippe Jaccottet, L'Effraie et autres poésies

Unknown.jpeg

Les eaux et les forêts

 

I

La clarté de ces bois en mars est irréelle,

tout est encore si frais qu’à peine insiste-t-elle.

Les oiseaux ne sont pas nombreux ; tout juste si,

très loin, où l'aubépine éclaire les taillis,

le coucou chante. On voit scintiller des fumées

qui emportent ce qu’on brûla d’une journée,

la feuille morte sert les vivantes couronnes

et, suivant la leçon des plus mauvais chemins

sous les ronces, on rejoint le nid de l’anémone,

 claire et commune comme l’étoile du matin.

 

Philippe Jaccottet, L’Effraie et autres poésies, dans

Œuvres, Gallimard, Pléiade, 2014, p. 20.

22/05/2023

Philippe Jaccottet, Le dernier livre de Madrigaux

 

Unknown-2.jpeg

Tous les blés flambent

et la brève alouette est un fragment ascendant de ce feu.

Elle ne gravit tous les paliers de l’air

que parce que le sol est trop brûlant.

 

Il est une beauté que les yeux et les mains touchent

et qui fait faire au cœur un premier degré dans le chant.

Mais l’autre se dérobe et il faut s’élever plus haut

jusqu’à ce que nous autres ne voyions plus rien,

la belle cible et le chasseur tenace

confondus dans la jubilation de la lumière.

 

Philippe Jaccottet, Le dernier livre de Madrigaux,

Gallimard, 2021, p. 30.

08/03/2023

Philippe Jaccottet, Le dernier livre de Madrigaux

image.jpg

Tous les blés flambent

et la brève alouette

est un fragment ascendant de ce feu.

Elle ne gravit tous les paliers de l’air

que parce que le sol est trop brûlant.

 

Il est une beauté que les yeux et les mains touchent

et qui fait faire au cœur un premier degré dans le chant.

Mais l’autre et dérobe et il faut s’élever plus haut

jusqu’à ce que nous autres ne voyions plus rien,

la belle cible et le chasseur tenace

confondus dans la jubilation de la lumière.

 

Philippe Jaccottet, Le dernier livre de Madrigaux,

Gallimard, 2021, p. 30.

07/03/2023

Philippe Jaccottet, Le dernier livre de Madrigaux

                1200x680_jaccottet_2.jpg

En écoutant Claudio Monteverdi

 

On croirait, quand il chante, qu’il appelle une ombre

qu’il aurait entrevue un jour dans la forêt

et qu’il faudrait, fût-ce au prix de son âme, retenir :

c’est par urgence que sa voix prend feu.

 

Alors , à sa lumière d’incendie, on aperçoit :

une pré nocturne, humide, et par-delà

où il avait surpris cette ombre tendre,

ou beaucoup mieux et plus tendre qu’une ombre :

 

Il n’y a plus que chênes et violette maintenant.

 

La voix qui a illuminé la distance retombe. 

 

Je ne sais pas s’il a franchi le pré.

 

Philippe Jaccottet, Le dernier livre de Madrigaux,

Gallimard, 2021, p. 9.

09/10/2021

Philippe Jaccottet, Ponge, pâturages, prairies

                               images.jpeg

En se rejoignant

elles deviennent silencieuses

les eaux de montagne

 

   Qu’a donc voulu dire Buson en écrivant ce haïku, sinon, apparemment, ceci : qu’au moment où confluent au fond de la vallée les torrents descendus des montagnes, on cesse d’entendre le bruit de leurs eaux ? Belle découverte !

   Il se trouve toutefois que l’extrême concision du haïku, en ne laissant passer dans les mots que quatre éléments : la montagne, les eaux, leur confluence et le silence qui s’ensuit, en les associant comme elle le fait dans un mouvement et une sorte de métamorphose, permet au poète de susciter, autour de ce presque rien, un espace ouvert où la rencontre de ces éléments, dont chacun est lié pour nous à un nombre très élevé de correspondances intérieures, de souvenirs et de rêves peut prendre sa plus large et plus profonde résonance. En cela, de surcroît, sans avoir l’air d »’y toucher, sans que cette notation qui serait, formulée autrement, à la limite de l’insignifiance, soit aucunement montée en épingle.

 

Philippe Jaccottet, Ponge, pâturages, prairies, le bruit du temps, 2015, p. 47-48.

08/10/2021

Philippe Jaccottet, Taches de soleil, ou d'ombre

Unknown.jpeg

8 mai 1995

Le mot « élucubration » : « veille, travail qu’un ouvrage a coûté », « ouvrage composé à force de veilles et de travail » ; le mot souvent entendu comme synonyme de pensées plus ou moins laborieusement extravagantes. Il pourrait me servir de titre pour certain ensemble de textes, avec cette note : « Élucubrations : travaux accomplis à la lueur de la lampe, souvent entendus comme laborieux sinon extravagants ; quoi qu’il en soit, accomplis pendant les heures nocturnes, dans les ténèbres et contre les ténèbres ; dans ce cas-ci, avant qu’elles ne l’emportent définitivement, sans que l’on puisse mesurer qu’elle avance on garde encore sur elles. »

 

Philippe Jaccottet, Taches de soleil, ou d’ombre, le bruit du temps, 2013, p. 154.