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08/03/2021

Esther Tellermann, Corps rassemblé

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Pour elle il

voulut le

milieu des chambres

d’où nul ne

la soustrait

un halo qui

la dresse

en des cires

qui la font luire

     et disparaître

un hortensia fané

qui garde sa ténèbre

un Orient immobile

sur les serments.

 

Esther Tellermann, Corps

 rassemblé, éditions Unes,

2020, p. 91.

04/05/2016

William Blake, Chanson de folie

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           Chanson de folie

 

Les vents sauvages pleurent,

   La nuit est glacée ;

Viens ici, Sommeil,

   Et dévoile mes chagrins.

Mais voici le point du jour

   Dans les hauteurs de l’Orient

Et les oiseaux frémissants de l’aube

S’envolent loin de la terre.

 

Voyez, jusqu’au zénith

   De la voûte céleste,

Chargés de douleur

   Mes accents sont portés ;

Ils frappent l’oreille de la nuit,

   Et font couler les larmes du jour ;

Ils font rugir les vents en folie

Et se jouent avec la tempête.

 

Comme un démon dans la nue

   Hurlant de douleur

Suivant la nuit je me hâte

   Et avec la nuit je m’en irai

Me détournant de l’Orient

   D’où nous est venue consolation,

Car la lumière frappe mon âme

D’un indicible mal.

 

William Blake, Esquisses poétiques, dans

Poèmes, traduction L. M. Cazamian,

Aubier-Flammarion, 1968, p. 99.

 

28/02/2015

Gérard Macé, Le Manteau de Fortuny : recension

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   Pour des lecteurs qui ne trouvaient leur bien que dans les bibliothèques, l’arrivée du "Livre de Poche" au début des années 1950 a représenté un moment heureux : on a eu le sentiment que l’on pourrait tout avoir chez soi. Et il est vrai qu’aujourd’hui presque tout (presque...) est disponible ; pour quelques euros, on peut lire les vivants et les morts, Kafka et Faulkner, Quignard et Roubaud. Mais pas encore Prigent ou Beck. Et bien d’autres. Aussi est-ce un vrai plaisir de voir apparaître une nouvelle collection qui propose des auteurs peu représentés en "poche" : le Hongrois Péter Nádas (La Fin d’un roman de famille), le Russe Isaac Babel (Histoire de mon pigeonnier), l’Américain Henry James (avec une nouvelle traduction des Ambassadeurs) et deux écrivains français trop peu lus, Gilles Ortlieb avec Soldats et autres récits, Gérard Macé et Le Manteau de Fortuny — que je retiens.

    Gérard Macé, traducteur de Cristina Campo et Thomas de Quincey, préfacier de Nerval et de Jean Tardieu, a notamment publié plusieurs livres dans la collection "Le Chemin" de Gorges Lambrichs, dont Le Manteau de Fortuny en 1987. Parcours dans À la recherche du temps perdu, le livre est suivi dans cette édition d’une étude ("Manteaux et tombeaux") sur l’œuvre de Macé, dans laquelle Jean-Pierre Richard analyse un motif dominant, celui du manteau, « figure originelle d’enveloppement, de contenance ». Comme le rappelle Macé, Mariano Fortuny (1878-1949), admiré de Proust, était installé à Venise ; peintre, scénographe et couturier, ses manteaux et ses robes (que portait Sarah Bernhardt), s’inspiraient notamment de tableaux des peintres Carpaccio et Véronèse. Pour Macé ces vêtements, qui semblaient surgir du temps passé, sont des « parures de ce temps qu’on perd et retrouve à l’intérieur du récit, dont ils ont l’épaisseur apparente et l’irréelle légèreté » ou, pour reprendre Proust, c’étaient des créations « fidèlement antiques mais puissamment originales ». C‘est pourquoi Macé, détachant des détails et opérant des rapprochements, voit une ressemblance entre l’activité de Fortuny et  la construction romanesque de Proust, mettant au jour chez les deux artistes des emprunts transposés, de lointaines imitations, la lumière du songe et la perspective en dehors des lois, la nature rehaussée par les couleurs du vitrail, un mélange de caprice et d’architecture, de précision héraldique et d’invention personnelle, mais par-dessus tout cette vue d’ensemble qui permet des rapprochements vertigineux dans l’espace et dans le temps.

   Devant le tableau de Carpaccio auquel Fortuny a emprunté arabesques et couleurs d’Orient, la narrateur de la Recherche revoit le manteau d’Albertine, porté sur la toile par un jeune homme. Le lecteur, lui, assemble les multiples allusions à l’Orient, toutes relevées par Macé ; s’en détachent deux personnages féminins qui renvoient à deux espaces et deux temps différents, celui de Shéhérazade et des Mille et une nuits, celui d’Esther et de l’histoire juive. Macé retrace l’épisode concernant Esther et Assuérus, rappelle que les rôles masculins de la pièce de Racine étaient interprétés par des jeunes filles, les pensionnaires de Mme de Maintenon et analyse le rôle qu’elle joue dans le roman. Il montre ensuite la fonction jouée par les Mille et une nuits et l’Orient, « rime intérieure » dans la Recherche. Avec ces deux références, « l’Orient est ainsi partagé entre magie et tradition, entre tapis volant et terre promise ».

 

   Le livre s’achève avec deux chapitre de réflexions sur les souvenirs de Céleste Albaret, « moins superficiels et moins niais qu’on ne l’a dit quelquefois », grâce auxquels on apprend mille détails de la vie quotidienne de Proust et ce qu’elle a vu de près, « comme tout lecteur attentif de la Recherche » le reconstitue, « c’est sa métamorphose en Shéhérazade » et « ce qu’elle pressent quelquefois, c’est la mystérieuse présence du plus invisible des personnages, le Temps ». D’où l’absence de Proust au monde visible, la vie dans le silence toute consacrée aux personnages invisibles, l’entrée progressive dans la mort.

 

   Je n’ai repris que quelques éléments de ce livre, à la fois lecture de la Recherche et lié aux autres ouvrages de Macé qui, comme l’écrit Jean-Pierre Richard, « semble penser [...] qu’on écrit pour réparer un corps cassé, un manteau déchiré, mais à partir du geste de la déchirure même. » On relit sans doute Proust autrement après Le Manteau de Fortuny et, surtout, on continue à lire Macé.

 

Gérard Macé, Le Manteau de Fortuny, Le bruit du temps, 2014, 120 p., 7 €.

Cette recension a été publiée sur Sitaudis le 13 février 2015.

 

 

28/01/2015

Eugène Fromentin, Carnet de voyage en Algérie

Eugène Fromentin, Carnet de voyage en Algérie, neige, douar, montagne, orient

        Fromentin, Tente au Sahara                   

 

                          Carnet de voyage en Algérie

 

   [...]

24 janvier 1848. Départ avant le jour. Nous escortons la voiture, nous descendons à pied les pentes les plus rapides. Matinée claire et très froide. Il y a de la glace dans les ornières et dans tous les pas des chevaux. le terrain durci par la gelée nous blesse les pieds, mais nous permet d'aller sans nous embourber. Nous dominons une étendue considérable de montagnes. Le soleil se lève derrière de lointains sommets couverts de neiges, et nous frappe au visage, nous enveloppe de lumière. Le ciel est d'une sérénité admirable. L'air vif des régions élevées dilate la poitrine et nous nous précipitons en criant sur les pentes. La glace frémit déjà et le terrain fléchit sous les pieds. Rencontre d'un douar (le premier depuis Philippeville), abrité dans un pli profond de la vallée. Les troupeaux se dispersent. Arabe en simple gandoura retenue par une ceinture en corde, monté sur un cheval à poil, un bâton à la main et conduisant un troupeau de bêtes à cornes.

   (...) ferme fortifiée, à la fois étable, écurie et caserne. — À 10 heures déjeuner au Hamma. Nous avons fini de descendre. Nous venons de sortir de la montagne et nous rentrons dans la riante et fertile vallée du Rummel. Le Hamma est le jardin de Constantine dont il n'est éloigné que de cinq à six kilomètres. Il faut une heure de cheval pour descendre de Constantine au Hamma, il en faut deux pour y monter. Arbres en fleurs ou déjà couverts de feuilles. Quelques palmiers épars dans les massifs d'oliviers, de caroubiers et d'arbres à fruits suffisent pour restituer au paysage son caractère oriental.

 

Eugène Fromentin,  Carnet de voyage en Algérie, dans Œuvres complètes, édition établie, présentée et annotée par Guy Sagnes, Pléiade / Gallimard, 1984, p. 927.

27/12/2014

William Blake, Esquisses poétiques

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    Chanson de folie

 

Les vents sauvages pleurent,

   La nuit est glacée ;

Viens, ici, Sommeil,

   Et dévoile mes chagrins.

Mais voici le point du jour

   Dans les hauteurs de l’Orient

Et les oiseaux frémissants de l’aube

S’envolent loin de la terre.

 

Voyez, jusqu’au zénith

   De la voûte céleste,

Chargés de douleur

   Mes accents sont portés ;

Ils frappent l’oreille de la nuit,

   Et font couler les larmes du jour ;

 Ils font rugir les vents en folie

   Et se jouent avec la tempête.

 

 

Comme un démon dans la nue

   Hurlant de douleur

Suivant la nuit je me hâte

   Et avec la nuit je m’en irai

Me détournant de l’Orient

D’où nous est venue consolation,

Car la lumière frappe mon âge

D’un indicible mal.

 

 

    Mad Song

 

The wild winds weep,

   And the night is a-cold;

Come hither, Sleep,

   And my griefs unfold:

But lo! the morning peeps

   Over the eastern steeps,

And the rustling birds of dawn

The earth do scorn.

 

Lo! to the vault

   Of paved heaven,

With sorrow fraught

   My notes are driven;

They strike the ear of night,

   Make weep the eyes of day;

They make mad the roaring winds,

   And with tempests play.

 

Like a fiend in a cloud

   With howling woe,

After night I do croud,

   And with night will go;

I turn my back to the east

From whence comforts have increas’d;

For light doth seize my brain

With frantic pain.

 

William Blake, Esquisses poétiques (extraits),

traduction M. L. Cazamian, Aubier-Flammarion,

1968, p. 98-99.