13/11/2023
Étienne Paulin, Là
Novembre
j’aime les bruits qu’on entend
très haut dans le ville
si loin qu’on se demande
on ne sait pas ce qu’ils racontent
un fracas de grues
de chaînes enragées
ils finissent par nous aimer
parfois plus lointains
quelques-uns s’apostrophent
puis repartent
et je devine le ciel au-dessus d’eux
marbré solide
vainqueur
Étienne Paulin, Là,
Gallimard, 2018, p. 46.
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16/11/2017
Hélène Sanguinetti, Domaine des englués, suivi de six réponses à Jean-Baptiste Para
Automne à nouveau
2 novembre à nouveau passé. Anniversaire de nos morts. Visite au cimetière. Calme visite étonnamment.
Que voulez-vous faire de vous après ? Enterré, pourrissant, farci de vers, blanchi enfin ? ou brûlé, éparpillé, dans la belle nature d’où vous venez ? ou brûlé conservé, délicatement posé enfermé ? ou exposé, dévoré en haut de la tour, morceaux de vous que charognards s’arrachent ? Dures questions. Le bushi ce n’est pas moi. Hurler la mort qui fait vieillir d’un coup tous ceux qui aimaient, aiment, restent. Oh, des cœurs aussi friables !
Hélène Sanguinetti, Domaine des englués, suivi de Six réponses à Jean-Baptiste Para, La Lettre volée, 2017, p. 26.
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10/11/2016
Paul Claudel, Connaissance de l'Est
Novembre
Le soleil se couche sur une journée de paix et de labeur. Et les hommes, les femmes et les enfants, la tignasse pleine de poussière et de fétus, la face et les jambes maculées de terre, travaillent encore. Ici on coupe le riz ; là on ramasse les javelles, et comme sur un papier peint est reproduite à l’infini la même scène, de tous les côtés se multiple la grande cuve de bois quadrangulaire avec les gens qui face à face battent les épis à poignées entre ses parois ; et déjà la charrue commence à retourner le limon. Voici l’odeur de grain, voici le parfum de la moisson. Au bout de la plaine occupée par les travaux agricoles on voit un grand fleuve, et là-bas, au milieu de la campagne, un arc de triomphe, coloré par le couchant d’un feu vermeil, complète le paisible tableau. Un homme qui passe auprès de moi tient à la main des poules couleur de flamme, un autre porte aux extrémités de son bambou, devant lui, une grosse théière d’étain, derrière un paquet formé d’une hotte verte d’appétits, d’un morceau de viande et d’une liasse de ces taëls de papier d’argent que l’on brûle pour les morts, un poisson pend au-dessous par une paille. La blouse bleue, la culotte violette éclatent sur l’or terni de l’éteule.
Paul Claudel, Connaissance de l’Est [1900], Poésie / Gallimard, 1974, p. 60.
Pour que vive la Maison du Peuple (Saint-Brieuc)
«Et il faudrait ne rien dire ?»
Louis Guilloux,
La Maison du Peuple
OÙ EN SOMMES-NOUS ?
La Maison du Peuple de Saint-Brieuc, inaugurée en 1932, est interdite au public depuis 2005 pour des raisons de sécurité.
En 2008, Bruno Joncour en inscrit la réhabilitation dans son programme électoral.
En 2010, le mouvement social contre la réforme des retraites utilise un barnum installé sur la place Poulain-Corbion, derrière la Maison du Peuple fermée ; à la suite de quoi est créé à l'initiative de militants CGT et FSU un «Comité des usagers historiques de la Maison du peuple».
Lors du Conseil Municipal du 1er février 2011, le maire Bruno Joncour présente un rapport sur la «mise en place d'une concertation sur le devenir du site» de la Maison du Peuple. A cette occasion, il déclare : « Je vous propose ce soir que la Maison du Peuple [...] soit rénovée, reconstruite, dans l'esprit qui a été le sien lors de sa création et avec, naturellement, la vocation qui se rattache à son histoire».
Un «Comité de pilotage» chargé d'envisager des solutions pour «faire revivre» l'édifice est alors mis en place.
Depuis cette date (cinq ans déjà), RIEN n'a été fait et le site de la rue Cardenoual est à l'abandon.
QU'EST-CE QUE LA MAISON DU PEUPLE DE SAINT-BRIEUC ?
La Maison du Peuple de Saint-Brieuc n'est pas n'importe quelle Maison. Ce n'est pas qu'une Maison des Syndicats. Ce n'est pas une M. J. C ou une Maison de la Culture. C'est encore moins une salle polyvalente. Elle s'inscrit dans le mouvement d'éducation populaire (années 1920-1930) qui vit des ouvriers organisés prendre l'initiative de la construction de nombreuses maisons de ce type, en Belgique, en Suisse et en France.
Pourtant, ce n'est pas non plus n'importe quelle Maison du Peuple.
Sa singularité lui vient d'abord de ses origines (telles qu'elles sont évoquées dans le roman de Louis Guilloux, La Maison du Peuple, publié en 1927).
Elle lui vient ensuite de son histoire (depuis son inauguration en présence de Léon Jouhaux, secrétaire général de la CGT, jusqu'aux manifestations de 2010 — en passant par le Front Populaire, l'arrivée des réfugiés espagnols en 1939, les meetings de 1968, les luttes du Joint Français en 1972, le mouvement des chômeurs en 1998, la grève des enseignants en 2003...).
Elle lui vient enfin de la force symbolique que lui a conférée cette succession de rassemblements syndicaux, de batailles politiques, de débats démocratiques, d'actions de solidarité, de manifestations culturelles et artistiques (en 1999 elle accueillit la lecture de l’intégrale du Jeu de Patience de Louis Guilloux par plus de 200 habitants de la ville).
En somme, ce n'est pas seulement un bâtiment : c'est un mémorial. La présence de cette mémoire vivante au cœur de la cité est une réserve de sens et de confiance pour les luttes d'aujourd'hui comme pour celles de demain.
QUE VOULONS-NOUS ?
Nous sommes nombreux à Saint-Brieuc à croire qu'il peut toujours exister sous ce beau nom de «Maison du Peuple» un espace démocratique ouvert à toutes et à tous, à l'expression libre et à la prise de parole émancipatrice.
Nous ne voulons pas nous résoudre à ce que ce bâtiment intimement lié à l'image de notre ville soit détruit (ou même déplacé) — parce qu'il ne s'agirait pas seulement de la disparition d'un édifice mais de l'enterrement des questions que cet édifice incarne et suscite.
Nous voulons que la Maison du Peuple soit rénovée ou reconstruite sur place (au cœur de la cité) et dédiée à sa vocation historique : être «un outil au service du monde du travail, de ses luttes, et au service de l'éducation populaire»1.
Bien entendu, cette Maison du Peuple que nous appelons de nos vœux devra à nouveau accueillir des rassemblements syndicaux, fournir des salles de réunions pour la vie associative, être un lieu de meetings politiques, ouvrir ses salles à des spectacles, des concerts, des festivités populaires, servir de base à des actions solidaires et fonctionner comme établissement d'éducation populaire (par exemple pour l'alphabétisation des réfugiés, demandeurs d'asile, migrants).
UN PEUPLE ET SA MAISON ?
Vouloir maintenir et faire vivre à Saint-Brieuc une Maison du Peuple semble supposer que l'on sache ce qu'est aujourd'hui le «peuple» et qu'on ait une idée de ses «besoins» — auxquels répondrait l'existence d'une «Maison» qui serait la sienne.
Mais nul ne dispose aujourd'hui de ce savoir. Il s'agit de questions. Nous voulons qu'elles restent ouvertes. Ce n'est que dans l'action que des réponses peuvent apparaître. Une Maison du Peuple est un bon lieu pour accueillir ces actions et aider à formuler les réponses nouvelles dont notre temps a besoin.
Il faut pour cela que la gestion d'une telle maison ne soit ni sectaire, ni illusoirement œcuménique, ni figée dans les rôles et les modes d'action que son histoire a promus. Il faut au contraire qu'elle s'ouvre aux formes nouvelles d'action sociale, politique et culturelle qui s'inventent un peu partout aujourd'hui.
APPEL
Nous invitons le plus grand nombre possible de personnes et d'organisations à nous rejoindre et à agir pour obtenir des pouvoirs publics que la Maison du Peuple de Saint-Brieuc ne soit ni laissée à son état d'abandon actuel ni vendue et démolie; mais qu'elle soit au contraire réhabilitée sur place et remise en activité selon les vœux de la population briochine et conformément aux engagements pris il y a maintenant cinq ans par l'actuelle équipe municipale.
Vanda Benes (actrice), Roland Fichet (auteur dramatique), Michel Guyomard (responsable d'action culturelle), Guillaume Hamon (fonctionnaire territorial), Hervé Hamon (écrivain), Jean Guy Le Bère (ancien conseiller municipal), Vonig Le Goïc (militante associative), Yann Le Guiet (professeur de Lettres retraité), Annie Lucas (artiste dramatique), Monique Lucas (comédienne, professeure d'art dramatique), Lan Mafart (limonadier, libraire), Gérard Mauduit (citoyen militant), Jacky Ollivro (retraité, militant syndical), Christian Prigent (écrivain), Paul Recoursé (militant associatif), Robert Uriac, Jean-Luc Wilmart (retraité Gens de Mer).
Contacts :
christian.prigent@gmail.com
paul.recourse@wanadoo.fr
Publié sur Situais le 4 novembre 2016
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26/12/2014
André du Bouchet, Orion / Image : Reflets dans l'étang
au détour de la
route — sorties de la route — deux traces de roue dans les terres. en novembre deux traces vertes — plus vertes que le vert aujourd’hui de la première levée des semis d’hiver.mais
tranchant, là sur le vert léger étale, ce qui sur cette trace a pu lever l’emporte sur les traces.deux parallèles parties vers le haut se recoupent où le souvenir du tracteur dont les roues sur leur demi-tour auront, en tassant le sol, suscité le surcroît de couleur s’efface dans le versant monochrome.
là-devant, plus d’une fois l’un ou l’autre — du regard ou sur son pas — a un instant fait halte.
en surplomb le vert — plus vert, là, que le vert, se voit comme retranché du vert.
la trace, elle, en retrait. le vert, sitôt en avant
de la trace.
André du Bouchet, Orion, Deyrolle éditeur, 1993, p. 29-30.
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21/10/2011
Thomas Hardy, À la tombée du jour en novembre
À la tombée du jour en novembre
La lumière de dix heures tombe,
Et un oiseau captif vole,
Là où les pins, comme des valseurs qui attendent,
Relèvent leurs têtes noires.
Des feuilles de hêtre , qui colorent de jaune l’heure de midi,
Flottent aériennes comme des taches sur l’œil ;
J’ai planté chaque arbre au printemps de ma vie,
Et maintenant ils obscurcissent le ciel.
Et les enfants qui flânent par ici
Croient qu’il n’a jamais été
De temps où il ne poussait ici aucun de ces grands arbres,
Que l’on ne verra plus un jour.
Thomas Hardy, Poésies, édition bilingue, traduit par Marie-Hélène Gourlaouen et Bernard Géniès, éditions Les Formes du Secret, 1980, p. 73.
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