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13/03/2020

André Breton, Paul Éluard , Correspondance 1918-1939 : recension

           André Breton, Paul Éluard, Correspondance 1919-1938,

Quelques volumes de la correspondance d’Éluard et de Breton ont déjà paru (1) ; ce nouvel ensemble a été préparé par Étienne-Alain Hubert, qui a collaboré à l’édition des œuvres d’André Breton par Marguerite Bonnet dans la Pléiade. Après une présentation détaillée des lettres, il retrace dans sa préface l’évolution des deux poètes après leur rupture. Bien que des lettres aient été perdues, ces échanges épistolaires constituent une chronique passionnante, même si partielle et partiale, d’une période littéraire essentielle, celle de la formation et du développement du surréalisme, avec quelques-unes des querelles qui l’ont agité. On lit aussi les débuts et l’épanouissement d’une amitié, la richesse des échanges affectifs et intellectuels entre les deux poètes — ils écrivirent d’ailleurs ensemble L’immaculée conception (1930) — et comment des divergences politiques quant aux moyens de vivre un idéal ont provoqué leur éloignement. Comme pour les volumes déjà parus les notes, indispensables au lecteur d’aujourd’hui, restituent le contexte des lettres et précisent la position et le rôle de personnes proches ou non de Breton et Éluard — l’index compte plus de 400 noms — écrivains, peintres, marchands, directeurs de revues, personnel politique, etc. Ajoutons que des fac-similés de lettres et cartes postales, et quelques photos, illstrent le volume.

 La rencontre est d’abord liée à la littérature ; Breton écrit (4 mars 1919) à Éluard après avoir lu Le Devoir et l’inquiétude, court ensemble de poèmes publiés en 1917, et l’invite à collaborer à la revue Littérature, « Jean Paulhan me dit que sans doute vous écririez dans Littérature ». Leur amitié se construit notamment par l’envoi de livres et Breton exprime rapidement son affection, en septembre 1919, « Peu de choses me tiennent à cœur, cependant votre amitié et quelques autres » et en décembre’ 1920, « Je m’ennuie bien de vous » — le tutoiement n’intervient qu’en août 1923. Cette relation affective est dite tout au long des années par l’un et l’autre, aussi bien au début des lettres que dans leur conclusion (A. B. « A toi comme à personne », P. E. « A toi très affectueusement »). Entente quant à ce que devrait être la poésie — Breton écrit un article laudatif à propos d’Éluard) —, engagement commun pour changer le monde, attitude générale partagée (plutôt prédatrice) vis-à-vis des femmes, toute une manière de vivre a longtemps rapproché les deux hommes.

Les faits politiques sont rarement évoqués directement dans la correspondance, cependant la guerre du Maroc (1925-1926) y est présente, pour évoquer les manifestations violentes de juillet 1925 auxquelles des surréalistes participent ; Éluard, dans ce cadre, pense que les publications du groupe ont une importance révolutionnaire et feront entendre une voix différente, distincte notamment de celle des communistes. Il accorde d’ailleurs un rôle moteur à Breton ; quand celui-ci se désole de n’avoir rien écrit pour un numéro de la revue des surréalistes, en août 1925, Éluard le morigène avec humour (« Voyons, mon petit, un peu de courage ») et conclut sérieusement, « Ce numéro ne peut pas paraître sans toi ». Cette reconnaissance du rôle prépondérant de Breton est largement explicitée, en septembre 1925 :

 Je suis plein de force, plein d’espoir et tellement heureux d’avoir lu Lénine de Trotsky et de    la façon dont tu en parles. Voilà enfin un enseignement parce qu’entièrement révolutionnaire. Ce livre est un des plus grands que j’aie jamais lus. (...) Je crois que notre action peut tout gagner (en décision, en sûreté, en intelligence, en efficacité) de la lecture de ce livre.

 

Cette confiance dans les choix de Breton est répétée quelques années plus tard, en 1928, « Je n’ai d’espoir qu’en toi pour que notre position ne cesse pas d’être révolutionnaire ». Elle se maintient entière quand le parti communiste, en 1931, rejette les surréalistes, quand Aragon, en 1932, rompt avec le surréalisme : Éluard le qualifie notamment de « canaille », parle d’une « malhonnêteté crapuleuse » qui lui donne « envie de vomir ».

Au cours des années 30, le parti communiste parvient à empêcher les surréalistes d’être audibles politiquement. Pourtant, Éluard, en 1936, ne coupe pas les ponts avec les défenseurs de l’URSS. ; à Breton qui lui rappelle ce que sont les procès de Moscou, il redit sa certitude d’une « entente absolue sur le fond » et, à nouveau en avril 1938, affirme encore sa fidélité : « ce que nous aimons et défendons va trouver, sous ton influence, une nouvelle terre d’élection » en la revue Minotaure. Lors de son séjour au Mexique, en 1938, Breton est violemment diffamé par Commune, un des organes des communistes, et Éluard donne cependant un poème à la revue, ce qui laisse entendre pour Breton qu’il ne condamne pas les attaques, alors qu’il est impossible pour lui de ne pas dénoncer la réalité de l’URSS. Suit une rupture, définitive. Que reste-t-il ensuite entre eux ? Éluard s’éloigne des surréalistes mais écrit à celui qui fut son ami, « Je n’oublierai jamais ce que tu as été et ce que tu restes pour moi » ; Breton, en juin 1945, à propos d’un poème d’Éluard qui vient d’être publié, écrit « C’était toujours Toi (ou moi) ».

La correspondance donne de très nombreuses preuves d’une fraternité qui s’est renforcée par le travail commun dans le surréalisme. Elle explique les confidences de l’un et l’autre sur leur vie quotidienne. Éluard écrit souvent à propos de la reprise de sa tuberculose et de son état de faiblesse, qui entraînent la solitude, un sentiment d’inutilité (« Ma santé, mon cher André, est un désastre ») ; il se désole aussi de ne pas pouvoir aider financièrement Breton comme il le voudrait (« un de mes plus perpétuels soucis, un des plus importants est de ne pas mieux pouvoir t’aider, te soutenir, te servir ». Breton, lui, raconte volontiers ses difficultés sentimentales et ses bonheurs, il fait part aussi souvent de sa pauvreté et de sa lassitude, parfois de manière émouvante ; ainsi en mars 1930 :

Il est tard et je me trouve seul. Ce soir et dans la vie. Où tout cela va-t-il, autant ne pas y songer. Mais à coup sûr à sa fin, qui est la mienne. Non qu’il me tarde de mourir, je me découvre de temps à autre (...) le rand appétit de choses qui sont plutôt dans la vie ou plutôt non : il n’y en a plus qu’une, je n’aime plus la poésie, je n’aime plus la Révolution, je n’aime plus que l’amour, je n’ai peut-être jamais rien aimé que l’amour. Et sans doute n’ai-je jamais   aimé un être qu’en fonction de l’amour dont je le croyais capable. Par exemple toi.

Une fort belle correspondance, à tous égards, pour découvrir autrement Breton et Éluard

 

  1. Pour Éluard sa correspondance avec Paulhan, Bousquet et sa première épouse, Gala, est disponible ; Pour Breton, après leur publication par un éditeur (aujourd’hui, lettres à Péret, Bousquet, Tzara et Picabia, sa fille Aube, sa première épouse Simone Kahn), les lettres et cartes postales qu’il a envoyées et reçues, sont mises en ligne (voir : www.andrebreton.fr)

André Breton, Paul Éluard, Correspondance 1919-1938, édition Étienne-Alain Hubert, Gallimard, 2019, 462 p., 32 €. Cette recension a été publiée dans Sitaudis le 11 février 2020.

 

 

06/02/2020

André Breton, Paul Éluard, Correspondance 1919-1938

 

[à Paul Éluard] 7 mars 1930, 11 h soir

 

Mon cher petit Paul,

[...] Il est tard et je me trouve seul. Ce soir et dans la vie. Où tout cela va-t-il, autant ne pas y songer. Mais à coup sûr à sa fin, qui est la mienne. Non qu’il me tarde de mourir, je me découvre de temps à autre — et ceci dans des temps très courts — le grand appétit de choses qui sont plutôt dans la vie ou plutôt non : il n’y en a plus qu’une, je n’aime plus la poésie, je ‘aime plus la Révolution, je n’aime plus que l’amour. Je n’ai peut-être jamais rien aimé que l’amour. Et sans n’ai-je jamais aimé un être qu’en fonction de l’amour dont je le croyais capable. 

 

André Breton, Paul Éluard, Correspondance 1919-1938, édition É-A. Hubert, Gallimard, 2019, p. 205.

12/01/2020

André Breton, Paul Éluard, Correspondance 1919-1938

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Ucel, le dimanche 11 septembre 1932

(....)

Mon cher petit Paul,

(...) L’Ardèche est un département formidable, vraiment découpé sur la carte. Je devais passer par là un jour ou l’autre. Je ne sais presque plus où j’en suis, je veux de moins en moins le savoir. Autour de ce papier une petite pièce mi-tonnelle mi-chambre. Les murs de la chambre peints à la chaux mais piquetés de petits points bleus, la frise saumon piquetée de points blancs un peu plus gros, l’aile à claire-voie, garniture de fer gardée par des hortensias et des balsamines de la chute à vingt mètres au-dessous dans le fleuve Ardèche bourdonnant, sale, ensoleillé. C’est le café Nouzareth, sur la route d’Aubenas à Vals, je crois. Personne en dehors des propriétaires, qui me parlent, racontent le pays. Des gens rudes qui ont vu Paris une fois.

 

Abdré Breton, Paul Éluard, Correspondance 1919-1838, Gallimard, 2019, p. 253-254.

19/09/2017

André Breton, Les Pas perdus

 

                                   

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Max Ernst

 

   L’invention de la photographie a porté un coup mortel aux vieux modes d’expression, tant en peinture qu’en poésie où l’écriture automatique apparue à la fin du xixe siècle est une véritable photographie de la pensée. Un instrument aveugle permettant d’atteindre à coup sûr le but qu’ils s’étaient jusqu’alors proposé, les artistes prétendirent non sans légèreté rompre avec l’imitation des aspects. Malheureusement l’effort humain, qui tend à varier la disposition d’éléments existants, ne peut être appliqué à produire un seul élément nouveau. Un paysage où rien n’entre de terrestre n’est pas à la portée de notre imagination. Le serait-il que lui déniant a priori toute valeur affective nous nous refuserions à l’évoquer. Il est, en outre, également stérile de revenir sur l’image toute faite d’un objet (cliché de catalogue) et sur le sens d’un mot comme s’il nous appartenait de le rajeunir. Nous devons en passer par ces acceptions, quitte ensuite à les distribuer, à les grouper selon l’ordonnance qu’il nous plaît. C’est pour avoir méconnu, dans ses bornes, cette liberté essentielle que le symbolisme et le cubisme ont échoué.

 

André Breton, Les Pas perdus, dans Œuvres complètes, I, édition Marguerite Bonnet, Pléiade / Gallimard, 1988, p. 245.

09/07/2013

André Breton, L'amour fou

 

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     Un contact qui n'en a pas même été un pour nous, un contact involontaire avec un seul rameau de la sensitive fait tressaillir en dehors de nous comme en nous tout le pré. Nous n'y sommes pour rien ou si peu et pourtant toute l'herbe se couche. C'est un abattage en règle comme celui d'une boule de neige lancée en plein soleil sur un jeu de quilles de neige. Ou encore un roulement de tambour qui brusquement ne ferait d'une au monde de toutes les compagnies de perdrix. J'ai à peine besoin de te toucher pour que le vif-argent de la sensitive incline sa harpe sur l'horizon. Mais, pour eu que nous nous arrêtions, l'herbe va reverdir, elle va renaître, après quoi mes nouveaux pas n'auront d'autre but que te réinventer. Je te réinventerai pour moi comme j'ai le désir de voir se recréer perpétuellement la poésie et la vie. D'une branche à l'autre de la sensitive — sans craindre de violer les lois de l'espace et bravant toutes les sortes d'anachronismes — j'aime à penser que l'avertissement subtil et sûr, des tropiques au pôle, suit son cours comme au commencement du monde à l'autre bout.

 

 

André Breton, L'amour fou, Gallimard, 1969 [1937], p. 97.

10/05/2013

Christophe Pradeau, Proust à Illiers-Combray

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Dans La Clé des champs, André Breton invite à voir dans la place Dauphine, qui forme triangle à la proue de l'île de la Cité, « le sexe de Paris », le pubis de la Ville Lumière. Le poète, dont la vie croisa brièvement celle de Proust en 1920 — Jacques Rivière lui avait confié la relecture des épreuves du Côté de Guermantes —, a pu admirer — Rivière l'affirme — l'œuvre, si subtilement attentive au monde des rêves, du romancier. Il n'en demeure pas moins que jamais il n'a rien écrit qui puisse accréditer un tel sentiment et que la Recherche figure parmi les œuvres dans lesquelles le surréalisme a reconnu des emblèmes de ce qu'il récuse : l'art supposé mensonger du roman, avec son primat moraliste de la psychologie, la façon qui lui est propre de désenchanter le monde, de dégrader le mystère en effets de continuité et de vraisemblance. Et pourtant, c'est bien à Breton que j'ai pensé, à Nadja, aux lèvres entrouvertes, accueillantes à la fougue du Vert Galant de la place Dauphine, en découvrant que la maison de tante Léonie présente ceci de commun avec le jardin étagé à flanc de coteau du Pré Catelan, qu'elle s'évase en triangle, à partir de la porte étroite, génésique, qui s'entrouvre à son sommet.

   Le rapprochement vient sans doute d'autant plus volontiers à l'esprit que le lecteur de la Recherche sait bien que « Combray », la première partie de Du Côté de chez Swann, pour être le livre lumineux de l'enfance, n'en est pas moins inquiété par le mystère de la séparation des sexes, par l'évidence nocturne de l'attraction des corps. Le visiteur qui entrebâille le portail et pénètre dans le jardinet, lorsqu'il s'avance épousant tla courbure de l'allée, vers la façade secrète de la maison, vers ces liserés de faïence d'inspiration ottomane qui, fantaisie « orientaliste » de l'oncle Amiot, rehausse d'azur l'encadrement des fenêtres, chemine dans une nuit matricielle, près qu'il est de s'introduire, comme par effraction, sur le théâtre d'une scène primitive.

 

Christophe Pradeau, Proust à Illiers-Combray, Belin, 2013, p. 45-47.