31/08/2014
Rachel Blau Duplessis, Brouillons, traduction Auxeméry
Midrush
Œuvres parmi
les morts pour cerner
le flot vivant des
espoirs envolés couronnes illuminées,
après avoir rejoint les couples toasts,
tremblant de peur clignotement des lampe
dans une arche goudronnée. autour des portes et des maisons.
Impossible de
donner aux détails
assez de
foi, assez de force
pour ce qui est
affirmation
cercles, pustules, charivari cercle jardin surveillé
varicelle l'Doc i'dit sale mourant sombrant et même
maladie avec assez de fil pour plat, vu les derniers com-
faire grincer une lyre acide promis
« des jours » « de vert »
[...]
Rachel Blau Duplessis, Brouillons, traduction de l'anglais et présentation par Auxeméry, avec la collaboration de Chris Tysh, Corti, 2013, p. 57.
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30/08/2014
Sylvia Plath, Ariel, traduction de Valérie Rouzeau
Mort & Cie
Deux, bien sûr, ils sont deux.
Ça paraît tout à fait évident maintenant —
Il y a celui qui ne lève jamais la tête,
L’œil comme une œuvre de Blake,
Et affiche
Les taches de naissance qui sont sa marque de fabrique —
La cicatrice d’eau bouillante,
Le nu
Vert-de-gris du condor.
Je suis un morceau de viande rouge. Son bec
Claque à côté : ce n’est pas cette fois qu’il m’aura.
Il me dit que je ne sais pas photographier.
Il me dit que les bébés sont tellement
Mignons à voir dans leur glacière
D’hôpital : une simple
Collerette,
Et leur habit funèbre
Aux cannelures helléniques,
Et leurs deux petits pieds.
Il ne sourit pas, il ne fume pas.
L’autre si,
Avec sa longue chevelure trompeuse.
Salaud
Qui masturbe un rayon lumineux,
Qui veut qu’on l’aime à tout prix.
Je ne bronche pas.
Le givre crée une fleur,
La rosée une étoile,
La cloche funèbre,
La cloche funèbre.
Quelqu’un quelque part est foutu.
Sylvia Plath, Ariel, présentation et traduction
de Valérie Rouzeau, Poésie / Gallimard, 2011,
p. 45-46.
Death & CO.
Two, of course they are two.
It seems perfectly natural now —
The one who never looks up, whose eyes are lidded
And balled, like Blake’s,
Who exhibits
The birthmarks that are his trademark —
The scald scar of water,
The nude
Verdigris of the condor.
I am red meat. His beak
Claps sidewise : I am not his yet.
He tells me how badly I photograph
He tells me how sweet
The babies look in their hospital
Icebox, a simple
Frill at the neck,
Then the flutings of their Ionian
Death-gowns,
Then two little feet.
He does not smile or smoke.
The other does that,
His hair long and plausive.
Bastard
Masturbating a glitter,
He wants to be loved.
I do not stir,
The frost makes a flower,
The dew makes a star,
The dead bell,
The dead bell.
Somebody’s done for.
Sylvia Plath, Ariel, Faber and Faber, London,
1988 [1965 by Ted Hughes], p. 38-39.
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29/08/2014
Franco Loi, Cinq poèmes
Moi j'embrasse le temps, et lui il m'emmène,
c'est comme ça que fait le vent quand il te respire
et on croit respirer de son souffle à lui.
Maudite conscience de l'histoire,
air des gens morts dans le rêve,
mensonge qui te fait croire que ce serait la vie
et c'est ce rien là qui passe dans la mémoire,
patience ennemie du temps,
buée sans regarder du souffle sur le miroir.
Oh lumière déjà ombre quand nous la voyons,
douleur de l'être pareille à l'air qui se connaît.
Moi je regarde et ne regarde pas, je tâte le silence,
reflet du rien qui depuis le rien fait écouter.
Franco Loi, Cinq poèmes, traduit du milanais avec l'aide de l'auteur par Bruna Zanchi et Bernard Vargaftig, dans Europe, janvier-février 2002, n° 873-874, p. 281.
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28/08/2014
Walter Benjamin, La lune
La lune
La lumière qui coule de la lune n'éclaire pas le théâtre de notre existence diurne. Le périmètre baigné par sa lueur égarante semble appartenir à une contre-terre ou à une terre seconde. Ce n'est pas celle que la lune suit comme son satellite, c'est une terre à son tour transformée en satellite de la lune. Son vaste sein, dont la respiration était le temps, ne se soulève plus ; la création est enfin rentrée chez elle, et peut remettre le voile de veuve que le jour lui avait arraché. C'est ce que me donnait à comprendre le rayon blafard qui se glissait vers moi à travers les lames de la jalousie Mon sommeil était agité, découpé par l'arrivée et le départ de la lune. Quand elle était là et que je me réveillais, je me trouvais expulsé de ma chambre, qui ne semblait vouloir héberger personne d'autre qu'elle. La première chose sur laquelle tombaient alors mes yeux, c'étaient les deux cuvettes couleur crème de ma vaisselle de toilette. Pendant la journée, je n'aurais jamais songé à m'y attarder. Mais à la lumière de la lune, la bande bleue qui courait à la partie supérieure des cuvettes était une offense. Elle imitait un ruban de tissu bleu glissé à travers un ourlet. Et de fait, le bord des cuvettes était plissé comme une collerette. Entre les deux cuvettes se trouvaient de lourds brocs de la même porcelaine, portant le même motif floral. Ils s'entrechoquaient quand je quittais mon lit, et leur tintement se propageait sue le plateau de marbre de la table de toilette, se communiquait aux bols et aux godets. Quoique je me réjouisse de surprendre dans mon environnement nocturne un signe de vie — et ne fût-ce que l'écho de la mienne propre —, celui-ci n'avait rien de fiable et en ami déloyal attendait de me duper. [...]
Walter Benjamin, La lune, traduit de l'allemand par Pierre Rusch, dans Europe, "Walter Benjamin", avril 2013, n° 1008, p. 9-10.
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27/08/2014
Jacques Moulin, Comme un bruit de jardin
Fraisier
On ne joue pas avec la fraise. C'est un mot d'incandescence une cavité plaine.
On se dit de la fraise sans s'y afficher. À peine la finale rappelle-t-elle qu'on y est. Qu'on s'y fraie en sujet. Avec bonheur au vu du zézaiement qui pousse à l'écholalie.
On se rêve en la fraise akène grave glissé à l'infini des braises.
*
S'adonner de nouveau à la fraise aller
au mot point d'avidité avoir
raison de ses bordures
S'en tenir aux fièvres de sa forme
— on frise encore le fruit —sans
déranger la fleur
— on apaise ses craintes abrège sa perte
S'ouvrir à ses fragrances
aux graines de ses fuites
quand les stolons répandent
un jardin des errances
Composer avec elle prendre ses aises
demeurer enfin en sujet
dans l'éclat de son temps
Jacques Moulin, Comme un bruit de jardin, Tarabuste, 2014, p. 17-18.
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26/08/2014
Antonio Rodriguez, Pulsion fission
Pulsion fission
tout n'est pas perdu, même si les noyaux éclatent, même si les particules se percutent, même si c'est l'âge de la fission, l'époque des amours sensibles, l'époque des amours déçues, avec des déçus qui résistent et des déçus qui s'évadent, et tous se percutent ; nous y sommes, je crois, nous comme les autres, sensibles et déçus dans cette fission, à nous percuter lentement dans l'espace restreint de notre cuisine, dans l'espace restreint de la salle de bains, avec des meubles lourds qui nous regardent, avec des objets ébahis qui nous questionnent, nous et nos meubles qui nous regardent, tandis que nous rêvons de nous assembler autrement, d'échanger encore des fluides, de suinter délicatement, sans ces meubles, sans leur regard lourd ; est-elle restée la même, merveilleuse qui s'oublie parfois, douce et bestiale ? est-elle restée la même, avec sa part de sucre entre les jambes ?
Antonio Rodriguez, dans L'étrangère, n° 35-36, 2014, p. 183.
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25/08/2014
James Sacré, On cherche. On se demande
Entre les vergers de Capitol Reef
(Bientôt la couleur des abricots va mûrir)
Et les dessins d'il y a si longs siècles
Sur les parois de roche ocre et rouge, pas loin
Va le bruit courant de la rivière Frémont.
C'est beaucoup d'histoire, mêlée au moment présent,
Qui font de ce lieu vert et frémissant d'eau
Un jardin paradis dans un désert de pierre
Lequel bouge si lentement depuis des millénaires.
Et mon poème est minuscule paradis de mots
Qui savent : écrits, les voilà morts.
*
Petits objets qu'on achète ou qu'on ramasse
Ce pourrait être un caillou, ici à Capitol Reef, un caillou noir [volcanique
Dans un éboulis, et tout le grand théâtre de roches rouges autour,
Le vert lumineux des jeunes feuillages de peupliers, les dessins
Que les anciens ont laissés sur la plaque de grès tendre, parfois
Tout un pan de pierre tombe et c'est
Quelques mille ans de vie qui s'effondrent :
D'autres cailloux qu'on pourra ramasser, je pense
À des poèmes de Jean Follain dans lesquels l'éternité s'ouvre
À partir de rien, le bruit d'une épingle
Sur un comptoir d'épicerie. Le bruit du monde
Ou le bruit d'un mot. Poème effondré va-t-il pas se reprendre
À partir d'un rien juste à peine donné
Dans le clair d'une après-midi à Capitol Reef ?
Ce caillou qui n'était
Qu'un rêve autour d'un mot.
James Sacré, On cherche. On se demande, La Porte, 2014, np.
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24/08/2014
Jean-Louis Giovannoni, Les mots sont des vêtements endormis
Je me regarde sans cesse dans les reflets des vitrines, je me surveille. Toujours cette peur de me perdre.
On court, on s'agite, rien que pour faire croire que l'on connaît la sortie.
Sous ces traits, ce visage à jamais tourné vers lui-même que seuls les murs savent refléter.
Bouge un tant soit peu,
et c'est un monde qui s'efface.
Ce besoin de toujours traîner un corps dans ses rêves.
Tu regardes l'espace : tu penses aux oiseaux. Et lorsque tu t'agites ce ne sont que tes membres que tu agites.
Chaque matin, une force bestiale me pousse à revenir, à émerger.
C'est terrifiant de penser que l'on peut emporter le monde, juste en fermant les yeux.
Que veut-on tuer lorsqu'on se tue ?
Ce sont nos vêtements qui nous donnent corps — sans ça tout s'effondrerait.
Pourquoi faudrait-il qu'on soit sauvé et pas ce chat, ce cendrier... ?
Jean-Louis Giovannoni, Les mots sont des vêtements endormis, éditons Unes, 2014, p. 14, 15, 16, 19, 20, 21, 23, 24, 27, 31, 35.
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23/08/2014
Ariane Dreyfus, Nous nous attendons
« Encore une fois »
Derrière la porte il ne respire qu'à moitié
Si elle entre rien ne s'arrête
Ne s'oppose
À celle qui s'approche elle est vraie
Maintenant on peut s'ouvrir en deux
Les lèvres pas toutes seules
De toute sa figure il y va
Elle recule
Contre l'armoire l'accent, figée de désir
Pas froid chérie
Il faut poser sa robe
« Je vais au jardin »
Elle ouvre la main même s'il ne comprend pas
Être visible,
Est-ce se montrer ?
À un endroit, un cri de couleur
Le forsythia, se montre
Ariane Dreyfus, Nous nous attendons, Reconnaissance à Gérard Schlosser, Le Castor Astral, 2012, p.
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22/08/2014
H[ilda] D[oolittle] Trilogie
Hommage aux anges
[1]
Hermès Trismégiste
est le patron des alchimistes ;
sa province est la pensée,
inventive, rusée et curieuse ;
son métal est le vif-argent,
ses clients, orateurs, voleurs et poètes ;
vole doc, ô orateur,
pille, ô poète,
prends ce que la vieille-église
trouva dans la tombe de Mithra,
bougie et écriture et cloche,
prends ce sur quoi la nouvelle-église a craché
et qu'elle a détruit et cassé ;
ramasse les fragments de verre brisé
et de ton feu et de ton haleine,
fais fondre et intègre ;
ré-invoque, re-crée
l'opale, l'onyx, l'obsidienne,
à présent éparpillés en tessons
que foulent les humains.
[II]
Tes murs ne tombent pas, dit-il,
parce que tes murs sont de jaspe ;
mais pas carrée, ai-je pensé,
une autre forme (octaèdre ?)
glissa à la place
réservée par règle et rite
pour les douze fondements,
pour le verre tréluisant,
car elle n'a que faire du soleil
ni de la lune pour luire ;
car la vision comme nous la voyons
ou l'avons vue ou l'avons imaginée
ou autrefois invoquée
ou conjurée ou l'avions conjurée
par un autre a été usurpée ;
j'ai vu la forme
qui aurait pu être de jaspe,
mais elle n'était pas carrée.
H[ilda] D[oolittle] Trilogie, traduit par Bernard
Hoepffner, éditions Corti, 2011, p. 57-58
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21/08/2014
Édith Azam, Jean-Christophe Bellevaux, Bel échec
les mains se referment
étreignent le vide
voudraient le saisir
l'empoigner pour de bon
en briser la frontière mais...
on ne le sait que trop :
le vide
n'épargne personne
c'est à peine c'est-à-dire
si la peine si le dire
si les roses et les choses
tout s'emmêle et se noue :
les battements du cœur et les mots indigents,
tout va, la pluie, l'absence, tout va bien
tout va bien
tout s'en va
tout est perdu :
très bien...
mais que l'échec au moins
on le tente au plus juste
oui
que l'échec humain soit :
notre plus bel échec.
Édith Azam, Jean-Christophe Bellevaux, Bel échec, images d'Élice Meng, Dernier Télégramme, 2014, p. 25.
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20/08/2014
Louis Aragon, La Grande Gaîté [1929]
Le paradis terrestre
Le collectionneur de bouteilles à lait
Descend chaque jour à la cave
Il halète à la
Onzième marche de l’escalier
Et tandis qu’il disparaît dans l’entonnoir noir
Son imagination se monte se monte
Kirikiki ah la voilà
La folie avec ses tempêtes
Tonneaux tonneaux les belles bouteilles
Elles sont blanches comme les seins vous savez
Vers la gorge
Où le couteau aime les très jeunes filles
Il y a des hommes dans les restaurants
Et dans les pâtisseries
Ils regardent les consommatrices et leur repas
Froidit leur chocolat
Ils aiment les voir prendre un sorbet
Ça c’est pour eux comme pour d’autres
La forêt féérique où les apparitions du soir
Se jouent et chantent
Mais quand par surcroît de délices une voilette
Sur la crème ou la glace met son château de transparence
On peut voir soudainement pâlir et rougir
Le spectateur aux dents serrées
Des exemples comme ceux-là la rue en
Est pleine
Les cafés les autobus
Le monde est heureux voyez-vous
Louis Aragon, La Grande Gaîté [1929], dans Œuvres poétiques complètes, tome I, préface de Jean Ristat, édition publiée sous la direction d’Olivier Barbarant, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, 2007, p. 435.
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19/08/2014
Christiane Veschambre, Fente de l’amour
au chemin creux
glaise et pierres
demeure
ma demeurée
m’attend
— pas moi
mais celle que la mort lavera
l’amour cherche
une chambre en nous
déambule dans nos appartements meublés
parfois
se fait notre hôte
dans la pièce insoupçonnée mise à jour par le rêve
creuse
entre glaise et pierres
un espace pour mon amour
n’ai que lui
pour osciller
comme la tige à l’avant de l’aube
au respir de l’amour
— la vaste bête
qui tient contre elle
embrassée
la demeurée du chemin creux
Christiane Veschambre, Fente de l’amour, illustrations de
Madlen Herrström, éditions Odile Fix (Bélinay, 15430
Paulhac), 2011, n.p.
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18/08/2014
Jacques Dupin, Chansons troglodytes, Gravir
Francis Bacon, Portrait of Jacques Dupin, 1990
Ta nuque, plus bas que la pierre,
Ton corps plus nu
Que cette table de granit…
Sans le tonnerre d’un seul de tes cils,
Serais-tu devenue la même
Lisse et insaisissable ennemie
Dans la poussière de la route
Et la mémoire du glacier ?
Amours anfractueuses, revenez,
Déchirez le corps clairvoyant.
Jacques Dupin, Gravir, Gallimard, 1963, p. 94.
Romance aveugle
Je me suis perdu dans le bois
dans la voix d’une étrangère
scabreuse et cassée comme si
une aiguille perçant la langue
habitait le cri perdu
coupe claire des images
musique en dessous déchirée
dans un emmêlement de sources
et de ronces tronçonnées
comme si j’étais sans voix
c’en est fait de la rivière
c’en est fini du sous-bois
les images sont recluses
sur le point de se détruire
avant de regagner sans hâte
la sauvagerie de la gorge
et les précipices du ciel
le caméléon nuptial
se détache de la question
c’en est fini de la rivière
c’en est fait de la chanson
l’écriture se désagrège
éclipse des feuilles d’angle
le rapt et le creusement
dont s’allège sur la langue
la profanation circulaire
d’un bond de bête blessée
la romance aveugle crie loin
que saisir d’elle à fleur de cendre
et dans l’approche de la peau
et qui le pourrait au bord
de l’horreur indifférenciée
[…]
Jacques Dupin, Chansons troglodytes, Fata Morgana, 1989, p. 21-23.
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17/08/2014
Johannes Bobrowski, Terre d’ombres fleuves
Le mont des Juifs
Voyage d’araignée,
blanc, la terre se répandait en poussière
de sable rougeâtre — forêt,
comme chevelure de tresses, cri d’animal,
lui heurtait la joue, herbe
piquait ses tempes.
Tard, lorsque le grand duc, bruissement
de cent nuits, traversait
le sommeil des genêts,
il se levait dans le hallier frémissant
des grillons pour voir un
blême chemin de lune qui montait
dans l’entrelacs des racines.
Il regardait par-delà le marécage.
Abrupt, indistinct, un reflet de lumière
le frôlait de son vol, le temps de ce
battement de cœur une sauvage
empaumure émergea des ténèbres,
hérissée, tête larmoyante.
Pressé entre les mains
le temps, non nommé : les essaims
qui, jaunes, suivaient
Curragh, nuées grondantes
au-dessus du lac, les abeilles
suivaient le pieux père,
il remuait les rames, il disait :
Je serai un mort dans la verte vallée.
Der Judenberg
Spinnenreise
weiß, mit rötlichem Sand
stäubte die Erde — Wald,
flechtenhaarig, Tierschrei,
stieß um die Wange ihm, Gras
stach seine Schläfe.
Spät, wenn der Uhu, Sausen
aus hundert Nächten, umherstrich
durch den Schlaf der Geniste,
hob er sich in der Grillen
Schwirrgesträuch, einen fahlen
Mondweg zu sehn, der heraufkam
an die seufzende Eiche, die Greisin, in ihrem
Wurzelgeflecht verging.
Über das Bruch sah er hin.
Jäh, undeutbar, Lichtschein
flog vorüber, diesen
Herzschlag lang ragte wüstes
Schaufelgeweih aus der Finsternis,
zottig, ein tränendes Haupt.
Unter die Hände gepreßt
Zet, unbenannt: die Schwärme,
gelb, die dem Curragh
folgten, tönende Wolken
über der See, die Bienen
folgten dem frommen Vater,
er rührte die Ruder, et sagte :
Ich werde tot sein im grünen Tal.
Johannes Bobrowski, Terre d’ombres fleuves,
traduit de l’allemand par Jean-Claude Schneider,
Atelier La Feugraie, 2005, p. 84-87.
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