25/08/2014
James Sacré, On cherche. On se demande
Entre les vergers de Capitol Reef
(Bientôt la couleur des abricots va mûrir)
Et les dessins d'il y a si longs siècles
Sur les parois de roche ocre et rouge, pas loin
Va le bruit courant de la rivière Frémont.
C'est beaucoup d'histoire, mêlée au moment présent,
Qui font de ce lieu vert et frémissant d'eau
Un jardin paradis dans un désert de pierre
Lequel bouge si lentement depuis des millénaires.
Et mon poème est minuscule paradis de mots
Qui savent : écrits, les voilà morts.
*
Petits objets qu'on achète ou qu'on ramasse
Ce pourrait être un caillou, ici à Capitol Reef, un caillou noir [volcanique
Dans un éboulis, et tout le grand théâtre de roches rouges autour,
Le vert lumineux des jeunes feuillages de peupliers, les dessins
Que les anciens ont laissés sur la plaque de grès tendre, parfois
Tout un pan de pierre tombe et c'est
Quelques mille ans de vie qui s'effondrent :
D'autres cailloux qu'on pourra ramasser, je pense
À des poèmes de Jean Follain dans lesquels l'éternité s'ouvre
À partir de rien, le bruit d'une épingle
Sur un comptoir d'épicerie. Le bruit du monde
Ou le bruit d'un mot. Poème effondré va-t-il pas se reprendre
À partir d'un rien juste à peine donné
Dans le clair d'une après-midi à Capitol Reef ?
Ce caillou qui n'était
Qu'un rêve autour d'un mot.
James Sacré, On cherche. On se demande, La Porte, 2014, np.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES, Sacré James | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : james sacré, on cherche. on se demande, verdure, couleur, roche, caillou, mot, poème | Facebook |
19/06/2014
Lou Raoul, Else avec elle
L'or Else
la campagne parfois ne dit pas un mot
et les voitures, toutes, s'éloignent
les animaux furtivement dans les taillis, tapis
puis le sifflement des rapaces nocturnes tout près, Else, de ton sommeil
parfois la campagne ne dit pas un mot
mais le matin, Else, tu regardes l'arbre du bout du champ, il vieillit aussi
mais tu rassembles des cailloux
des tas très petits c'est pas grand-chose ça ne pèse pas lourd
ou même c'est rien
mais toi tu vois, Else, leur or
l'or des cailloux
pour que ta vie te serve un peu
Lou Raoul, Else avec elle, éditions isabelle sauvage, 2012, p. 25.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : lou raoul, else avec elle, campagne, sommeil, caillou, arbre | Facebook |
08/03/2014
Guillevic, Accorder
Pour Jean Tardieu
J'ai pour toi sur ma table un objet rond et lourd,
Un assez gros caillou pour qu'on le nomme pierre,
Ramassé l'an dernier près d'une sablière,
Couleur de longue pluie ainsi qu'était ce jour.
Je veux savoir de lui si je suis son recours,
Mais il répond toujours de façon outrancière,
Comme s'il refusait le temps et la lumière,
Comme un qui voit le centre te boude l'alentour,
Qui n'aurait pas besoin de se trouver soi-même
Et de chercher plus loin qu'on l'accepte ou qu'on l'aime,
Qui n'aurait le besoin, plutôt, de rien chercher.
Nous toujours à l'affût, toujours sur le qui-vive,
Nous qui rêvons de vivre une heure de rocher,
Cherchons dans le caillou la paix des perspectives.
28 décembre 1958
Guillevic, Accorder, édition établie et postfacée par Lucie Albertini-Guillevic, Gallimard, 2013, p. 91.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : guillevic, accorder, jean tardieu, caillou, temps, lumière | Facebook |