03/12/2016
Antoine Emaz, Limite
24.10.2013
I
les mots
dans la masse de nuit
fondus absorbés perdus
retournés à l’encre
en rester là
serrer ce qui reste
pas plus avant
ce soir
la nuit gagne
II
les mains lâchent
ce sera
chiens de faïence
jusqu’à l’aube
on n’ira pas plus loin
nuit saturée
on entend son rire fou
écrasé
elle pouffe
s’étouffe de mots
gavée
ou bien c’est le vent
mais décidément
cette partie-là
est perdue
Antoine Emaz, Limite,
Tarabuste, 2016, p. 101-102.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES, Emaz Antoine | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : antoine emaz, limite, mot, nuit, vent | Facebook |
26/10/2016
Primo Levi, À une heure incertaine
Attente
Voici le temps des éclairs sans tonnerre,
Voici le temps des voix non entendues,
Temps de sommeils inquiets, de veilles vaines.
Compagne, n’oublie pas les jours
Des faciles et longs silences,
Des rues nocturnes et amies,
Des réflexions sereines,
Avant que les feuilles ne tombent,
Avant que le ciel ne se referme,
Avant que de nouveau ne nous réveillent,
Par trop connus, devant nos portes,
Les pas ferrés et martelants.
2 février 1949
Primo Levi, À une heure incertaine, traduction Louis Bonalumi, préface Jorge Semprun, Gallimard, 1997, p. 32.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : primo levi, à une heure incertaine, silence, nuit, dictature | Facebook |
12/10/2016
Jacques Roubaud, Quelque chose noir
Mort réelle et constante
À la lumière, je constatai ton irréalité. elle émettait des monstres et de l’absence.
L’aiguille de ta montre continuait à bouger. dans ta perte du temps je me trouvais tout entier inclus.
C’était le dernier moment où nous serions seuls.
C’était le dernier moment où nous serions.
Le morceau de ciel. désormais m’était dévolu. d’où tu tirais les nuages. et y croire.
Ta chevelure s’était noircie absolument.
Ta bouche s’était fermée absolument.
Tes yeux avaient buté sur la vue.
J’étais entré dans une nuit qui avait un bord. au-delà de laquelle il n’y aurait rien.
Jacques Roubaud, Quelque chose noir, Gallimard, 1986, p. 118.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES, Roubaud Jacques | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : jacques rougeaud, quelque chose noir, mort, absence, nuit, rien | Facebook |
25/09/2016
Jules Supervielle, Le Corps tragique
Amour
Venant de tours indifférentes
Les regards des guetteurs s’échappent.
L’amour de l’homme et de la femme
Naît dans des citernes sans âme.
Combien faut-il d’obscurité
Avant que s’affrontent les corps
Tâtonnant vers leurs nudité
Et leurs plus obstinés trésors.
Les deux êtres soudain tout proches
Dardent leurs anguilles sous roche
Et, de feu sous les chastes cieux,
Croisent le fer voluptueux.
Les deux marées mâle et femelle
Rompent les digues de leur nuit
Formant un seul torse rebelle
Qui ruisselle de barbarie
Jusqu’à ce que le long des corps
Les mains lasses miment la mort.
Jules Supervielle, Le Corps tragique, dans
Œuvres complètes, édition Michel Collot,
Pléiade/Gallimard, 1996, p. 603.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : jules supervielle, le corps tragique, amour, nudité, nuit | Facebook |
18/09/2016
Ivan Diviš (1924-1999), Thanathea
Mais tiens Holbein qui vient
là avec sa lance il marche boisé
Déjà le heaume s’assombrit déjà le fourmilier à la lisière
tire la langue dans le grouillement des poèmes
Déjà le crâne de panthère rougi de l’intérieur à la lumière
d’une bougie flottant à travers la véranda livre
le succus paradula
Moi le dernier
cétacé carré à l’horizon
j’étends le rideau brumeux dans l’azur
Allez donne déjà donne les fers les cordes les pitons
Je rampe déjà à travers la prière je creuse la nuit du boutoir
je révoque mes insultes
et délivre les torts aux latrines
Par aucune pitié enfin ne pouvant servir
Traîne jusqu’où ne commence ni le rêve ni le repentir
Hop ma vieille
saute par là
enjambe moi
arrête la plume
arrose par l’entrejambe
Ivan Diviš, Thanathea, adapté du tchèque par
André Ourednik, La Baconnière, 2016, p. 35.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : ivan diviš, thanathea, langue, lumière, nuit, pitié, rêve | Facebook |
11/09/2016
Geoffrey Squires, Poème en trois sections
Pierres dans l’obscurité, formes
perçues plutôt que vues, inertes comme des animaux
endormis au milieu d’un champ ou le long de la route
où l’on avance avec précaution, frayant un chemin vers la maison
à travers l’herbe noire
Rocks in the darkness, shapes
sensed rather than seen, inert like animals
asleep in the middle of a field or by the road
which one moves among with care, picking a way home
across the dark grass
Geoffrey Squires, Poème en trois sections, traduit de l’anglais (Irlande)
par François Heusbourg, éditions Unes, 2016, p. 41 et 40.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : geoffrey suires, poèmes en trois sections, françois heusbourg, pierre, nuit | Facebook |
01/09/2016
Paul de Roux, Poèmes des saisons
En hommage à Paul de Roux, décédé dans la nuit du 27 au 28 août
D’où viens-tu, Été qui n’est plus là quand même
ce serait ta saison, et qui soudain nous effleures et nous gagnes ?
toi qui te vêts des plus lourds, des plus fastueux atours,
des feuilles les plus larges et des denses poussières, Été
à la trop courte nuit, renversant villes et campagnes
sous des ciels où s’effrite longuement la lumière, nuit
inventant des labyrinthes pour ses amants,
levant des futaies pour de blanches larmes de lune, et toi
oublié ou absent, soudain
faisant mentir le poids des jours, l’effluve
du tilleul chevauchant une imperceptible brise
serait ta résidence parmi nous ?
Paul de Roux, Poèmes des saisons, dessins de Gabrielle
de Roux, le temps qu’il fait, 1989, non paginé.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : paul de roux, poèmes des saisons, été, nuit, labyrinthe, amant | Facebook |
21/05/2016
Pierre Reverdy, Le Cadran quadrillé
Si on osait entrer
Derrière la porte sans vitres deux têtes s’encadrent avec une douce grimace amicale.
Et par l’autre porte entr’ouverte, celle qui les protège la nuit, on voit les rayons où s’alignant les livres, où se réfugient les rires et les mots des veillées sous la lampe, sous la garde d’un drapeau tricolore et d’un pantin menaçant qui n’a qu’un bras.
Et tout se meurt en attendant la nuit, la vie des lumières et de leurs rêves.
Pierre Reverdy, Le cadran quadrillé, dans Œuvres complètes, I, édition Étienne-Alain Hubert, Flammarion, 2010, p. 842.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES, Reverdy Pierre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : pierre reverdy, la cadran quadrillé, nuit, livre, rêve | Facebook |
04/05/2016
William Blake, Chanson de folie
Chanson de folie
Les vents sauvages pleurent,
La nuit est glacée ;
Viens ici, Sommeil,
Et dévoile mes chagrins.
Mais voici le point du jour
Dans les hauteurs de l’Orient
Et les oiseaux frémissants de l’aube
S’envolent loin de la terre.
Voyez, jusqu’au zénith
De la voûte céleste,
Chargés de douleur
Mes accents sont portés ;
Ils frappent l’oreille de la nuit,
Et font couler les larmes du jour ;
Ils font rugir les vents en folie
Et se jouent avec la tempête.
Comme un démon dans la nue
Hurlant de douleur
Suivant la nuit je me hâte
Et avec la nuit je m’en irai
Me détournant de l’Orient
D’où nous est venue consolation,
Car la lumière frappe mon âme
D’un indicible mal.
William Blake, Esquisses poétiques, dans
Poèmes, traduction L. M. Cazamian,
Aubier-Flammarion, 1968, p. 99.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : william blake, chanson de folie, esquisses poétiques, nuit, vent, orient | Facebook |
15/04/2016
Yves di Manno, Champs, un livre de poèmes, 1975-1985
Nocturne
Triste j’entends l’âne qui brait
l’année mourir
les femmes qui dansaient
au bord de la jetée ont relevé
leurs jupes et se sont tues après
avoir abandonné tambours et fifrelins
aux enfants éblouis qi les voyaient
passer à l’abri des fougères sous
le grand masque noir et
la crinière du lion
loin
dans les dunes un chien
aboie une trompette
sonne les feux se sont
éteints qui dessinaient
ailleurs le contour des
danseuses
celui qui marche dans
la nuit se tourne vers le ciel cra
quant une allumette la braise bleue
des toits penche comme une ardoise
j’entends siffler le vent la nuit
qui s’amoncelle la flûte de
l’idiot l’invite de la fête les ombres
sur la plage n’ont plus formes humaines.
Yves di Manno, Champs, un livre de poèmes,
1975-1985, Flammarion, 2014, p. 260.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : yves di manno, chaps, un livre de poèmes, nocturne, nuit, danse, enfants, fête | Facebook |
02/04/2016
Sarah Plimpton, extrait de Single Skies
Extraits de Single Skies
ombre brusque du soleil
froissée derrière l’arbre
le bleu du ciel
qui mène le vent
hors de la nuit
la porte
claque
le ciel
au sein de l’orage
a sudden shadow from the sun
upset behind the tree
the blue of the sky
driving the wind
off the night
the door
slams
the sky
inside the storm
Sarah Plimpton, traduit par Mathieu
Nuss, dans L’Étrangère, n° 40-41, p. 239 et 238.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : sarah plimpton, single skies, nuit, orage, ombre, arbre | Facebook |
26/03/2016
Branimir Scepanovic, La bouche pleine de terre
Je ne sais plus qui je suis ni où je me trouve : je guette le moindre signe de vie, son, odeur ou forme visible, qui me convaincrait qu’avec ma mémoire ne s’est pas tarie l’ultime lumière. Mais j’espère en vain : dans des ténèbres opaques où sont abolis l’espace et le temps, je flotte, sans même sentir mon corps, comme un grain de poussière perdu qui n’a que la conscience de son infime existence.
C’est la mort, me dis-je, et j’ouvre les yeux.
Je gis sur le dos, immobile, dans une herbe parfumée. La nuit d’été se balance comme une cloche incandescente dont le bourdonnement fait naître des essaims d’étincelles. Écrasé par tant de beauté, je ne décèle en moi ni souffrance, ni peur, ni joie. Mais le ciel violet s’apaise soudain et l’éclat glacé des étoiles le rapproche de mes yeux vides.
Branimir Sepanovic, La bouche pleine de terre, traduit du serbo-croate par Jean Descat, 10/18, 1983, p. 163.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : branimir scepanovic, la bouche pleine de terre, mémoire, évanouissement, nuit, beauté | Facebook |
16/03/2016
Étienne Faure, Vues prenables
Hep, taxi, ce qui nous fuit dans le rétroviseur
déjà n’est plus d’époque,
à vivre ici, voir venir,
dans une amphigourique attente ou merdier d’être né,
l’enfer pavé d’intentions plus ou moins bonnes,
cette envie de disparaître — pas grand chose,
une demi-vie, une heure —
puis l’idée de durer qui persiste
— et rattraper sa nuit dans le train.
Seul et définitivement mortel
— l’était-il moins dans l’ignorance
ou jeune ou endormi dans les mots accrochés aux cimes
avec la même exaltation des hauteurs qui conduit
à bâtir des cathédrales, marcher parmi les épilobes —
l’ennui devenu un ami, c’est le seul qui lui reste
dans le double vitrage où sommeille
un apatride au rêve étrange, qui lui redit
le temps où ils allaient au Terminus
protégés par la chaleur, noir liquide,
finir la nuit.
terminus nuit
Étienne Faure, Vues prenables, Champ Vallon, 2009, p. 28.
A l'occasion de la parution de
Ciné-plage
d'Etienne Faure
Alphabet cyrillique
de Jean-Claude Pinson
aux éditions Champ Vallon
la librairie Michèle Ignazi
a le plaisir de vous inviter à une rencontre avec
Etienne Faure
et Jean-Claude Pinson
le mardi 22 mars 2016
à partir de 19 heures
Librairie Michèle Ignazi
17, rue de Jouy
75004 Paris
0142711700
Métro : Saint-Paul ou Pont-Marie
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES, Faure Étienne | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : Étienne faure, vues prenables, solitude, disparaître, ennui, nuit | Facebook |
07/03/2016
Paul Claudel, L'Oiseau noir dans le soleil levant
Hai-Kai
(La nuit du 1er septembre 1923 entre Tokyô et Yokohama)
À ma droite et à ma gauche il y a une ville qui brûle mais la lune entre les nuages est comme sept femmes blanches.
La tête sur un rail mon corps est mêlé au corps de la terre qui frémit. J’écoute la dernière cigale.
Sur la mer sept syllabes de lumière une seule goutte de lait.
Paul Claudel, L’Oiseau noir dans le soleil levant [1929], dans Connaissance de l’Est, Poésie / Gallimard, 1974, p. 198.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES, Claudel Paul | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : paul claudel, l'oiseau noir dans le soleil levant, lune, nuit, cigale, lumière | Facebook |
28/02/2016
James Sacré, Figures qui bougent un peu, et autres poèmes
Figure 9
La nuit la neige ou presque la nuit le soir
les arbres immobiles qui sont dedans, les talus hauts
les maisons ou rien que des vieux hangars sont allongés là contre
j’aimerais penser à d’autres lieux que j’aime
aussi dans un soir d’hiver avec des traces de neige
elle se défait plus vite dans le coin des prés
ça ne change pas grand chose au paysage d’aujourd’hui
c’est à la fin la seule solitude qui vient
la nuit se fait.
Je l’entends venir de très loin je suis debout dedans la nuit
le vent bouge un peu il y a le chaud d’une bête pas loin
autrefois est-ce que c’était pas la solitude qu’on croyait d’aujourd’hui
qui faisait comme du silence et l’illusion d’un espace grand ?
il n’y a presque rien maintenant
la neige est noire on n’entend plus rien.
Bien sûr dans ces limites mal tracées que fait la nuit
avec les prés ceux touchant les derniers toits de la ferme
avec les arbres soudain grands les buissons noirs
on peut laisser se perdre la peur et l’imagination
c’est quand même le cœur battant les fesses
un peu serrées qu’est-ce que j’attends c’est pas
besoin d’en dire la solitude a le sourire
de ce qu’on veut le temps aussi
la nuit continue touche-t-elle vraiment les branches de ce poème ?
James Sacré, Figures qui bougent un peu, et autres poèmes, préface d'Antoine Emaz, Poésie / Gallimard, 2016, p. 42-43.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES, Sacré James | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : james sacré, figures qui bougent un peu, antoine emaz, nuit, neige, solitude | Facebook |