09/07/2024
Paul de Roux, Les intermittences du jour
Avoir porté des œillères qui faisaient partie du harnachement conçu par le vouloir-vivre.
La vie est comme un lacet qui se resserre.
Aime ne rien attendre. Oui fais-en ton amour — autant que tu le peux.
Respirer, voir, entendre, sentir, et pour cela se défaire de toute idée de possession, de toute assurance, est-ce imaginable ? Peut-être pas. Mais c’est une direction.
Paul de Roux, Les intermittences du jour, Le temps qu’il fait, 1989, p. 109, 112, 126, 143.
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07/07/2024
Paul de Roux, La halte obscure
Apocalypse dans les feuilles
Un jour on s’est dit que l’aventure
était peut-être plus belle ainsi —
tout disparaîtra
— les choucas aussi et la falaise
où ils rentrent le soir avec de petits cris
et l’eau vive et les guerres
intestines où s’use une vie
— cela c’est le vent qui l’inspire
en jouant dans les feuilles
à la fin d’un beau jour
lumineux sur la terre.
Paul de Roux, La halte obscure, dans
Entrevoir, Poésie/Gallimard, 2014, p. 344.
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06/07/2024
Paul de Roux, Entrevoir
Sueur d’agonie, sueur de l’étreinte
une cloison les sépare
ou une année dans la vie d’un homme
à un autre étage de la maison
la moiteur d’un enfant qui dort
avec un souffle égal contre l’oreiller
et voilà trois états physiologiques
analysables et bien répertoriés
et trois fragments du « réel »
qui m’étonnent toujours.
Paul de Roux, Entrevoir, Poésie/Gallimard,
2014, p. 63.
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Paul de Roux, Entrevoir
L’enfance
La nuit dans les grands arbres on entendait le vent
ou pour ainsi dire rien, et c’était pire ;
comme un bruit de pas trop près des murs
puis escaladant la façade — est-ce possible ?
Les volets sont fermés
la lourde porte verrouillée
mais la peur tombe en piqué sur le cœur
qui bat soudain plus fort que tout.
Paul de Roux, Entrevoir, Poésie/Gallimard, 2014, p. 143.
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05/07/2024
Paul de Roux, Entrevoir
Stèle pour un corbeau
Lui aussi menait sa vie, ce corbeau
dont je n’ai vu que le cadavre efflanqué
les plumes noires collées à la terre gluante
sous la frondaison des châtaigniers en fleur
— c’était en mai. Ce matin de septembre
parmi les premières bogues chues
je ne retrouve pas une plume.
Mais tandis que je bats les feuilles mortes, soudain
dans le bois de la Montagne de Reims
un croassement s’élève, comme en écho
à ma rêverie mélancolique.
Paul de Roux, Entrevoir, Poésie/Gallimard, 2014, p. 105.
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04/07/2024
Paul de Roux, Entrevoir
Zone de fracture
Et de même qu’un homme arrive à sa fin
soudain une époque est révolue
et ce n’est que longtemps après qu’on s’en aperçoit
une nouvelle génération s’étonne du passé
mais ceux-là qui vécurent au moment fatal
s’ils souffrirent, eux, ne s’en étonnèrent pas
et le charme de la nouveauté était passé :
il avait été pour les aïeuls, le délassement de leur âge mûr
quand ils souriaient à un avenir gracieux, quand pas une tasse
ne manquait encore au service de porcelaine fine.
Paul de Roux, Le front contre la vitre, dans Entrevoir, Poésie/Gallimard, 2014, p.196.
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12/02/2022
Paul de Roux, Entrevoir
L’enfance
La nuit dans les grands arbres on entendait le vent
ou pour ainsi dire rien, et c’était pire :
comme un bruit de pas trop près des murs
puis escaladant la façade — est-ce possible ?
Les volets sont fermés
la lourde porte verrouillée
mais la peur tombe en piqué sur le cœur
qui bat soudain plus fort que tout.
Paul de Roux, Entrevoir, Poésie / Gallimard, 2014, p. 143.
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11/02/2022
Paul de Roux, Entrevoir
Hiver s’écarte
Comme un bateau à l’amarre détachée,
doucement, irrésistiblement, l’hiver s’écarte
— déjà absent, encore présent ? qui le sait ?
En ville on ne sait que des signes, rien encore
de l’éclat des fleurs, de la douceur
du bourgeon qui s’ouvre et un moment
n’est ni bourgeon ni feuille : naissance.
Les nuages passent, caravane
avec ses nouvelles des climats inconnus,
des campagnes et des fleuves lointains
— caravane qui ne s’arrête pas, peut-être
n’apprend rien — puis le ciel est bleu,
seuls les oiseaux sont en accord avec lui
— en nous quelque chose qui ne bouge plus
facilement, qui reste posé là
comme un colis abandonné : sentiment
d’être seul au monde à ne pas reverdir.
Paul de Roux, Entrevoir, Poésie / Gallimard, 2014, p. 279.
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15/06/2020
Paul de Roux, Entrevoir
Privilège
Ce privilège d’un dieu : effacer les rides
aux commissures des lèvres, rendre une femme
à sa jeunesse : au pouvoir que la beauté
devrait exercer sur la vie — qui parfois la récuse —
ce privilège je l’ai envié dans le métro
face à une inconnue aux deux rides profondes
de part et d’autre de la bouche, dont le regard
(un instant levé du magazine) reflétait une grâce
animale peut-être, jeune de la jeunesse
que seul un dieu peut rappeler, effleurant
du doigt chaque sillon, autant d’amour perdu.
Paul de Roux, Entrevoir, préface de Guy Goffette,
Poésie / Gallimard, 2014, p. 297.
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12/06/2020
Paul de Roux, Au jour le jour, carnets 2000-2005
Tout se résume en cela : l’insatisfaction de soi-même.
À tant d’appels, combien de réponses ? Et parmi les réponses, combien vont plus loin que le geste ébauché, que le geste interrompu.
La page du jour d’ouvre devant toi. Que vas-tu y écrire ? « À toi de voir », dit une voix. C’est de voir, justement, qu’il s’agit. De faire tomber les écailles qui vous bouchent la vue.
Paradoxalement, c’est de la qualité de la solitude vécue par un homme que dépend la qualité de ses rapports avec autrui, qu’ils soient amicaux ou amoureux. À chacun d’entre nous de découvrit le bon usage de sa solitude.
Paul de Roux, Au jour le jour, carnets 2000-2005, Le Bruit du temps, 2014, p. 145, 162, 167.
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11/06/2020
Paul de Roux, Les intermittences du jour, carnets 1984-1985
Respirer, voir, entendre, sentir, et pour cela se défaire de toute idée de possession, de toute assurance, est-ce imaginable ? Peut-être pas. Mais c’est une direction.
Demandons à la pluie de venir brouiller le paysage pour que nous puissions l’aimer dans cet abandon.
Au loin, derrière les vitres fouettées par la pluie, un gros rosier en fleur, d’un rose noyé.
Le sentiment de cul-de-sac que l’on éprouve lorsqu’on ne croit plus que sa vie puisse être modifiée un tantinet par les « idées ».
Paul de Roux, Les intermittences du jour, Carnets 1984-1985, Le temps qu’il fait, 1989, p. 143, 151, 158, 159.
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15/01/2020
Paul de Roux, Les intermittences du jour
S’attacher à peu, à ce peu qui n’est aujourd’hui que le frémissement continu des peupliers. Et en moi une sorte de désert, une couche sommeilleuse qui tire brutalement les rideaux.
Moment de chute. Difficile de s’arrêter sur la pente une fois qu’on a commencé à dévaler.
Quand un talus résume la création. Quand la création fond dans le rouge intense des corolles de coquelicot. Fournaise et vie. La vie mime les cratères de feu du soleil.
Ce qui est merveilleux est éphémère (éphémère en nous la possibilité de l’accueillir, l’ouverture).
Paul de Roux, Les intermittences du jour, le temps qu’il fait, 1989, p. 29, 31, 34, 36.
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14/12/2018
Paul de Roux, Entrevoir
La condition humaine
« Si au moins je supportais l’alcool », dit-elle
(putain dans un roman célèbre)
et sa plainte depuis lors, souvent
me revient en mémoire : exclamation
qui exprime succinctement un manque
dans la condition qui nous est faite :
c’est que le vin, à en croire les poètes,
jette un voile pudique sur les nus fanés
et fait voir le monde à travers un bandeau
translucide comme la peau du raisin
et comme elle rose ou doré : il n’empêche
que l’hépatique, putain ou poète,
doit assurer à jeun son destin.
Paul de Roux, Entrevoir, préface de Guy
Goffette, Poésie / Gallimard, 2014, p. 263.
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03/11/2018
Paul de Roux, Entrevoir
Les chats
Entre leurs regards jaunes, leurs bâillements
chats assis sur la table, sur les papiers
ou dressés, hiératiques, comme les chevaux d’ivoire
mais contre lesquels on peut poser la tête
l’oreille contre leurs flancs soyeux et tièdes
eux se lèchent les pattes, apparemment
indifférents à la sottise de nos peines :
un preste coup de patte renverse
si promptement rois et cavaliers !
Parmi eux passe encore l’ombre des grands arbres
où ils s’étiraient à la brise du soir.
Paul de Roux, Entrevoir, préface de Guy Goffette,
Poésie / Gallimard, 2014, p. 167.
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08/03/2018
Paul de Roux, Les intermittences du jour, Carnets 1984-1985
Hier, dimanche, la foule tout au long des rivages, se pressant sur les plages. Je ne saisis pas du tout pourquoi elle me blesse à ce point, la nature de la blessure. Je ressens l’ébranlement (je le ressens encore ce matin). Je me suis demandé si à toutes les raisons qui viennent à l’esprit ne s’ajoute pas une explication d’ordre simplement biologique. Dans la nature, la foule est un monstre, un non-sens. Elle n’est pas viable. (Ou alors c’est la nature telle quelle qui n’est plus viable : il y a incompatibilité entre les deux économies. À dire vrai, il n’y a pas d’économie possible de la foule dans la nature — d’où ce malaise « biologique ». La foule ne peut être qu’urbaine.)
Paul de Roux, L’es intermittences du jour, Carnets 1984-1985, Le temps qu’il fait, 1989, p. 53.
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