01/04/2023
Jules Supervielle, La Corps tragique
Le don des larmes
Tout est pareil chez l’homme qui se dresse
Pour voir le fond de ce qui le morfond,
Pleurer de joie c’est pleurer de détresse
C’est bien cela qui fait que nous pleurons.
Et cependant les contraires déchirent
Ce qui résiste en nous de nos raisons
Et longuement nous nous ensanglantons
Avec les mots épineux du délire.
Tout bouge en nous et nous continuons
Par le chemin qui n’a pas de repos.
Venez aussi, vous n’êtes pas de trop,
Homme aux yeux secs, aveugle compagnon.
Jules Supervielle, Le Corps tragique, dans Œuvres
poétiques complètes, Pléiade/Gallimard, 1996, p. 596.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : jules supervielle, le corps tragique, le don des larmes | Facebook |
16/09/2017
Jules Supervielle, Le Corps tragique
Le milieu de la nuit
Je vois ma plume au milieu de la nuit
Qui met un peu de lumière autour d’elle.
Mais la vapeur de la locomotive
Entre ces murs de plus en plus rétive
Qui me le dira d’où vient-elle ?
J’ai beau penser fer, chaudière, charbon,
Je ne vois pas à quoi je leur suis bon,
Je ne sais plus d’où me viennent ces mots
Ni l’alphabet dont les lettres cessèrent
Si brusquement de m’être familières.
Comme quelqu’un qui a perdu son cœur
Je suis ailleurs jusqu’en mes profondeurs
Et je me sens tellement insolite
Que tout m’est bon à me servir de gîte.
À la merci de contraires sans foi
Je suis partout où s’affirment leurs lois,
Et cependant la bougie se consume
Et le train file et je suis dans ma chambre.
Les montagnards de mon rêve s’égaillent
Et je me sauve au fond des couvertures.
Jules Supervielle, Le Corps tragique, dans
Œuvres poétiques complètes, Pléiade / Gallimard,
édition Michel Collot, 1996, p. 595.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : jules supervielle, le corps tragique, le milieu de la nuit, rêve | Facebook |
25/09/2016
Jules Supervielle, Le Corps tragique
Amour
Venant de tours indifférentes
Les regards des guetteurs s’échappent.
L’amour de l’homme et de la femme
Naît dans des citernes sans âme.
Combien faut-il d’obscurité
Avant que s’affrontent les corps
Tâtonnant vers leurs nudité
Et leurs plus obstinés trésors.
Les deux êtres soudain tout proches
Dardent leurs anguilles sous roche
Et, de feu sous les chastes cieux,
Croisent le fer voluptueux.
Les deux marées mâle et femelle
Rompent les digues de leur nuit
Formant un seul torse rebelle
Qui ruisselle de barbarie
Jusqu’à ce que le long des corps
Les mains lasses miment la mort.
Jules Supervielle, Le Corps tragique, dans
Œuvres complètes, édition Michel Collot,
Pléiade/Gallimard, 1996, p. 603.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : jules supervielle, le corps tragique, amour, nudité, nuit | Facebook |