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18/03/2024

André du Bouchet, Ici en deux

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... toute la nuit

 

comme

sur le point de mourir

 

sans

que ma mort appartienne alors

davantage

                  que la clarté

venue

de la nuit blanche

 

 

 

n’a

appartenu à la nuit

 

André du Bouchet, Ici en deux,

Poésie/Gallimard, 2011, p. 65.

18/01/2024

Pierre Chappuis, À portée de la voix

                                      pierre chappuis, à pportée de la voix, nuit

                           Dans la clarté maintenue

 

Sans hâte, sur l’esplanade, le soir étend ses linges ici et là à même le sol entre les arbres, de moment en moment (oh ! le ralentissement de la durée) diffère la tombée de la nuit.

 

Au fond se dresse l’étroite façade de pierre jaune dont le sommet se perd dans les touffes d’arbres.

 

Flotter entre deux dans la clarté  maintenue, porté par le parfum des tilleuls.

 

Pierre Chappuis, À portée de la voix, José Corti, 2003, p. 23.

15/01/2024

Henri Michaux, Émergences-résurgences

 

                            Émergences-résurgences, nuit, noir

Dès que je commence, dès que se trouvent mises sur le papier noir quelques couleurs, elle cesse d’être une feuille, et devient nuit. Les couleurs posées presque au hasard sont devenues des apparitions ... qui sortent de la nuit.

 

Arrivé au noir. Le noir ramène au fondement, à l’origine.

 

Base des sentiments profonds. De la nuit vient l’inexpliqué, le non-détaillé, le non rattaché à des causes visibles, l’attaque par surprise, le mystère, le religieux, la peur..., et les monstres, ce qui sort du néant, non d’une mère.

 

Henri Michaux, Émergences-résurgences, dans Œuvres complètes, III, Pléiade/Gallimard, 2004, p. 556-7-8.

02/01/2024

Jacques Dupin, écarts

                               jacques dupin, troglodytes, nuit

Dans la nuit, un corps. De l’écriture le combustible et le conducteur. Un corps. Terre immense, ouverte, qui embaume. Qui n’a pas de mesure. Ni centre, ni aiguilles, ni lisières. Une terre, ou un corps, sans origine – insomniaque, inhumain – offert à la jouissance des monstres, et déréglant les rythmes, bousculant les vides de la feuille et les espacements du souffle.

 

La nuit remue, écrivait un ami lointain et le plus proche, lointain intérieur, vraie voix des écorchés vifs et la plus sensitive des fleurs nyctalopes. La nuit écrit. Ne cessera jamais d’écrire selon lui. Énigme compacte contre le ciel. Contre les dieux. Phosphore d’une trace d’encre tirant la plume ou le pinceau entre précipices et météores.

 

La nuit écrit. Élargissant l’espace, extravaguant la page, pulvérisant le cercle de pierres. Et enrôlant la mort. On lui doit un surcroît de force, et l’aggravation du silence. On lui doit de toucher l’extrême fond de la faiblesse, et la cime de nos plissements.

 Jacques Dupin, Écarts, P.O.L., 2000, p. 32.

05/12/2023

Paul Celan, Enclos du temps

paul celan,enclos du temps,nuit

Je fais le fou avec ma nuit

nous capturons

tout ce qui, ici, s’arracha,

 

toi charge-moi aussi

ta ténèbre sur les yeux, moitiés d’yeux,

errants,

 

elle aussi, elle doit l’entendre

de partout,

l’écho irréfutable

de toute ombre gagnant.

 

Paul Celan, Enclos du temps, traduction

Martine Broda, Clivages, 1985, np.

09/10/2023

Eugène Savitzkaya, Rules of solitude

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Chaque visage est une fontaine

nouvelle qui s’écoule dans le vide et

l’obscurité. Le haut est léger et froid.

Le bas est noir et tiède. Le large

s’étend. Le long s’étire. Le vaste s’ouvre

et l’infini se referme. La nuit est

tellement parfumée.

 

Eugène Savitzkaya, Rules of solitude,

Quale Press, 2001, np.

 

07/10/2023

Jean-Luc Sarré, Autopportrait au père absent

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Le sommeil n’a de cesse qu’il ne m’ait éconduit ;

cette nuit n’a pas fait exception à la règle,

mais quelques rares voitures circulaient sous la pluie

 et le bruit était doux de leurs pneus sur l’asphalte.

Je poursuivais mon apprentissage du silence

tout en pensant à ces tours pendables que mon corps

ne cesse de me jouer depuis bientôt dix ans

convaincu qu’il m’en réservait de pires encore.

Renoncement, abdication, abjuration

me proposent aussitôt leurs services, mais j’aime voir,

et la lumière du jour ne devrait plus tarder.

Sans doute pourrais-je abjurer la poésie

si ce n’était par là abjurer le regard. 

Jean-Luc Sarré, Autoportrait au père absent, Le Bruit du temps, 2010, p. 68.

13/09/2023

Robert Desnos, Les Ténèbres

 

                         

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Il fait nuit

Tu t’en iras quand tu voudras

Le lit se ferme et se délace avec délies comme un cordet de velours noir

Et l’insecte brillant se pose sur l’oreiller

Éclate et rejoint le Noir

Le flot qui martèle arrive et se tait

Samos la belle s’endort dans l’ouate

Clapier que fais-tu des drapeaux ? tu les roules dans la boue

À la bonne étoile et au fond de toute boue

Le naufrage s’accentue sous la paupière

Je conte les flacons de nuit et je les range sur une étagère

Le ramage de l’oiseau de bois se confond avec le bruit des bouchons en forme de regard

N’y pas aller n’y pas mourir la joie est de trop

Un convive de plus à la table ronde dans la clairière de vert émeraude et de heaumes retentissants près d’un monceau d’épées et d’armures cabossées

Nerf en amoureuse lampe éteinte de la fin du jour

Je dors

 

Robert Desnos, Les Ténèbres, dans Domaine public, Gallimard, 1953, p. 132.

30/06/2023

James Sacré, Une fin d'après-midi continuée

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Nom prénom comme (n’importe qui, personne)

 

Des visages sont aussi près de mon peu d’existence

Que les feuillages sans forme de la nuit ;

Leur sourire où je disparais m’emporte

En un mouvement de noir et d’étoiles.

Dans ces poèmes qui sont pour quelqu’un avec un nom précis je voudrais

Que ce soit les mêmes feuillages nocturnes

Dans le volume respirant de ce nom, le parfum de quelques autres

Je veux m’en aller dans la nuit.

 

James Sacré, Une fin d’après-midi continuée, trois livres « marocains », postface Serge Martin, Tarabuste, 2023, p. 69.

19/05/2022

Cesare Pavese, Le Bel été

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À cette époque-là, c’était toujours fête. Il suffisait de sortir et de traverser la rue pour devenir comme folles, et tout était si beau, spécialement la nuit, que, lorsqu’on rentrait, mortes de fatigue, on espérait encore que quelque chose allait se passer, qu’un incendie allait éclater, qu’un enfant allait naître dans la maison ou, même, que le jour allait venir soudain et que le monde sortirait dans la rue et que l’on pourrait marcher, marcher jusqu’aux champs et jusque de l’autre côté de la colline. « Bien sûr, disaient les gens, vous êtes en bonne santé, vous êtes jeunes, vous n’êtes pas mariées, vous n’avez pa     s de soucis... » Et même l’une d’entre elles, Tina, qui était sortie boiteuse de l’hôpital et qui n’avait pas de quoi manger chez elle, riait, elle aussi, pour un rien et, un soir où elle clopinait derrière  les autres, elle s’était arrêtée et s’était mise à pleurer que dormir était idiot et que c’était du temps volé à la rigolade.

 

Cesare Pavese, Le Bel été, traduction Michel Arnaud, Gallimard, 1955.

25/03/2022

Kafka, À Milena

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Prague, 15 juillet 1920

 

(...) Tu remarques peut-être que cela fait plusieurs nuits que je ne dors pas. C’est tout simplement « la peur ». C’est vraiment quelque chose qui m’enlève toute volonté, qui me jette de ci de là selon son bon vouloir, je ne reconnais plus ni haut ni bas, ni droite ni gauche. (...) De plus dans tes dernières lettres se glissent deux ou trois remarques qui m’ont rendu heureux, mais désespérément heureux car ce que tu dis à ce propos est vraiment convaincant pour la raison, le cœur et le corps, mais il y a encore une conviction plus profonde dont je ne connais pas le lieu et qui ne se laisse visiblement convaincre par rien. Et pour finir, ce qui a beaucoup contribué à m’affaiblir, la disparition au fil des jours du merveilleux effet apaisant-excitant de ta présence corporelle. Si seulement tu étais déjà là ! Donc je n’ai personne d’autre ici que la peur, nous roulons étroitement enlacés l’un à l’autre à travers les nuits. Cette peur recèle quelque chose de très sérieux, en un certain sens elle rend compréhensible le fait qu’elle m’annonce continuellement la nécessité du grand aveu : Milena n’est elle aussi qu’un être humain.

 

Kafka, À Milena, traduction Robert Kahn, NOUS, 2021, p. 121.

18/07/2021

Samuel Beckett, mirlitonnades

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en face

le pire jusqu’à ce

qu’il fasse rire

        *

rentrer

à la nuit

au logis

allumer

 

éteindre voir

la nuit voir

collé à la vitre

le visage

 

       *

somme toute

tout compte fait

un quart de milliasse

de quarts d’heure

sans compter

les temps morts

        

           *

 

fin fond du néant

au bout de quelle guette

l’œil crut entrevoir

remuer faiblement

la tête le calma disant

ce ne fut que dans ta tête

 

Samuel Beckett, (Poèmes suivi de)

mirlitonnades, éditions de Minuit,

1978, p. 33-34.

 

31/05/2021

Cole Swensen, Poèmes à pied

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Une promenade le 17 mai

 

C’est une rue tranquille, étroite, une rue où s’alignent les boutiques et peu de monde pour le moment, une nuit où traîne encore une douce lumière et tout est calme.

 

Je marche vers l’est dans une rue tranquille, 21 h., et un jeune homme extrêmement bien habillé, et même élégant et très beau — à peine 40 ans, souriant, m’arrête, pensé-je, pour me demander son chemin, et me demande un peu d’argent.

 

La rue est calme. La nuit est encore douce, et il ne fait pas encore noir. 22h15 un homme promène son chat. Improbable je sais. Il le sait aussi. Mais ça semble une routine bien établie. L’homme va d’un côté. Le chat reste au coin ; l’homme revient, chuchote des « ici, ici », le chat va de l’autre côté, l’homme aussi. La rue est calme.

 

Cole Swensen, Poèmes à pied, traduction Maïtreyi et Nicolas Pesquès, Cofrti, 2021, p. 19.

26/09/2020

Julien Bosc, Le verso des miroirs

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je sortis à l’heure des  chouettes et cortèges

où une lune orange tout à portée de main

à moi sans lieu un chien mourant ouvrit un chemin vers des rives

et s’étende à mes côtés sur des racines émergées

témoins savants des cécités et des noyades

 

à l’aube

contre la dépouille du chien

un jeune cheval couvert de gui

or sur le tain étoilé deux nénuphars éclos

l’un blanc l’autre diaphane

 

Julien Bosc, Le verso des miroirs, Atelier de

Villemonge, 2018, p. 5.

Photo Chantal Tanet, août 2017

13/06/2020

Paul Celan, Renverse du souffle

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Quand le blanc nous est tombé dessuss, pendant la nuit ;

quand de la cruche dispensatrice est venu

plus que de l’eau ;

quand le genou écorché

a fait signe à la cloche du sacrifice :

Va, vole !

 

Alors

j’étais

encore entier.

 

Paul Celan, Renverse du souffle, traduction J.-P. Lefebvre,

Seuil, 003, p. 39.