19/11/2015
Jacques Lèbre, Onze propositions pour un vertige
I
Sur le terrain instable de ta mémoire,
suivait-tu des lignes de faille ?
Vérifiais-tu parfois la solidité
de tel ou tel souvenir
avant qu’il ne s’effondre sous tes pas ?
Tu marchais sur des gravats.
Les pas n’y font pas le même bruit.
Mais de cela, quelle image s’en approcherait ?
Poème.
Comme passe
l’ombre d’un nuage sur le sol.
II
À l’heure du rendez-vous
(c’était pour déjeuner)
il fallait te chercher
dans les restaurants du quartier.
« Attends, je note.
Attends, je prends un crayon.
C’est bien le dix-sept à midi ? »
Tu oubliais que tu avais noté.
Tu n’avais plus rendez-vous, avec personne.
Jacques Lèbre, Onze propositions pour un vertige,
le phare du cousseix, 2013, p. 5-6.
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05/06/2015
Emmanuèle Jawad, Plans d'ensemble
histoires, frontière
les sols marqués de fragments courts, par endroits, le tracé suit la Spree
entre les plaques tombales, s’y insère, la mémoire d’une ligne
à la traversée, entre, reste de marbres et ciment, en place
zones d’herbe rase et chantiers ouverts, rouille commémorative
d’un pan vertical, tiges métalliques terminent la ligne de frontière
l’histoire par les sols entamés, tranchées entre les murs dédoublés, dans cet écart
terrain vague, ne subsiste qu’une vacance et la mémoire d’outre,
mémorial au lieu inscrit, dite l’armature seule, une élongation, un ressenti,
en marche, le cours, la ligne discontinue marque les anciens postes frontières,
radiation d’une clôture, vestiges en plans arrêtés
lavées, blanchies, dans l’effacement ténu peu à peu, les images,
il renverse l’ordonnancement des événements, de Berlin à Leipzig,
chute à un mouvement qui précède, foules d’amplitude, en surimpression, floues
Emmanuète Jawad, Plans d’ensemble, Propos2éditions, 2015, p. 53.
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08/01/2015
Sergueï Essenine, Journal d'un poète
Violon tzigane, la tempête gémit.
Fillette gentillette au sourire fielleux
me laisserai-je intimider par ton regard bleu ?
Il me faut beaucoup, beaucoup m'est superflu.
Si loin, si dissemblables en somme :
tu es jeune, moi j'ai tout vécu.
Aux jeunes le bonheur, à moi la mémoire seule :
Nuit de neige, étreinte fougueuse.
Câliné ? non. La tempête est mon violon.
Un sourire de toi lève la tempête en moi.
4-5 octobre 1925
Sergueï Essenine, Journal d'un poète, Éditions
de la Différence, 2014, p. 161.
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28/11/2014
Thanassis Hatzopoulos, Cellule
Homme
Réfléchi
Alliant force et mesure
Il avance
Et cette tourmente qui balaie
Son esprit,
mémoire du corps
Mémoire de ce monde-ci
Non point de l'autre
La rage qui éclate, partagée,
Tourne de fatales catastrophes
En destins féconds
Ce qu'on nomme l'aube
— Mais quelle donc cette violence
Qui fait poindre la lumière ?
Il s'interrogea lui-même et se coucha sur le côté
Puis sous l'éclat du soleil
Harassé de sa longue veille
Il s'endormit
Thanassis Hatzopoulos, Cellule, Traduit du grec Par Alexandre Zotos, en collaboration avec Louis Martinez, préface de Jean-Yves Masson, édition bilingue, Cheyne, 2012, p. 25, 121.
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18/08/2014
Jacques Dupin, Chansons troglodytes, Gravir
Francis Bacon, Portrait of Jacques Dupin, 1990
Ta nuque, plus bas que la pierre,
Ton corps plus nu
Que cette table de granit…
Sans le tonnerre d’un seul de tes cils,
Serais-tu devenue la même
Lisse et insaisissable ennemie
Dans la poussière de la route
Et la mémoire du glacier ?
Amours anfractueuses, revenez,
Déchirez le corps clairvoyant.
Jacques Dupin, Gravir, Gallimard, 1963, p. 94.
Romance aveugle
Je me suis perdu dans le bois
dans la voix d’une étrangère
scabreuse et cassée comme si
une aiguille perçant la langue
habitait le cri perdu
coupe claire des images
musique en dessous déchirée
dans un emmêlement de sources
et de ronces tronçonnées
comme si j’étais sans voix
c’en est fait de la rivière
c’en est fini du sous-bois
les images sont recluses
sur le point de se détruire
avant de regagner sans hâte
la sauvagerie de la gorge
et les précipices du ciel
le caméléon nuptial
se détache de la question
c’en est fini de la rivière
c’en est fait de la chanson
l’écriture se désagrège
éclipse des feuilles d’angle
le rapt et le creusement
dont s’allège sur la langue
la profanation circulaire
d’un bond de bête blessée
la romance aveugle crie loin
que saisir d’elle à fleur de cendre
et dans l’approche de la peau
et qui le pourrait au bord
de l’horreur indifférenciée
[…]
Jacques Dupin, Chansons troglodytes, Fata Morgana, 1989, p. 21-23.
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10/08/2014
Guillevic, Art poétique
Qu’est-ce qu’il t’arrive ?
Il t’arrive des mots
Des lambeaux de phrase.
Laisse-toi causer. Écoute-toi
Et fouille, va plus profond.
Regarde au verso des mots
Démêle cet écheveau.
Rêve à travers toi,
À travers tes années
Vécues et à vivre.
Ce que je crois savoir,
Ce que je n’ai pas en mémoire,
C’est le plus souvent,
Ce que j’écris dans mes poèmes.
Comme certaines musiques
Le poème fait chanter le silence,
Amène jusqu’à toucher
Un autre silence,
Encore plus silence.
Dans le poème
On peut lire
Le monde comme il apparaît
Au premier regard.
Mais le poème
Est un miroir
Qui offre d’entrer
Dans le reflet
Pour le travailler,
Le modifier.
— Alors le reflet modifié
Réagit sur l’objet
Qui s’est laissé refléter.
Chaque poème
A sa dose d’ombre,
De refus.
Pourtant, le poème
Est tourné vers l’ouvert
Et sous l’ombre qu’il occupe
Un soleil perce et rayonne,
Un soleil qui règne.
Mon poème n’est pas
Chose qui s’envole
Et fend l’air,
Il ne revient pas de la nue.
C’est tout juste si parfois
Il plane un court moment
Avant d’aller rejoindre
La profondeur terrestre.
Guillevic, Art poétique, dans Art poétique, précédé de Paroi et suivi de Le Chant, préface de Serge Gaubert, Poésie / Gallimard, 2001, p. 166, 172, 177, 178,180 et 184.
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13/07/2014
Antoine Emaz, Jours
2. 03. 08
la peur
la mémoire noire
on ne la rappelle pas
elle vient
quand elle veut
ou peut-être au signal
d'un ultra-son de vivre
elle remonte
on lui fait sa place
sans parler
on attend qu'elle reparte
par le premier train de nuit
le plus souvent
quand on l'entend venir
on commence par prendre un verre
et s'occuper de tout et rien
histoire
d'espérer qu'elle passera
à quelques pas
sans voir
on la sait bête
taupe
parfois ça marche
on ne la revoit plus
elle ne faisait que passer
elle a jeté son froid
rappelé assez que l'on était
poreux
[...]
Antoine Emaz, Jours, éditions En Forêt /
Verlag Im Wald, 2003, p. 109 et 111.
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05/06/2013
Jean-Pierre Le Goff, Le cachet de la poste, feuilles volantes
1942-2012
Au 29 de la rue Cuvier
En sortant du jardin des plantes, par la rue Cuvier, cela me prit de plein fouet. Le milieu de la chaussée était toujours doté de rails de l'ancien tramway, posés entre de vieux pavés comme on n'en fait plus. Cette bouffée du temps passé m'étourdit outre mesure. Bien que j'eusse conscience qu'il n'y avait pas eu la plus petite rupture dans la continuité, j'ai ressenti ce surgissement d'autrefois émotionnellement comme réel, alors que ma mémoire me rappelait que la dernière fois que j'avais emprunté cette rue, il y a, il me semble, plus d'une vingtaine d'années, la vue des rails m'avait fait éprouver profondément le sentiment d'un temps passé que je n'ai pas connu. Peut-être était-ce cette seconde bulle du temps qui remontait en me donnant l'impression que le temps écoulé pouvait réapparaître dans le présent comme si rien ne d'était passé. Je revivais un moment que j'avais déjà vécu, mais d'une manière plus forte que la première fois puisqu'il réactivait ce qui était déposé en moi et que j'avais oublié.
Dans les jours qui suivirent, cet instant me revint plusieurs fois à l'esprit, ce qui fit que, sans très bien le réfléchir, je prenais le métro pour me rendre rue Cuvier. Lorsque j'y arrivai, il était clair que j'attendais de mon incursion la trouvaille de signes temporels susceptibles de relancer en moi cette sensation qui me fait tenir compte du temps des chronomètres pour suspect.
La porte se manifesta dans le bas de la rue en allant vers la Seine. Elle était murée par des pierres. Elle portait le numéro 29 sur une plaque d'émail bleu. Il n'y avait rien derrière. La maison avait disparu. Par-delà le mur, on voyait dépasser quelques frondaisons, celles du jardin des Plantes. J'imaginai que la nuit on devait entendre le bruit des animaux sauvages. Certaines pierres qui avaient servi à la murée étaient sculptées par des oiseaux qui s'y étaient fait le bec. Il y avait aussi une plante de muraille très touffue, que je n'ai pas reconnue, les graines sans doute avaient été portées par le vent.
Jean-Pierre Le Goff, Le cachet de la poste, feuilles volantes, préface de Jacques Réda, "l'arbalète", Gallimard, 2000, p. 254-255.
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25/05/2013
Pierre Bergounioux, Univers préférables
La classification habituelle des récits ne couvre pas, loin s'en faut, l'extension du genre. À côté des formes élaborées, pourvues d'un titre, imprimées, des simples histoires qu'on échange et qu'on oublie, prolifèrent des textes muets, sans destinataire, ignorés du narrateur lui-même Eux aussi, pourtant, postulent des mondes. On peut ne s'être jamais su l'auteur de cette prose sourde. il arrive qu'un mot qu'on dit ou qu'on entend, un lieu où l'on revient, plus tard, agissent comme des catalyseurs, révèlent après couple grouillement de textes embryonnaires qui visaient à résoudre les énigmes, à conjurer les périls dont on se sentait environné.
On ne les avait pas à proprement parler oubliés. On n'en jamais eu conscience. On était trop occupé à recenser des emplacements viables, des moments préservés, une activité acceptable, pour songer qu'on échafaudait, à cet effet, des récits. Certains reçurent un caractère d'avancement poussé. D'autres n'ont guère dépassé le stade larvaire, mots épars sur le silence, bouts de phrase sans suite, comme brisées de s'être heurtées à la muraille sans prise ni faille de la réalité. Certains étaient tournés vers d'autres récits, implicites ou sonores, dressés contre des idées hypothétiques ou avérées mais capables, toutes, d'adultérer profondément notre être, de nous l'aliéner.
Pierre Bergounioux, Univers préférables, dessins de Philippe Ségéral,
Fata Morgana, 2003, p. 7-8.
© Photo Tristan Hordé
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22/04/2013
Franck André Jamme, au secret
les très délectables
élégances
de la mémoire
les pensées devant lesquelles
se dresse tout à coup
une immense pensée
les êtres
qui se mettent à rêver
sur la route
et peu à peu
c'est le chemin
lui-même
qui se mue
en leur songe
[2]
*
tous ces gens
qui aimeraient se balader
dans les bois
ou dans les jardins
selon les jours
et rien d'autre
l'art d'emmêler
les plans de l'ignorance
et de la perception
le livres
ne faisant voyager
au fond
que de la fausse monnaie
et on en a le sang figé
[34]
*
les pensées
derrière lesquelles
attendent
des milliers de pensées
les atroces vérités
de la mémoire
les êtres
qui s'arrêtent subitement
sur le chemin
et peu à peu
ils se transforment
en pierres
[62]
*
l'art d'accoupler
le plan de l'ignorance
et celui de la perception
les sortes de courts albums
ne montrant au fond
que des listes
tous ces gens
qui errent
dans les couloirs
selon les jours
et rien d'autre
[81]
Franck André Jamme, au secret, dessins de
Jan Voss, éditions isabelle sauvage, 2010, np.
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26/03/2013
Thalia Field, L'amateur d'oiseaux, côté jardin
Ce crime porte un nom
Si on me disait qu'une pieuvre parle anglais, par exemple, ou ruse, je prendrais cela comme une qui m'intéresse, c'est ce dont elle parle.
(Markus Turovski)
Je n'ai aucune envie d'écrire ceci, ni en anglais, ni dans aucune autre langue, et puis de toute façon cela a déjà été écrit. Plus tard ce sera matière à discussion et d'autres appelleront ça un monologue ou un soliloque. Quelle différence ? Ils n'auront pas la moindre idée, voilà la différence. C'est maintenant que je dois noircir des pages, avant qu'il soit trop tard. La pression d'une désuétude calculée, de mon inactivité dans ma sémiosphère, la pression de l'abstraction (un numéro inscrit sur la bague à ma cheville : 1011-41278) — c'est l'Umwelt de qui d'abord ? Voilà de quoi se consoler un instant à peine.
Prenez Tennyson : « Si attentive au type, si dédaigneuse d'une vie. »
Ce que je veux dire, c'est que personne ne peut comprendre ce que je raconte, même si j'écris dans une langue correcte et que le titre de mon article, « Entre l'air et l'espace », me trotte dans la tête depuis plusieurs années. Une conversation franche entre organismes représente peut-être une valeur ajoutée pour le locuteur ou le destinataire, mais peu d'oiseaux écrivent des articles. Suis-je un cas particulier ? Un oiseau-mémoire qui est mort et a continué de vivre, explosant en plein vol, un puis plusieurs.
Je me souviens de Wittgenstein qui disait que même si un lion savait parler, nous ne le comprendrions pas. Je ne comprends pas, mais je crois que c'est juste.
Parler des espèces est plus difficile que de parler de soi. Certains avancent que les espèces sont des genres naturels avec des qualités essentielles. D'autres disant que les espèces ne sont que de l'ADN, une généalogie décodée. D'autres encore pensent que les espèces sont de simples flux, ou des individus, ou une question de contexte, ou une simple commodité. On a même qualifié les espèces d'investisseurs financiers qui maximisent les bénéfices en spéculant sur l'autoproduction. Vous dites espèces, moi je dis illusion, présent-passé, accident, karma, absurdité, ou simplement je ne dis rien.
[...]
Thalia Field, L'amateur d'oiseaux, côté jardin, traduit de l'anglais par Vincent Broca, Olivier Brossard et Abigail Lang, Les presses du réel, 2013, p. 61-62.
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19/03/2013
Ophélie Jaësan, La Mer remblayée par le fracas des hommes
Éloge de la disparition
« Ce que nous appelons démesure, ce que Sophocle appelle la démesure, ce qui, d'après lui, est immédiatement puni de mort puni par les dieux, n'est que l'ensemble de nos propres mesures. » Jean Giono, Noé.
Parfois j'ai ce besoin — vital quasiment, du moins viscéral — d'être sur le départ. J e me souviens du ciel et de la terre, mais c'est un souvenir qui n'est plus ancré dans ma chair et il me faut aller tout de suite à sa rencontre, nourrir sa revivifiance, au risque de ne plus savoir quelque chose d'essentiel sur moi.
Moi ou eux — les hommes pareillement.
C'est donc d'abord une voie ferrée et je m'en vais, je fuis la ville, son agitation, son trop-plein, ses machines et autres engins. Je tente la campagne. Après un long voyage, j'arrive enfin dans une gare. Une simple gare avec un quai et une guérite. Alentour : rien. La nature. Je quitte la gare, seule. Je marche longtemps, très longtemps. Même fatiguée, il me faut poursuivre, car c'est autre chose qu'une nature remodelée par l'homme que je cherche.
Lorsque l'auto franchit le col, le temps change brusquement. La pluie cède à la neige, il y a du vent et du brouillard. L'autoroute que nous allons bientôt quitter ressemble à une nationale sans envergure. Un tapis blanc recouvre tout — les dernières maisons, les murets, les barrières, les barbelés —, tapis qui s'épaissit de minute en minute. Le ciel trop bas semble avoir eu le désir d'écraser la plaine. Brumes et vapeurs ont noyé la ligne de démarcation entre le ciel et la terre. Voilà qu'ils ne font plus qu'un. En silence, j'admire leur fusionnement.
Les cimes des arbres, leur branches, leurs troncs ont également été recouverts par la neige. Des arbres qui me paraissent maintenant figés dans une expression étrange, oscillant entre la sérénité et l'inquiétude.
Petit à petit, les traces du dernier passage des animaux dans la plaine ont toutes été effacées et les cris des oiseaux se sont tus.
Sur ce monochrome blanc, je rêve éveillée. Naît en moi alors le besoin d'écrire sur — ou à partir de — la disparition progressive des choses. Comme on ne peut plus les voir, on ne peut plus les nommer et elles finissent par disparaître. Mais en apparence seulement, puisque tout homme est Noé. Tout homme porte en lui la mémoire du monde. Longtemps après sa disparition.
Ophélie Jaësan, La Mer remblayée par le fracas des hommes, Cheyne, 2006, p. 58-59.
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17/02/2013
James Sacré, Un Paradis de poussières
James Sacré a obtenu le prix Max Jacob pour l'ensemble de son œuvre. Il lui sera remis le 21 février au Centre National du Livre.
Au lieu de m'en tenir à des souvenirs jamais précis
(Des choses, de mes sentiments pour ces choses),
A des photographies de mince intérêt, le plus souvent mal prises,
Est-ce que ça serait pas mieux d'oublier tout le détail
De ma rencontre avec des endroits, des moments de ce pays
Avec des gens,
Et de simplement regarder pour écrire
Les images de tant de beaux livres ? n'ont-elles pas
Dans leurs couleurs, dans ce qu'elles donnent à voir
Tous les mots dont j'ai besoin pour dire ?
Ma si pour dire quoi qui me ramène à mon désir
De reprendre un café cassé ?
Le passé mal photographié, demain rien de précis
Je vais continuer de mal oublier.
*
Il y a toujours quelque chose comme une ruine dans ce que
l'œil regarde :
Mur de maison qui s'en va, terrasse qui tombe
Et tout à côté des constructions pas finies, couleur de brique et de béton.
Au loin de grands feuillages d'arbres bougent
(Je pense à ce village en Vendée
Où l'enfance a connu déjà
Ces formes de feuillages muets).
On est à côté de la vie défaite et qui se continue pourtant :
Des bruits de moteurs et le pas des mules,
Une voix qui n'en finit pas de crier je sais pas quoi.
Je pense
A ces grands gestes d'arbres, à l'enfance à jamais solitude
Ça n'aide guère
A savoir se tenir dans le monde en désordre.
James Sacré, Un Paradis de poussières, André Dimanche, 2007,
p. 108-109.
© Photo Tristan Hordé.
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15/02/2013
Paul Louis Rossi, Le Voyage de sainte Ursule
Et je marchais dans les rues paisible en apparence
mais tout entier tremblant de cette mémoire
inconnue comme un
alcool
Tourmenté de ce regard plongé à travers moi dans le
temps aveugle et pénétrant cette trame
indéchiffrable d'images fugitives
et de sonneries
Presque illisible où s'inscrivaient des souvenirs qui
ne me laissaient jamais reposer et j'allais
perpétuellement agité de l'auberge
au gibet
Aisni qu'une barque amarrée roulant au fil des eaux
enfermé dans la spirale des rues nouant et
dénouant l'écheveau de cette
Ville ancienne
Paul Louis Rossi, La Voyage de sainte Ursule, Gallimard, 1973, p. 19.
© Photo Chantal Tanet, 2011.
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07/02/2013
Alexis Pelletier, Comment ça s'appelle
Revenir aux oiseaux
Des mois sans oiseaux
je veux dire le mot oiseau
Et d'y revenir c'est comme un grand dépaysement
Je me suis souvent demandé pourquoi les oiseaux
et la question est aussi bête que
pourquoi le bleu ou pourquoi peindre
le même motif et pourtant la question
reste même si la réponse la modifie progressivement
Ce n'est pas vraiment le mot oiseau qui m'arrête
ni l'oiseau en général mais un oiseau particulier
ou un vol d'oiseaux particulier en ville surtout
des étourneaux mais pourquoi pas
en bord de Seine des bernaches cravants
avec les changements irréguliers de leur troupe ou
bruit grondant
Cela fonctionne par glissements
le mot oiseau porte en lui l'appel d'une précision
plus grande et alors de prendre dans
le réservoir percé de la mémoire
Et les souvenirs mobilisent un espace
un corps fluctuant je me souviens très bien
d'un eider observé à la jumelle
en plaine d'Alsace je ne sais sur quel lac
et photographié et de l'immense
bonheur intérieur au télescopage du
canard plongeur et de l'édredon de mon enfance
celui d'un marron foncé et que je n'ai jamais
oser déchirer pour voir comment les plumes à l'intérieur
j'en voyais un enfin ce n'était pas des blagues
l'histoire des plumes
[...]
Alexis Pelletier, Comment ça s'appelle, Tarabuste, 2012, p. 76-77.
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