26/03/2024
Michel Deguy, Ouï dire
Quand le vent pille le village
Tordant les cris
L’oiseau
S’engouffre dans le soleil
Tout est ruine
Et la ruine
Un contour spirituel
Michel Deguy, Ouï dire,
Gallimard, 1966, p. 33.
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27/11/2021
Emily Dickinson, Je cherche l'obscurité
Un grand Espoir est tombé
Tu n’as rien entendu
La Ruine était intérieure
Oh Naufrage rusé
Qui n’a conté aucune Histoire
Et n’a admis aucun Témoin
L’esprit fut bâti pour de lourdes Charges
Planifié pour de terribles occasions
Si souvent sombrant en Mer
Soi disant, sur Terre
Emily Dickinson, Je cherche l’obscurité, traduction
François Heusbourg, éditions Unes, 2021, p. 73.
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03/02/2018
Hilda Doolittle, Trilogie
Les murs ne tombent pas
[1]
Un incident ici et là,
grilles confisquées (pour les canons)
dans ton (et mon) vieux square :
brume et gris brumeux, pas de couleur,
mais abeille, poudre et lièvre de Luxor
poursuivent un but inaltérable
en vert, rose-rouge, lapis ;
ils continuent à prophétiser
depuis le papyrus de pierre :
là-bas, comme ici, ruine ouvre
la tombe, le temple ; entre
là-bas comme ici, aucune porte :
le lieu saint est ouvert au ciel,
la pluie tombe, ici, là-bas
le sable glisse ; l’éternité endure :
ruine partout, or comme le toit tombé
laisse la chambre scellée
ouverte à l’air,
ainsi, dans notre désolation,
des pensées s’éveillent, l’inspiration nous traque
dans l’obscurité :
[…]
H(ilda) D(oolite), Trilogie, traduction Bernard
Hoepffner, Corti,2011, p. 9.
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06/09/2017
Jean Tardieu, Comme ceci comme cela
Comptine des civilisations
Pigeon vole voici voilà
voici la veuve voilée
harpe des douleurs
fleurie et transpercée
Vierge ou Niobé.
Voici voilà en la aréna
le taureau qui s’est arrêté
il ne sera pas mis à mort
le public le torero
dans un verre d’eau se sont noyés.
Pigeon hibou vautour vole
vol à l’immensité
un fémur renversé
un osselet de pierre
pour prier pour siffler.
Le sphinx Janus Uranus
je ne sais quels dieux trouvés
abandonnés oubliés
inconnus mais révérés.
Les ruines l’ossuaire
civilisations éteintes
les cités imaginaires
inhumaine vérité
bien au-delà de la Terre
s’endorment dans les stellaires
monastères ministères
cimetières.
Première poussière
poussière lumière
désert étoilé.
Jean Tardieu, Comme ceci comme cela,
Gallimard, 1979, p. 47-48.
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02/11/2016
Saül Bellow, Au jour le jour
Une fois de plus, dans l’air froid et la nuit qui tombait, il parcourut la courbe de la cage à l’entrée serrée entre des piliers de brique et il commença à monter au troisième étage. Des morceaux de plâtre s’écrasaient sous ses pieds, des bouts de fil de cuivre arrachés des plinthes marquaient d’anciennes limites d’appartements. Dans le couloir, le froid encore plus vif que dans les rues le transperça jusqu’aux os. Les toilettes de l’entrée faisaient des bruits de cataracte. Il pensa avec tristesse, tandis qu’il entendait le vent hurler tout autour de l’immeuble comme une fournaise, que ce n’était là qu’une caverne construite. Ensuite, il frotta une allumette dans l’obscurité et chercha des noms et des numéros au milieu des graffiti qui étaient écrits sur les murs. Il vit Kirikiki s’en va au ciel, des zigzags, des caricatures, des obscénités et des jurons. C’est ainsi qu’étaient également décorées les salles scellées des pyramides et les cavernes de l’humanité naissante.
Saul Bellow, "À la recherche de Mr Green", Au jour le jour, traduction Danielle Planel, Gallimard, 1962, p. 153-154.
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05/06/2015
Emmanuèle Jawad, Plans d'ensemble
histoires, frontière
les sols marqués de fragments courts, par endroits, le tracé suit la Spree
entre les plaques tombales, s’y insère, la mémoire d’une ligne
à la traversée, entre, reste de marbres et ciment, en place
zones d’herbe rase et chantiers ouverts, rouille commémorative
d’un pan vertical, tiges métalliques terminent la ligne de frontière
l’histoire par les sols entamés, tranchées entre les murs dédoublés, dans cet écart
terrain vague, ne subsiste qu’une vacance et la mémoire d’outre,
mémorial au lieu inscrit, dite l’armature seule, une élongation, un ressenti,
en marche, le cours, la ligne discontinue marque les anciens postes frontières,
radiation d’une clôture, vestiges en plans arrêtés
lavées, blanchies, dans l’effacement ténu peu à peu, les images,
il renverse l’ordonnancement des événements, de Berlin à Leipzig,
chute à un mouvement qui précède, foules d’amplitude, en surimpression, floues
Emmanuète Jawad, Plans d’ensemble, Propos2éditions, 2015, p. 53.
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22/10/2011
Max Jacob, Ballades, Derniers poèmes
Ruine
Trois morceaux de tarte sur un coin de commode et sur une assiette. À cela, on voit que cette boutique fut une pâtisserie. Il paraît qu’il y eut là une boutique. Combien de fois les cloisons de plâtre furent avancées ! Il ne reste plus que la place d’un lit et ce lit même. Trois poils de barbe sur un coin de visage ! Trois coins d’un miroir brisé ! Il s’examine, c’est le fils de la maison : il n’y a plus de maison ! Un veston neuf ajusté à la taille. Un chapeau de paille sur le coin d’une oreille. Trois vieux faux-cols désempesés ont servi de serviette à sa toilette. On sort ? Il regarde... Personne ! le désert avant d’arriver à la plage déserte.
Derniers poèmes en vers et en prose [1961], Poésie/Gallimard, 1982, p. 112.
Nocturne
Sifflet humide des crapauds
bruit des barques la nuit, des rames...
bruit d’un serpent dans les roseaux,
d’un rire étouffé par les mains,
bruit d’un corps lourd qui tombe à l’eau
bruit des pas discrets de la foule,
sous les arbres un bruit de sanglots,
le bruit au loin des saltimbanques.
Max Jacob, Les Pénitents en maillots roses (1925), dans Ballades, Gallimard, 1970, p. 217.
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