29/02/2020
Claude Chambard, carnet des morts
VI
Les feuilles sont mortes sur votre tombeau,
grand-père que je ne connais,
élevé dans la forêt, la hache sur les deux poings.
Perdu dans les rues des villes,
pleurant le départ des enfants,
& la femme morte trop jeune.
Où serions-nous allés ?
Qu’auriez-vous montré à l’infans ?
Vous seriez-vous battu avec Grandpère ?
Ou de votre air doux auriez-vous dit :
— Je vais partir, je ne vous gênerai plus.
Longue silhouette de dos
disparaissant après le virage du pont.
À pied toujours, cinq kilomètres vers l’autre village
où même la ferme ne vous appartient plus,
dévorée par la fratrie infectée.
Car l’adieu, c’est la nuit.
La langue, la voix impossible.
Le nom est un silence. On ne peut en compter les syllabes.
Ce n’est pas la mort, ce n’est pas la vie.
Un rêve, les mains jointes, près du coffret où s’entassent les lettres perdues.
Une longue marche — toujours vivant —
sans me soucier des murs
ni du tunnel
ni du balancier des heures.
Claude Chambard, carnet des morts, Le bleu du ciel, 2011, p. 55-56.
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24/05/2018
Claude Chambard,
Les feuilles sont mortes sur votre tombeau,
Grand-père que je ne connais,
Élevé dans la forêt la hache dans les deux poings,
Perdu dans les rues des villes,
Pleurant le départ des enfants,
& la femme morte trop jeune.
Où serions-nous allés ?
Qu’auriez-vous montré à l’infans ?
Vous seriez-vous battu avec Grandpère ?
Ou de votre air doux auriez-vous dit :
— Je vais partir, je ne vous gênerai plus.
Longue silhouette de dos
Disparaissant après le virage du pont.
À pied toujours, cinq kilomètres vers l’autre village
où même la ferme ne vous appartient plus,
dévorée par la fratrie infectée.
Car l’adieu c’est la nuit.
La langue, la voix impossible.
Le nom est un silence. On ne peut en compter les syllabes.
Ce n’est pas la mort, ce n’est pas la vie.
Un rêve, les mains jointes, près du coffret où s’entassent les
lettres perdues.
Une longue marche — toujours vivant —
sans me soucier des murs
ni du tunnel
ni du balancier des heures.
Claude Chambard, Carnet des morts, Coutras, Le bleu du ciel, 2011, p. 55-56.
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22/03/2016
Claude Chambard, Carnet des morts
Les feuilles sont mortes sur votre tombeau,
grand-père que je ne connais,
élevé dans la forêt, la hache dans les deux poings.
Perdu dans les rues des villes,
pleurant le départ des enfants,
& la femme morte trop jeune.
Où serions-nous allés ?
Qu’auriez-vous montré à l’enfants ?
Vous seriez-vous battu avec Grandpère ?
Ou de votre air doux auriez-vous dit :
— Je vais partir, je ne vous gênerai plus.
Longue silhouette de dos
disparaissant après le virage du pont.
À pieds toujours, cinq kilomètres vers l’autre village
où même la ferme ne vous appartient plus,
dévorée par la fratrie infectée.
Car l’adieu c’est la nuit.
La langue, la voix impossible.
Le nom est un silence. On ne peut en compter les syllabes
Ce n’est pas la mort, ce n’est pas la vie.
Un rêve, les mains jointes, près du coffret où s’entassent les lettres perdues.
Une longue marche — toujours vivant —
sans me soucier des murs
ni du tunnel
ni du balancier des heures.
Claude Chambard, Carnet des morts, Le bleu du ciel, 2011, p. 55-56.
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11/03/2016
Nicolas Zabolotsky (1902-1958), Le Loup toqué, traduction Jean-Baptiste Para
Près du tombeau de Dante
Florence fut pour moi une mère sans amour,
J’ai voulu reposer à Ravenne.
Ne parle pas, toi qui passes, de félonie,
Ce que la mort a scellé ne sera pas rompu ici.
Sur mon sépulcre blanc roucoule une colombe,
Oiseau délicieux de douceur,
Mais je ne rêve jamais qu’à ma cité.
À elle seule je garde fidélité.
Le luth brisé ne fera pas ce voyage,
Il a péri au pays natal. Mais pourquoi,
Toi ma tristesse, ô ma Toscane,
Embrasses-tu ma bouche orpheline ?
Soudain jaillie du soir la colombe
S’envole, comme saisie d’effroi,
Et l’ombre d’un avion hostile
Trace des cercles au-dessus de la ville.
Fais donc tinter tes cloches, carillonneur !
N’oublie pas que le monde est couvert d’écume
[et de sang !
J’ai souhaité reposer à Ravenne,
Mais Ravenne n’était pas le remède non plus.
Nikolaï Zabolotski, Le Loup toqué, traduit du russe
par Jean-Baptiste Para, La rumeur libre, 2016, p. 163.
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27/09/2015
Jacques Roubaud, Dix hommages / Octogone
In memoriam Edoardo Sanguineti
sopra il secondo versodi un sonetto rovesciato
Ed. S., in Renga, 1971.
Quelques jours avant la mort nous évoquions
Par lettre écrite, à l’ancienne, ces moments
<Antiques (quarante ans !) dans la fosse aux lions
De l’Hôtel Saint-Simon, quadri-dialoguant-
Sourds, ce renga occidental : lui, moi, pions
Agités plus qu’erratiques insolents
Dans le jeu par Octavio conçu : sonetto,
Sonnet, la chose italienne où Shakespeare
A passé ; Góngora, Marino, les pires
Poètes, et meilleurs ; Mallarmé, Giacomo
« Caro padre » notre, peu profond ruisseau
Calomnié la mort. La forme où l’écrire
Fut notre lien en toutes ces années. Dire
Cela soit ma poussière sur ce tombeau.
Jacques Roubaud, Dix hommages, Ink, 2011, np,
repris dans Octogone, Gallimard, 2014, p. 55.
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23/03/2015
Johannes Bobrowski, Boehlendorff et quelques autres, traduction J.-C. Schneider
À propos de poésies posthumes
Comme dans les monts d’Alk
Lorsqu’y court, aussi leste,
La bergère, qu’en plaine,
Et du roc fait son lit,
Mais dessus le pied déli-
Cat, pour mille baisers,
Ne veut plus avancer,
Quand moi, pour l’approcher,
Je saute les rochers,
Tant l’amour a des ailes,
Nonobstant les cailloux
Courant au-devant d’elle
Je tombe à deux genoux
Et aperçoit en haut
Ma vie et mon tombeau.
Johannes Bobrowski, Boehlendorff et quelques
autres, traduit de l’allemand par Jean-Claude
Schneider, La Dogana, 1993, p. 61.
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02/11/2011
Jacques Roubaud, Tombeaux de Pétrarque, dans Dors
Tombeaux de Pétrarque
cobla I
Ou le soleil mange les étoiles dans l'aube
ou dans la neige tes cheveux prendront rive
comme les vents aux fleuves liés de glace
si des écueils but amer de ma voile
une lumière de collines entre branches
m'écarte neuf j'aborde au cours d'un bois
contre la lune dans tes bois c'est le soir
pas une fleur que la trame de ces notes
poisse les nuits comme rimes à la mort
cobla II
Poisse des fleurs ou dans le style joyeux
si la forêt d'un seul jour sur la terre
s'éveille force de ces vers qui voient l'air
vibrer des yeux s'emplir d'années-laurier
qu'ainsi la pente (la nuit jette les eaux
à ces vallées soit de pluie soit de brume)
partout légère (c'est le prix de ce lieu
nommé le port mais sans navires) : la vie
la nôtre Temps du ciel gavé de feuilles
Jacques Roubaud, Dors, précédé de Dire la poésie, Gallimard, 1981, p. 109-110.
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23/09/2011
Jacques Réda, L'Herbe des talus
Tombeau de mon livre
Livre après livre on a refermé le même tombeau.
Chaque œuvre a l’air ainsi d’une plus ou moins longue allée
Où la dalle discrète alterne avec le mausolée.
Et l’on dit, c’était moi, peut-être, ou bien : ce fut mon beau
Double infidèle et désormais absorbé dans le site,
Afin que de nouveau j’avance et, comme on ressuscite —
Lazare mal défait des bandelettes et dont l’œil
Encore épouvanté d’ombre cligne sous le soleil —
Je tâtonne parmi l’espace vrai vers la future
Ardeur d’être, pour me donner une autre sépulture.
Jusqu’à ce qu’enfin, mon dernier fantôme enseveli
Sous sa dernière page à la fois navrante et superbe,
Il ne reste rien dans l’allée où j’ai passé que l’herbe
Et sa phrase ininterrompue au vent qui la relit.
Jacques Réda, L'herbe des talus, Gallimard, 1984, p. 208.
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