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06/05/2017

64 Dodoïstu, Les montagnes, les rizières et la mer

       

                       64 Dodoïstu, Les montagnes les rizières et la mer, alain kervern, rupture, grenouille, pluie, femme

L’homme avec qui j’ai rompu

Le voilà au détour du chemin

Vite frottons nous les yeux

Une poussière y est entrée

 

Le long des berges

Par temps de pluie

Des grenouilles se tiennent

Vigiles de l’autre monde

 

La pluie tombe

Les mauvaises langues se délient

La pluie s’arrête

Les mauvaises langues continuent

 

Cœur de femme

Corps de luciole

Sans un mot

Se consument

 

64 Dodoïstu, Les montagnes les rizières et la mer,

traduction du japonais Alain Kervern,

Calligrammes,1984, np.

19/02/2017

Yannis Ritsos, Erotica

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Meubles tissus objets

d’usage courant

la vieille lampe

un bouton dans le verre

faux-fuyants — dit-il —

des à-peu-près

pour ce qui n’a pas été nommé —

derrière le rideau rouge

une femme nue

deux oranges dans les mains

moi je monte sur la chaise

j’enlève les toiles d’araignée du plafond

pourtant

si je ne te nomme pas

ce n’est pas toi

ni moi.

 

Yannis Ritsos, Erotica, traduit du grec par

Dominique Grandmont, Gallimard, 1981, p. 30.

10/02/2017

Sylvia Plath, Arbres d'hiver

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             Arbres d’hiver

 

Les lavis bleus de l’aube se diluent doucement.

Posé sur son buvard de brume

Chaque arbre est un dessin d’herbier —

Mémoire accroissant cercle à cercle

Une série d’alliances.

 

Purs de clabaudages et d’avortements,

Plus vrais que des femmes,

Ils sont de semaison si simple !

Frôlant les souffles déliés

Mais plongeant profond dans l’histoire —

 

Et longés d’ailes, ouverts à l’au-delà.

En cela pareils à Léda.

Ô mère des feuillages, mère de la douceur

Qui sont ces vierges de pitié ?

Des ombres de ramiers usant leur berceuse inutile.

 

Sylvia Plath, Arbres d’hiver, précédé de La Traversée,

traduction Françoise Morvan et Valérie Rouzeau,

Poésie / Gallimard, 1999, p. 175.

 

 

 

14/01/2017

Daniil Harms, Œuvres en prose et en vers

                                            Daniil_Kharms-150x150.jpg

Mais combien de mouvements divers

Courent impétueusement à sa rencontre

Un autre aide se hâte vers lui

Un autre char se meut encore

 

La fenêtre s'ouvre

Paisiblement s'approche

un éléphant. Le voilà le cher

spectral. Le voilà

le cher spectral.

Le voilà le cher

spectral. Le voilà

le cher spectral. Le voilà le jour

plein de souffrance. Rien à manger,

rien à manger, rien à manger.

J'ai faim. Oï oï oï !

J'ai faim. J'ai faim.

Voilà mon mot.

Je veux nourrir ma

femme. Je veux nourrir

ma femme. Nous avons très

faim.

Ah qu'il y a de choses

merveilleuses ! Ah qu'il y a

de choses merveilleuses !

Le vin et la viande. Le vin et la viande.

Le vin est plus agréable que le gruau.

Putain, putain, putain !

Le vin est plus agréable que le gruau.

Prenons prenigue prinigonfli !

La viande est meilleure que la pâte !

La viande est meilleure que la pâte !

 

Je ne mange que viande et légumes.

Je ne bois que bière et vodka.

Gongli gonfla !

Je n'aime pas les femmes russes.

La femme russe surtout si elle a maigri,

surtout si elle a maigri,

Gonfili gonfilette !

Surtout si elle a maigri,

Ça vaut pas tripette !

Pouah ! Pouah ! Pouah !

C'est une horreur !

J'aime les juives bien en chair !

Ça c'est adorable !

Ça c'est adorable !

Ça c'est,

Ça c'est,

Ça c'est adorable !

Je me conduis avec insolence.

Je me conduis avec extrême insolence.

(Saute à travers le tonneau).

Je me conduis avec insolence.

Gonfli gonfla !

J'aime manger de la viande,

Boire bière et vodka,

Manger viande et légumes

Boire bière et vodka.

Gonfilette gonfila !

Je veux manger de la viande !

Boire bière et vodka !

C'est comme ça !

(Saute à travers le tonneau !)

 

Harmonius

3 janvier 1938

 

Daniil Harms, Œuvres en prose et en vers, traduit du russe et annoté par Yvan Mignot, Verdier, 2005, p. 706-708.

 

04/11/2015

Édouard Levé (1965-2007), Suicide

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   Un samedi au mois d’août tu sors de chez toi en tenue de tennis accompagné de ta femme. Au milieu du jardin tu lui fais remarque que tu as oublié ta raquette à la maison. Tu retournes la chercher, mais au lieu de te diriger vers le placard de l’entrée où tu la ranges d’habitude, tu descends à la cave. Ta femme ne s’en aperçoit pas, elle est restée dehors, il fait beau, elle profite du soleil. Quelques instants plus tard, elle entend la décharge d’une arme à feu. Elle accourt à l’intérieur de la maison, elle crie ton nom, remarque que la porte de l’escalier qui conduit vers la cave est ouverte, y descend et t’y trouve. Tu t’es tiré une balle dans la tête avec le fusil que tu avais soigneusement préparé. Tu as laissé sur la table une bande dessinée ouverte sur une double page. Dans l’émotion, ta femme s’appuie sur la table, le livre bascule en se refermant sur lui-même avant qu’elle ne comprenne que c’était ton dernier message.

   Je ne suis jamais allé dans cette maison. J’en connais pourtant le jardin, le rez-de-chaussée et la cave. J’ai revu la scène des centaines de fois, toujours dans les mêmes décors, ceux que j’ai imaginés la première fois que l’on me fit le récit de ton suicide. Cette maison était dans une rue, elle avait un toit et ne façade arrière. Mais rien de tout cela n’existe. Il y a le jardin où tu sors une dernière fois dans le soleil et où ta femme t’attend. Il ya la façade vers laquelle elle court lorsqu’elle entend la décharge. Il y a l’entrée, où la raquette se trouve, la porte de la cave et l’escalier. Enfin il y a la cave où gît ton corps. Il est intact. Ton crâne n’a pas explosé comme on me l’a dit. Tu es comme un jeune joueur de tennis qui se repose après un match sur le gazon. Tu en sais maintenant plus que moi sur la mort.

 

Édouard Levé, Suicide, Folio Gallimard, 2015 [P.O.L, 2008], p. 9-10.

14/10/2015

Emmanuel Laugier, 27 fois — et suivantes : Jacques Dupin

Emmanuel Laugier, 27 fois — et suivantes : Jacques Dupin, corps, femme, voix, écrire

27 fois — et suivantes : Jacques Dupin

 

papier de riz cassant le rêve

où sa jambe revenue

ouvre la garrigue

au son rêche des tissus

une écharde orpheline fait assez simple ra-

ccord persistant

 

la jambe harassée

où le nerf court et brûle

le long de la colonne du souffle

si l’écrire

le détachait de son corps

 

la semence de la voix

soufflée

là même où il répond

et s’en va

 

la suffocation à travers laquelle

il ne respire plus

est nœud gordien

logé au rappel de sa voix ici même

où le champ s’ouvre et se consume dans une fumée âcre

[...]

 

Emmanuel Laugier, 27 fois — et suivantes : Jacques Dupin,

dans Koshkonong, n°8, été 2015, p. 16.

 

07/10/2015

Roger Gilbert-Lecomte, Œuvres complètes, II, Poésie

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Dans les yeux de la nuit

 

Une femme s’endort sur un toit c’est la nuit

Abandonnée antique au péril du vertige

Aux traîtrises rêveuses des gestes du sommeil

Songeuse ensevelie en glissades mortelles

Sur le haut toit déserte glace tendue face à l’espace

Sur le zinc oxydé de vieux soleil tueur

Et de lune ancienne empoisonneuse en larmes

La grande somnambule y crie de tous ses ongles

De ses doigts déments naissent des diamants crissants

Et des gouttes de sang qui chantent en dansant

La danse en perles du mercure

Vers la femme qui dort sur le monstre du vide

Une cheminée fume un nuage en haillons

Dans la soie noire de la suie le vent des nuits

Dresse une tente errante

Creuse l’antre céleste nomade

Pour l’adoration des yeux prodigieux

De la femme endormie aux paupières battantes

Ses trop longs cils vibrants émeuvent les rayons

Des étoiles rétractiles

C’est la nuit la dormeuse un œil clos l’autre ouvert

Tout le monde à jour contre ce qu’elle voit .

 

Roger Gilbert-Lecomte, Œuvres complètes, II, Poésie,

édition établie par Jean Bollery, Gallimard, 1977, p. 74.

23/09/2015

Carol Snow (née en 1949), Pour, dans Rehauts

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Postures du corps VI

 

Voulant non seulement l’immobilité des collines

mais une médiation — comme un regain

 

sur les collines — mur

de silence au-dessus des collines. Moore sculpte une figure

 

massive en marbre noir : un corps

de femme, couchée, courbée ; une éloquence

 

d’os, de coquillage,

pierres portées par-delà la contradiction.

 

                                               

 

                                                Tu t’es arrêtée

au bord de la route, étalement

 

de collines à mi-distance, quelques maisons. Seules les vertes

étendues du vignoble dans l’entre-deux

 

semblaient accessibles, c’est-à-dire humaines — question

d’échelle : silence imposant, tel que seules

 

les collines (également

imposantes) pouvaient reposer.

 

Cézanne, penché sur sa toile, aurait maîtrisé

cette vue, penses-tu : les bleus et les verts

et les ocres du proche et du lointain, cette posture

 

précaire de la danse, non le dessin qui unit

le dissemblable, par exemple les corps, mais le maintien

séparé du corps et du terrain, tu étais si

 

figée, tu pensais que tu pourrais devenir ces collines,

ou bien être née de ces collines

ou bien ton corps

aurait été un modèle pour ces collines.

 

Carol Snow, Pour, dans Rehauts, n° 35, printemps 2015,

traduit de l’anglais (États-Unis) par Maïtreyi et Nicolas Pesquès,

p. 3-4.

30/08/2015

Pascal Quignard, Petits traités, I

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   J’aime les taillis depuis l’enfance, les ronciers où se cueillent les mûres en levant les bras, les buis inextricables. Des formes peu à peu sont vues. Des formes de femmes sombres dans l’écheveau des branches ou des cordes qui les masquent, qui les enserrent, dont elles se dépêtrent, où enfin elles surgissent. Je me souviens du mot d’un Viking, Thorolfr le Hautain : qu’il fallait toujours regarder avec soin dans les buissons, sur les coteaux, parmi les arbres, sur les talus, parmi les feuilles : peut-être une arme brille.

 

Pascal Quignard, Petits Traités, I, Maeght, 1980, p. 31.

27/08/2015

Marie Étienne, Le LIvre des recels

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                                          Péage

 

  On tue une femme ou elle se tue. On ne sait pas. On la retrouve dans le fleuve. On l’a vue sur le pont, il fait nuit. Le fleuve, le pont : un paysage. Ils sont tranquilles et doux, ils possèdent une histoire, permanente. Celle d’une femme qui, différente et la même, a la douleur comme une rage, se voit déteindre assez, dans l’eau des jours, pour se vouloir enfin, trempée, noyée.

   Je l’ai aimée, sa silhouette, je l’ai cherchée dans les chroniques d’<Ile-de-France, dans le journal de la province, toujours à feuilleter les faits-divers. Sur la photo le pont, mais vide. Et l’eau.

   Tu comprends, j’imagine, ce qui se pourrait, là, passer. La Loire comme aujourd’hui, épaisse et plate, et nous, devant son eau, massée de mouvements internes, ou plantée d’arbres pâles ; la terre en ordre, malgré l’odeur des digues ; çà et là les moissons de pierres entassées, de ciels ; et pesamment le chaud qui baignes la ferveur, l’air qui brise le lisse.

 

Marie Étienne, Le Livre des recels, Poésie / Flammarion, 2011, p. 157.

13/08/2015

Michel Leiris, Nuits sans nuit et quelques jours sans jour

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                  (1936)

 

23 avril 1934

 

   Cette femme dont je suis amoureux et moi, nous suivons notre histoire dans une publication hebdomadaire illustrée destinée aux enfants. Chaque semaine, nous achetons un fascicule et, dans les petits blocs de textes comme dans la suite d’images qu’ils commentent, nous trouvons décrit tout ce que nous ferons.

 

 

8-9 mai 1934

 

   Le même très jeune femme et moi, nous nous résentons dans une école, sans doute pour en devenir les élèves. C’est une villa avec jardin. On nous introduit dans une sorte de paillotte circulaire à toit conique (telle que j’en ai vu au Soudan) : chenil où des bêtes de toutes races sont couchées dans la paille. Un portier ( ?), probablement nègre, en uniforme et coiffé d’une casquette de marine, nous dit que c’est là que nous habiterons. Nous devons coucher sous les chiens.

 

Michel Leiris, Nuits sans nuit et quelques jours sans jour, Gallimard, 1961, p. 116 et 117.

04/05/2015

Joé Bousquet, La neige d'un autre âge

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   Elle ne regarde plus le miroir ancien, où elle recomposait son visage et le fardait en attendant le train de la première heure, mais s’assied chaque fois, en face de cette eau verdâtre, qui ne reçoit plus de rayons de la fenêtre voisine. On dirait qu’elle en affronte le regard, maintenant que je maintiens une obscurité perpétuelle dans la chambre où elle voyait autrefois se lever le jour.

   Je ne sais comment elle est entrée. Peut-être avais-je l’esprit ailleurs. Ou sa présence et la mienne s’enchantent mutuellement et détruisent ensemble le peu d’attention qu’il m’avait fallu pour ouvrir une lettre, pour ranimer une photo. Même attendue, elle surprend toujours mes yeux par un éclat que mes souvenirs ne retiennent pas. Et j’avais longuement espéré de la voir... on dirait qu’elle m’apparaît alors que, de dépit, je me suis quitté moi-même.

   Ses gants de peau claire sont ouverts sur mon lit, entre elle, qui lit en cachette un de mes cahiers, et le chevet de mon lit où vient de disparaître une ombre qui nous séparait.

[...]

 

 

Joé Bousquet, La neige d’un autre âge, Le cercle du livre, 1952, p.  25-26.

02/05/2015

Jaromir Typlt, Ce murmure insistant...

 

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Ce murmure insistant

 

 

Je suis allongé

sur une couche

de vibrations et de bruissements

à peine audibles.

À peine audibles

mais continus. Ils forcent le chemin,

me pénètrent par en-dessous,

me rabotent, doucement

mais très, très doucement

me

blessent.

Comme si quelque chose se frayait

un passage

entre plancher et plafond,

dans un entre-deux.

Surtout ce frémissement

sonore,

presque clair,

parfois discontinu.

Ce murmure insistant,

comme un bavardage féminin venant d’en bas.

 

 

 

To naráží řeč

 

Ležím

na podloží

sotva slyšitelných

drnčení a hukotů.

Sotva slyšitelných

ale vytrvalých. Prosazují se

 a odspodu do mě vnikají,

přenášejí se na mě, lehce,

ale velmi velmi lehce

pobolívají.

Jako by něco drhlo

mezi stropem a podlahou,

někde tam, kde se od sebe ještě nedají rozeznat.

Zvlášť to vysoké,

málem až jasné,

chvílemi přerušované

chvění.

To naráží řeč.

Asi spolu o patro níž mluví ženské.

 

Jaromír Typlt, To naráží řeč, in revue Souvislosti,

01/2009 ; repris dans  Nejlepší české básně 2009 ,

Brno: Host, 2009.

©Traduction du tchèque Chantal Tanet,

avec le concours de l'auteur.

 (À écouter : stáhnout mp3 )

 

 

 

10/03/2015

Isabelle Garron, Corps fut

 

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Variations 2

 

[...]

là. enfant .tu évoques l'épreuve d’un texte

aux confins d’une île. ici l’empreinte

 

d’origine ses contours traduits

dans la neige

 

la fatigue de l’image .d’une femme

sa condition .et le ventre

 

les soubresauts et les

expectorations

 

lire noté à maintes reprises

je ne raconterai point

j’écrirai

 

sous une nuit l’attente fêlée

d’une voix dans la ruelle

en contrebas

 

les nuages dans la vallée

la crainte aussi

d’un retour du froid

 

Isabelle Garron, Corps fut, Flammarion,

2011, p. 95-96.

22/02/2015

Basho seigneur ermite, l'intégrale des haïkus

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« Est-il aveugle ? »

ainsi me voit-on —

Admiration de la lune.

 

Que mangent ces pauvres gens ?

La petite maison d’automne

à l’ombre d’un saule.

 

 

L’odeur de fleur d’orchidée

persistante dans le beau rideau —

Sa chambre privée.

 

Fin d’automne

je tire sur moi

une étroite couverture.

 

Impossible amour —

D’une femme contemplant le soir

rêve mélancolique.

 

 

Basho seigneur ermite, l’intégrale des haïkus,

édition bilingue de Makotu Kemmoku et

Dominique Chipot, La Table ronde,

2012, p. 369, 370, 371, 372, 383.