14/01/2017
Daniil Harms, Œuvres en prose et en vers
Mais combien de mouvements divers
Courent impétueusement à sa rencontre
Un autre aide se hâte vers lui
Un autre char se meut encore
La fenêtre s'ouvre
Paisiblement s'approche
un éléphant. Le voilà le cher
spectral. Le voilà
le cher spectral.
Le voilà le cher
spectral. Le voilà
le cher spectral. Le voilà le jour
plein de souffrance. Rien à manger,
rien à manger, rien à manger.
J'ai faim. Oï oï oï !
J'ai faim. J'ai faim.
Voilà mon mot.
Je veux nourrir ma
femme. Je veux nourrir
ma femme. Nous avons très
faim.
Ah qu'il y a de choses
merveilleuses ! Ah qu'il y a
de choses merveilleuses !
Le vin et la viande. Le vin et la viande.
Le vin est plus agréable que le gruau.
Putain, putain, putain !
Le vin est plus agréable que le gruau.
Prenons prenigue prinigonfli !
La viande est meilleure que la pâte !
La viande est meilleure que la pâte !
Je ne mange que viande et légumes.
Je ne bois que bière et vodka.
Gongli gonfla !
Je n'aime pas les femmes russes.
La femme russe surtout si elle a maigri,
surtout si elle a maigri,
Gonfili gonfilette !
Surtout si elle a maigri,
Ça vaut pas tripette !
Pouah ! Pouah ! Pouah !
C'est une horreur !
J'aime les juives bien en chair !
Ça c'est adorable !
Ça c'est adorable !
Ça c'est,
Ça c'est,
Ça c'est adorable !
Je me conduis avec insolence.
Je me conduis avec extrême insolence.
(Saute à travers le tonneau).
Je me conduis avec insolence.
Gonfli gonfla !
J'aime manger de la viande,
Boire bière et vodka,
Manger viande et légumes
Boire bière et vodka.
Gonfilette gonfila !
Je veux manger de la viande !
Boire bière et vodka !
C'est comme ça !
(Saute à travers le tonneau !)
Harmonius
3 janvier 1938
Daniil Harms, Œuvres en prose et en vers, traduit du russe et annoté par Yvan Mignot, Verdier, 2005, p. 706-708.
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10/12/2015
Daniil Harms, Le Samovar
Les chats
Un jour, d’un joyeux pas,
Je revenais chez moi.
Soudain, je vois des chats,
Qui m’tournent le dos, ma foi.
Je crie : hé-ho, les chats !
Ne restez pas comme ça,
Suivez-moi de ce pas,
Je vous amène chez moi.
Suivez-moi donc, les chats,
Je vais vous mitonner
De suite un fameux plat,
Il y aura du soufflé.
Mais non ! répondent les chats,
On préfère rester là !
Les voilà donc assis,
Aucun ne m’a suivi.
Daniil Harms, Le Samovar, édition bilingue,
traduit du russe par Eva Antonnikov, Héros
Limite, 2015, p. 31.
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11/08/2014
Nikolaï Zabolotski, Poèmes, et Daniil Harms, Œuvres en prose et en vers
Zabolotski
L’adieu aux amis
Avec vos chapeaux à larges bords, vos longues vestes
Vos carnets de poèmes
Vous vous êtes dispersés en poussière
Comme font les lilas passé le temps des fleurs.
Vous reposez depuis longtemps dans ce pays
Sans formes préétablies, où tout se rompt, se mêle,
Se désagrège, où le tertre funéraire tient lieu de ciel,
Où l’orbite de la lune est immobile.
Là, dans une autre langue, un idiome brumeux,
Chante un synode d’insectes aphones.
Là, une petite lanterne à la main,
Le bonhomme-scarabée complimente ses amis.
Cette paix vous est-elle douce, camarades ?
Avez-vous bien tout confié à l’oubli ?
Maintenant vos frères sont les racines et les fourmis,
Les brins d’herbe, les soupirs, les colonnes de poussière.
Vos sœurs maintenant sont les œillets sauvages,
Les thyrses de lilas, les copeaux, les poules de passage…
Le frère que vous avez laissé là-haut
N’a plus la force de se rappeler votre langage.
Sa place n’est pas encore sur ce rivage
Où vous avez disparu, légers, comme des ombres,
Avec vos chapeaux à larges bords, vos longues vestes,
Vos carnets de poèmes.
1952
Nikolaï Zabolotski, Poèmes suivis de Histoire de mon incarcération, traduits et présentés par Jean-Baptiste Para, dans Europe, n°986-987, juin-juillet 2011, p. 238-281.
Poème écrit en souvenir de Daniil Harms et d’Alexandre Vvedenski, poètes de l’Oberiou, dix ans après leur mort [Note de J.-B. Para]
Oberiou :sigle de : Obiedinienie Realnovo Iskousstva (Association de l'art réel), groupe littéraire fondé en 1927, auquel se joindra le peintre Malevitch.
Daniil Harms
Le court éclair survola le tas de neige
alluma la bougie tonnerre détruisit l’arbre
le mouton (tigre) épouvanté aussitôt
se mit à genoux
aussitôt fuirent les enfants du cerf
aussitôt la fenêtre s’ouvrit
et Harms passa sa tête
Nicolaï Makarovitch et Sokolov (1 et 2)
passèrent en parlant des fleurs et des nombres féériques
aussitôt passa de l’esprit de la poutre Zabolotski
lisant un livre de Skorovoda (3)
il était suivi par Skaldine (4) s’accompagnant d’un cliquetis
et les pensées de sa barbe tintaient. La chope de l’échine tintait
Harms par la fenêtre criait seul
où es-tu ma compagne
oiselle Esther envolée par la fenêtre
Sokolov lui depuis longtemps se taisait
sa silhouette partie devant
et Nicolaï Makarovitch renfrogné
écrivait des questions sur la papier
Zabolotski couché sur le ventre
voyageait dans un chariot
et au-dessous de l’ours Skaldine
volait un aigle du nom de Serge.
(Mars 1931)
Daniil Harms, Œuvres en prose et en vers, traduit du russe et annoté par Yvan Mignot, avant-propos de Mikhaïl Iampolski, éditons Verdier, 2005, p. 408-409.
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18/10/2013
Daniil Harms (1905-1942), Œuvres en prose et en vers
On m'appelle le capucin. Pour ça j'arracherai les oreilles à qui de droit, mais en attendant la gloire de Jean-Jacques Rousseau ne me laisse pas en paix. Pourquoi savait-il tout ? Et comment langer les bébés et comment marier les filles ! Moi aussi j'aimerais comme lui tout savoir. Je sais d'ailleurs déjà tout, mais je ne suis pas sûr de ce que je sais. À propos des enfants je sais pertinemment qu'il ne faut pas les langer, mais les exterminer. Pour ce faire, j'aurais construit en ville une fosse centrale où je les aurais jetés. Et pour que la puanteur de la putréfaction ne monte pas de la fosse, on peut la recouvrir de chaux vive chaque semaine. Dans cette même fosse j'aurais précipité tous les bergers allemands. Maintenant, à propos du mariage des filles. C'est à mon sens encore plus simple. J'aurais préparé une salle commune où, disons, une fois par mois tous les jeunes se seraient réunis. Tous de 17 à 35 ans, doivent se mettre nus et parcourir la salle. Si quelqu'un plaît à quelque autre, le couple se retire dans un coin et s'y examine alors en détail. J'ai oublié de dire que chacun doit porter à son cou une carte avec son nom, son prénom et son adresse. Après, on peut écrire une lettre à la personne qu'on a trouvée à son goût et faire plus ample connaissance. Si un vieux ou une vieille se mêle de ces affaires, je propose de les tuer d'un coup de hache et de les traîner là où l'on traîne les enfants, dans la fosse centrale.
J'écrirais bien encore sur les connaissances que je possède en moi, mais je dois malheureusement aller chercher du gris au bureau de tabac. Quand je sors dans la rue j'emmène toujours avec moi un gros bâton noueux. Je le prends pour en frapper les enfants qui me tombent sous la main. C'est sans doute pour ça qu'on m'a surnommé le capucin. Mais attendez salauds, je vous écorcherai en plus les oreilles !
Daniil Harms, Œuvres en prose et en vers, traduit du russe et annoté par Yvan Mignot, Verdier, 2005, p. 785-786.
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14/06/2011
Nikolaï Zabolotski, Daniil Harms
Zabolotski
L’adieu aux amis
Avec vos chapeaux à larges bords, vos longues vestes
Vos carnets de poèmes
Vous vous êtes dispersés en poussière
Comme font les lilas passé le temps des fleurs.
Vous reposez depuis longtemps dans ce pays
Sans formes préétablies, où tout se rompt, se mêle,
Se désagrège, où le tertre funéraire tient lieu de ciel,
Où l’orbite de la lune est immobile.
Là, dans une autre langue, un idiome brumeux,
Chante un synode d’insectes aphones.
Là, une petite lanterne à la main,
Le bonhomme-scarabée complimente ses amis.
Cette paix vous est-elle douce, camarades ?
Avez-vous bien tout confié à l’oubli ?
Maintenant vos frères sont les racines et les fourmis,
Les brins d’herbe, les soupirs, les colonnes de poussière.
Vos sœurs maintenant sont les œillets sauvages,
Les thyrses de lilas, les copeaux, les poules de passage…
Le frère que vous avez laissé là-haut
N’a plus la force de se rappeler votre langage.
Sa place n’est pas encore sur ce rivage
Où vous avez disparu, légers, comme des ombres,
Avec vos chapeaux à larges bords, vos longues vestes,
Vos carnets de poèmes.
1952
Nikolaï Zabolotski, Poèmes suivis de Histoire de mon incarcération, traduits et présentés par Jean-Baptiste Para, dans Europe, n°986-987, juin-juillet 2011, p. 238-281.
Poème écrit en souvenir de Daniil Harms et d’Alexandre Vvedenski, poètes de l’Oberiou, dix ans après leur mort [Note de J.-B. Para]
Oberiou :sigle de : Obiedinienie Realnovo Iskousstva (Association de l'art réel), groupe littéraire fondé en 1927, auquel se joindra le peintre Malevitch.
Daniil Harms
Le court éclair survola le tas de neige
alluma la bougie tonnerre détruisit l’arbre
le mouton (tigre) épouvanté aussitôt
se mit à genoux
aussitôt fuirent les enfants du cerf
aussitôt la fenêtre s’ouvrit
et Harms passa sa tête
Nicolaï Makarovitch et Sokolov (1 et 2)
passèrent en parlant des fleurs et des nombres féériques
aussitôt passa de l’esprit de la poutre Zabolotski
lisant un livre de Skorovoda (3)
il était suivi par Skaldine (4) s’accompagnant d’un cliquetis
et les pensées de sa barbe tintaient. La chope de l’échine tintait
Harms par la fenêtre criait seul
où es-tu ma compagne
oiselle Esther envolée par la fenêtre
Sokolov lui depuis longtemps se taisait
sa silhouette partie devant
et Nicolaï Makarovitch renfrogné
écrivait des questions sur la papier
Zabolotski couché sur le ventre
voyageait dans un chariot
et au-dessous de l’ours Skaldine
volait un aigle du nom de Serge.
(Mars 1931)
Daniil Harms, Œuvres en proses et en vers, traduit du russe et annoté par Yvan Mignot, avant-propos de Mikhaïl Iampolski, éditons Verdier, 2005, p. 408-409.
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