30/01/2014
James Sacré, Trois anciens poèmes mis ensemble pour lui redire je t'aime
Une semaine avec James Sacré
Le taureau, la rose et le poème
Avec sa fesse en feu souple en soie la femme
Son visage en linges doux avec ses dentelles
Son foin les odeurs sa fouine tiède elle
Travaille à des treillis miraculeux des trames
Elle trame un piège au monde et mine ses atours
(mime ses amours)
Lui crame ses forêts tombent.
Belle elle est la rose
À cueillir au rosier, le projet d'un poème :
Qu'elle porte une épine au cœur de sa splendeur
Le désir en fleurit davantage d'ardeur
De jambes de soleil dans le jeu du poème.
[...]
James Sacré, Trois anciens poèmes mis ensemble pour lui redire je t'aime, Cadex éditons, dessin de Yvon Vey, 2006, p. 43-44.
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06/01/2014
Henri Thomas, Poésies, préface de Jacques Brenner
Chauve-souris
La fadeur qui s’en va de la femme endormie
me poursuit vaguement, inquiétant ma vie.
Ce début de poème exprime une tristesse
si confuse qu’un rien la changerait en liesse.
Pourquoi liesse, pourquoi tristesse, pourquoi
ne pas rester tranquille et fort et sûr de soi ?
Un rameau monte de la plaine du sommeil,
c’est le jour, ébloui de renaître pareil.
M’envoler dans ce monde à l’énorme ramure,
aigle ou petit oiseau, quelle belle aventure !
Hélas, chauve-souris de cette voûte obscure,
je dors, alors que s’ensoleille la nature.
L’homme divers, comme un miroir qui bougerait
me fait peur, et la femme aux humides attraits
m’emmène au loin au pays des faibles cris,
des mensonges, et des fatigues de midi.
Le jour s’éteint, salut, crépuscule banal,
il est temps de glisser vers le monde infernal.
Henri Thomas, Poésies, préface de Jacques Brenner, Poésie / Gallimard, 1970, p. 161.
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23/11/2013
Sophie Loizeau, caudal
toit c'est moi c'est ta moi à toi
la stoppe en pleine phrase le point, la virgule ou
— que les ruptures brusquent —
la lectrice ne peut plus s'éclipser (nos éclipses naturelles de lecture
durant lire les aléas.
où que j'aille l'intense angoisse persécute. d'apnées peu,
d'immersions je lis levant les yeux souvent
[...]
mes livres, mon brevet d'invention lorsqu'en chercheuse.
l'effet sur la langue surprenant du féminin, le fruit d'expériences
(mais sans jamais me déprendre des hommes
l'écueil : la pauvre poésie. si l'on s'en empare on lira pour quel avenir
pour quel au-delà mer
à l'instar du petit orteil des dents de sagesse la e muette disparaîtra
ne tisse pas écris. contre-
métaphore
légèrement Bescherelle quant à la forme un exemple / une règle
j'ai vu ne m'adresser qu'à des femmes et dire restons
vigilants
mon John Borgen.
Sophie Loizeau, caudal, Flammarion, 2013, non paginé.
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22/10/2013
Guennadi Aïgui (1934-2006), Maison — dans la forêt du monde
Maison — dans la forêt du monde
la maison — ou le monde
où je descendais à la cave
quand le jour était blanc — et moi
cherchant le lait — cela se maintenait longtemps
descendant avec moi : c'était
un fleuve-jour : dès lors qu'afflue
une lumière de plus en plus vaste
transvasée dans le monde :
j'étais d'un événement créateur
à l'âge
des créations premières —
la cave — il y a longtemps — c'était simple et durable
la forêt blanche dans la brume
et cette
enfant portant la cruche — ces yeux étaient un univers — le ciel alors chantait de toute vastitude — comme un chant bien à elles
répandent sur le monde
les femmes — par la simple irradiance du passage
de leur blancheur — dans l'élargissement
du champ où je commençais voix —
être — univers-enfant :
— je fus — cela chanta et fut
1987
Guennadi Aïgui, Hors commerce Aïgui, textes réunis et traduits par André Markowicz, Le Nouveau Commerce, 1993, p. 120-121.
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12/09/2013
Primo Levi, À une heure incertaine
12 juillet 1980
Prends patience, ma femme, ma femme fatiguée,
Prends patience à l'égard des choses de ce monde,
Et de tes compagnons de route, dont je suis,
Dès lors qu'il t'est échu de m'avoir en partage.
Accepte, au bout de tant d'années, ces quelques vers grincheux,
Pour l'accomplissement de ton anniversaire.
Prends patience, ma femme impatiente,
Toi, broyée, macérée, écorchée,
Et qui t'écorches un peu toi-même chaque jour
Pour que la chair à vif te fasse un peu plus mal.
Il n'est plus temps de vivre seuls.
Accepte, s'il te plaît, là, ces quatorze vers,
C'est ma façon bourrue de te dire chérie,
Et que je ne saurais, sans toi, rester au monde.
Primo Levi, À une heure incertaine, traduction Louis Bonalumi, préface de Jorge Semprun, "Arcades", Gallimard, 1997, p. 60.
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26/05/2013
Paul Éluard, Cours naturel
Passionnément
I
J'ai vraiment voulu tout changer
Sur l'herbe du ciel dans la rue
Parmi les linges des maisons
Partout
Elle jouait comme on se noie
Puis elle restait immobile
Pour que je referme sur elle
Les lourdes portes de l'impossible.
II
Le rire après jouer ayant mis à la voile
La table fut un papillon qui s'échappa.
III
Elle déchira sa robe
Elle embrassa
Une toilette neuve et nue.
IV
Dans les caves de l'automne
Elle fut tour à tour
La fleur neigeuse de la foudre
Et le charbon.
V
Dans la ville la maison
Et dans la maison de terre
Et sur la terre une femme
Enfant miroir œil eau et feu.
VI
Sa jeunesse lui donnait
Le pouvoir de vivre seule
Je n'ai pas su limiter
Mon cœur à sa seule poitrine.
VII
Rien que ce doux petit visage
Rien que ce doux petit oiseau
Sur la jetée lointaine où les enfants faiblissent
À la sortie de l'hiver
Quand les nuages commencent à brûler
Comme toujours
Quand l'air frais se colore
Rien que cette jeunesse qui fuit devant la vie.
Paul Éluard, Cours naturel [1938], dans Œuvres complètes I, préface et chronologie de Lucien Scheler, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, 1968, p. 803-804.
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28/12/2012
Andreï Voznessenski, La poire triangulaire
Je m'exile en moi...
Je m'exile en moi
je suis mon faubourg
flambent mes sapins refermés
sur mon visage trouble comme un miroir
sombrent les élans et les pergolas
je suis le fleuve et je suis l'univers
qui passe encore au-delà de mon horizon
trois soleils rouges saignent parmi
trois bosquets tremblants comme des vitraux
trois femmes luisent en une seule
comme des cubes l'un dans l'autre
l'une m'aime et rit aux éclats
l'autre en elle bat des ailes
et la troisième dans un coin
hérissée comme un charbon ardent
ne me pardonne pas
et veut encore se venger
et son regard s'illumine comme une pièce
au fonds d'un puits.
Andreï Voznessenski, La poire triangulaire, poèmes traduits
du russe par Jean-Jacques Marie, Denoël/Les Lettres
Nouvelles, 1971, p. 49-50.
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