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04/08/2016

Laurine Rousselet, nuit témoin

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quelque chose ajoute à la piqûre

une densité

qui ressort de la douleur

le chemin dans le rêve

 

voiles

claquements

cruauté

la limite en suspens

la tête sur l’oreiller

 

écrire creuse

ce qui me reste de cœur

 

fuir avec eux

deux petits

 

           *

 

le temps sur le cœur ravale

la puissance cogne sur l’aspérité

la ventre a volonté d’ébranlement

derrière la tête rien n’est fixe

 

à loin il y a l’immédiat accolé

le trou

l’odeur dessine la rencontre

le regard de l’autre

le sexe brûlant joue courbure

une fracture où mourir s’effondre

 

Laurine Rousselet, nuit témoin,

Isabelle sauvage, 2016, p. 9-10.

03/08/2016

Rafael Alberti, Qui a dit que nous étions morts ?

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       Chanson du Parana (1953-1954)

 

1

 

Aujourd’hui les nuages m’ont apporté

en volant, la carte d’Espagne.

Si petite était sur le fleuve

et si grande était sur l’herbage

cette ombre qu’elle projetait !

 

Elle s’est emplie de chevaux,

cette ombre qu’elle projetait.

Moi, à cheval, parmi cette ombre

j’ai cherché village et maison.

 

Je suis entré dans le patio

qui avait été ombre et eau.

La fontaine n’y était plus,

et cependant elle y bruissait.

Et l’eau qui ne coulait plus est

revenue me donner de l’eau.

 

Rafael Alberti, Qui a dit que nous étions morts ?,

Traduction de l’espagnol Claude Couffon, Les

Éditeurs français réunis, 1964, p. 149.

02/08/2016

Christian Prigent au festival de Sète

                            Christian Prigent à Sète

Le festival de Sète, Voix vives, est terminé. À lire le projet (que l’on retrouvera intégralement sur la Toile), on est intéressé, même si une « approche plurielle » de la poésie, ce n’est pas très clair :

 

« Chaque année au mois de juillet, le Festival de poésie voix vives, de Méditerranée en Méditerranée accueille à Sète plus de cent poètes venus de toutes les Méditerranée. Ils sont entourés d’artistes, conteurs, musiciens, chanteurs, comédiens qui offrent avec eux une approche plurielle de la parole poétique. 

De nombreuses rencontres sont proposées chaque jour dans des lieux accessibles à tous : places, jardins publics et privés, rues, lieux du Patrimoine situés dans une partie historique de la ville retenue pour être Le Village du Festival. »

 

C’est la poésie à la portée de tous, on va de place en place pour écouter x et y. Pourtant, tous les « invités » ne partagent pas l’euphorie qui devrait être générale.

Ainsi Christian Prigent :

 

VENI, VIDI, FUGI
Arrivé le vendredi 22 à Sète pour participer au festival de poésie «Voix vives», j'en suis reparti une heure après. Le temps de constater la désinvolture de l'accueil et l'indignité de l'hébergement proposé. Le festival «Voix vives» n'est qu'une affiche. Cette affiche arbore un grand nombre d'invités et leur répartition «internationale», une  multiplication d'«événements» festifs et l'abondance du «public». C'est pour susciter l'écho médiatique et attirer l'argent (les subventions). Cet argent sert à salarier une administration, à publier un catalogue luxueux, à financer quelques spectacles de variété, à payer la publicité. Aux poètes invités : clopinettes. Et que la prime de plaisir narcissique d'être invités par ce festival «prestigieux» leur fasse avaler les couleuvres : logis en caserne, honoraires faméliques, prestations quotidiennes aux quatre coins des rues, panels hétéroclites — et, last but not least, l'absence radicale de souci artistique d'un festival qui, sur la poésie, ne sait rien faire d'autre qu'aligner les niaiseries «humanistes» qu'ose, en préface du catalogue, son Président d'honneur.

Christian Prigent
25 Juillet 2016



01/08/2016

Guillaume Apollinaire, La tzigane

 

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La tzigane

 

La tzigane savait d’avance

Nos deux vies barrées par les nuits

Nous lui dîmes adieu et puis

De ce puits sortit l’Espérance

 

L’amour lourd comme un ours privé

Danse debout quand nous voulûmes

Et l’oiseau bleu perdit ses plumes

Et les mendiants leurs Ave

 

On sait très bien que l’on se damne

Mais l’espoir d’aimer en chemin

Nous fait penser main dans la main

À ce qu’a prédit la tzigane

 

Guillaume Apollinaire, Alcools, dans

Œuvres poétiques, édition M. Adéma et

M. Décaudin, Pléiade / Gallimard,

1967, p. 99.

 

 

 

 

 

04/07/2016

André du Bouchet, Orion

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Orion aveugle à la recherche du soleil levant : la figure venue de droite, verte, qui fait silencieusement irruption dans le grand paysage du Metropolitan Museum demeure, sur l’instant, inapparente. On l’appréhende, car elle en occupe toute la hauteur, sans la discerner. Ce n’est qu’un arbre en marche parmi les arbres. Les dieux se retirent. D’autres puissances règnent, déjà frappées : la peinture de Poussin marque volontiers un tel moment. À l’échelle de la nature alors figurée, sans être retranchés du monde des piétons, tout concourt à leur évanouissement comme à leur résurgence. De vastes formes telluriques surplombent, dominent, traversent la terre — à la fois plus diffuses et moins vagues que les nuages, puisqu’elles précipitent en même temps l’acquis de l’histoire humaine — avant de se résoudre, loin des dieux évanouis, dans cette même terre qu’elles foulent. Leur immersion parachevée, les assises de ce théâtre de nues, de montagnes et de fleuves paresseux se dénouant, chez Poussin, dans un infini sans vapeurs, demeurent irréductibles.

 

André du Bouchet, Orion, Deyrolle, 1999, p. 11-12.

03/07/2016

Yves Bonnefoy, Ce qui fut sans lumière

                                        En hommage à Yves Bonnefoy, 1923-1er juillet 2016

     

 

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                L'agitation du rêve

 

                           I

 

Dans ce rêve le fleuve encore : c'est l'amont,

Une eau serrée, violente, où des troncs d'arbres

S'entrechoquent, dévient ; de toute part

Des rivages stériles m'environnent,

De grands oiseaux m'assaillent, avec un cri

De douleur et d'étonnement, — mais moi, j'avance

À la proue d'une barque, dans une aube.

J'y ai amoncelé des branches, me dit-on,

En tourbillons s'élève la fumée,

Puis le feu prend, d'un coup, deux colonnes torses,

Ont un porche de foudre. Je suis heureux

De ce ciel qui crépite, j'aime l'odeur

De la sève qui brûle dans la brume.

 

Et plus tard je remue des cendres, dans un âtre

De la maison où je viens chaque nuit,

Mais c'est déjà du blé, comme si l'âme

Des choses consumées, à leur dernier souffle,

Se détachait de l'épi de matière

Pour se faire le grain d'un nouvel espoir.

Je prends à pleines mains cette masse sombre

Mais ce sont des étoiles, je déplie

Les draps de ce silence, mais découvre

Très lointain, très proche la forme nue

De deux êtres qui dorment, dans la lumière

Compassionnée de l'aube, qui hésite

À effleurer du doigt leurs paupières closes

Et fait que ce grenier, cette charpente,

Cette odeur du blé d'autrefois, qui se dissipe

C'est encore leur lieu, et leur bonheur.

[...]

 

Yves Bonnefoy, Ce qui fut sans lumière, Poésie / Gallimard, 1995 (1987), p. 85-86.

 

 

 

02/07/2016

Jacques Baron, L'Allure poétique

 

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          Attendre

 

Un petit chemin de fer

Qui coule comme un tord-boyau

 

À la guerre comme à la guerre

 

L’extrême durée de l’espace

Depuis le temps des fafiots

 

O rouges coquelicots

Hirondelles en mal d’amour

Le mal d’armes et le pas rude

Mal de tête des plaines nues

 

Une ombre à peine portée

 

L’incertitude qui t’enlace

Repeint ton cœur au minium

 

Plaisir usé. Refaire le temps

Refaire une plainte éternelle

Le bien s’est à tire d’aile

échappé de ma maison

 

Jacques Baron, L’Allure poétique,

1924-1973, Gallimard, 1974, p. 85.

01/07/2016

Jacques Bens, Sonnets irrationnels

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                    Nostalgique

 

Je ne hanterai plus les graves officines

Où mes amis, tout doucement, prennent racines,

Racines que j’envie sous mes airs fanfarons,

 

Car, au-delà de tout, j’aime l’odeur des livres.

 

Si j’ai troqué la plume pour les mancherons

C’est façon de parler, poétique et vaccine),

Si j’ai, dis-je, choisi les champs et les fascines,

Je n’ai pas renié mon sang d’écriveron :

 

Toujours, par dessus tout, j’aime l’odeur des livres.

 

Ah, connaître à nouveau ce monde qui m’enivre !

Retrouver, chaque jour, mes cousins correcteurs !

Renifler le parfum froid des clichés de cuivre !

Revivre, enfin, la vie qui déjà m’a fait vivre,

Et, parbleu ! débarquer comme un triomphateur !

 

Jacques Bens, Sonnets irrationnels, Gallimard, 1965, p. 31.

30/06/2016

Christian Bachelin, Neige exterminatrice

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Grince une tôle un tuyau hurle

Immémorialement mystère et solitude

Sur les palissades stagne le sang étrange

Une ortie blanche obsède la pâleur du temps

 

Descente d’Eurydice au tombeau écarlate

En hiver sous la haute neige de misère

Dans le brouillard d’angoisse erre la mort tzigane

Chevelure dénouée au gouffre des mansardes

 

Seriez-vous morte ou prise d’un autre silence

Mémoire de l’enfance hibernante mémoire

Comme une ombre en allée de moi-même et menant

Son destin parallèle en des châteaux d’absence

 

Dans le pli des rideaux neige la solitude

Schizophrénie et brumes des contrées occultes

À contre jour vivant des présages du ciel

S’enchante la misère à la fenêtre abstraite

 

Christian Bachelin, Neige exterminatrice, Poésies 1967-2003,

Préface de Valérie Rouzeau, Le temps qu’il fait, 2004, p. 94.

 

29/06/2016

Li Yù (937-978), Les sens de l'Absent

Tracé sur un mouchoir comme sur une tablette funéraire

 

Pâle et frêle

Notre vie a flotté.

Mes années de vigueur

Ont perdu ta grâce et ta beauté.

 

[Le mouchoir] essuie la sueur

De ta main. Reste une tache

Qui embaume.

Il te touche le sourcil.

Demeure la ténèbre du fard.

 

Li Yù (937-978), Les sens de l’Absent, traduit

du chinois et présenté par Thierry Faut, dans

L’étrangère, n° 40-41, décembre 2015.

28/06/2016

John Ashbery, Fragment

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Le quartier restant est fermé en avril. Tu

Vois les intrusions assombrir son visage

Comme dans le souvenir qui t’est resté d’une

Tolérance antérieure qui s’épuise dans sa

Retombée à des fins hermétiques,

La compassion des fleurs jaunes.

Jamais notées dans les signes du jour oblong

Les flammes à dents de scie et le point d’un autre

Espace non donné, et encore que ne faisant défaut

Jamais encore imaginé : l’injonction d’un instant.

 

John Ashbery, Fragment, traduction Michel Couturier,

Seuil, 1975, p. 23.

27/06/2016

Jacques Audiberti, Poésies 1934-1948

 

                              jacques audiberti,poésies,raminagrobis,georges perros,vivre

                          Raminagrobis

 

Mangez, mes petits ! Mangez, mes petits ! Mangez !

Demain nous aurons nos sites changés.

Demain nous saurons, de la mort, la tendre,

la seule raison qui n’est que d’attendre.

 

Buvez, mes petits ! Buvez, mes petits ! Buvez !

Demain nous aurons nos pouces lavés.

Nous pourrons, demain, sous la pamplemousse,

graisser, des saisons, le dard, s’il s’émousse.

 

Aimez, mes petits ! Aimez, mes petits ! Aimons !

Nous sommes des feux vêtus de phlegmons.

Nous font, nous guettant, fléchir goutte à goutte

trop d’yeux sur ces murs et sur cette voûte.

 

Mourez, mes petits, mourez, mes petits, et tous !

Qu’il n’en reste un seul, eût-il nom Titous.

Il rebâtirait un temple quelconque.

 

La pierre des soirs tourne dans la conque.

 

Jacques Audiberti, Poésies 1934-1948, préface de

Georges Perros, Gallimard, 1976, p. 94.

 

 

25/06/2016

Pierre Pachet, Autobiographie de mon père

                 Pierre Pachet, autobiographie d mon père, enfance, ennui, vie intérieure

En hommage à Pierre Pachet, 1937-21 juin 2016

 

   Dans l’enfance, je m’ennuyais beaucoup. Je vois avant tout l’enfance livrée à de longs déserts d’ennui, impossibles à traverser, pendant lesquels le corps est torturé, livré au temps, à l’incompréhensible attente. Seule ma mère avait la sympathie et la finesse nécessaires pour me comprendre et m’aider : elle acceptait de bonne grâce de jouer avec moi à la bataille, aux dominos, à la belote à deux, lorsque je n’avais pas d’amis sous la main. Mon père, lui, n’émergeait de son travail que pour rechercher le repos, en « s’allongeant » ou en allant se promener. Mais l’ennui, chez moi, ne voulait pas des promenades.

   Pourtant une fois — une fois qui a dû se produire de nombreuses fois que ma mémoire condense parce que d’abord mon expérience l’a ressentie comme une seule fois, une fois venant après beaucoup d’autres mais enfin saisie comme telle — une fois, prenant en pitié mon corps et mon âme torturés, mon père me dit : «  Tu t’ennuies ? Tu n’as qu’à avoir une vie intérieure ! Alors tu ne t’ennuieras jamais. »

 

Pierre Pachet, Autobiographie de mon père, Belin, 1996, p. 5.

24/06/2016

Tristan Corbière, Les Amours jaunes

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   Soneto a Napoli

     All’sole, all’luna

     All’ sabato, all’canonico

          E tutti quanti

          Con pulcinella !

 

Il n’est pas de Samedi

Qui n’est soleil à midi ;

Femme ou fille soleillant

Qui n’ait midi sans amant !...

 

Lune, Bouc, Curé cafard

Qui n’ait tricorne cornard !

— Corne au front et corne au seuil

Préserve du mauvais œil.

 

L’ombilic du jour fuyant

Son macaroni brûlant,

Avec la tarentela ;

 

Lucia, Maz’Aniello,

Santa-Pia, Diavolo,

— Con pulcinella —

 

Tristan Corbière, Les Amours jaunes,

dans Charles Cros, T. C., Œuvres

Cpmplètes, Pléiade/Gallimard, 1970, 784.

23/06/2016

Jacques Réda, La course

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                         Gitans à Montreuil

 

Dans les vergers à l’abandon qui dominent Montreuil

   Les filles des Gitans fument près des roulottes

   Sous des cordes à linge où sèchent leurs culottes,

   Elles rôdent avec la grâce du chevreuil.

 

On n’ose jeter en passant qu’un rapide coup d’œil

   Des vieilles à l’affut suspendent leurs parlotes

   (Les hommes sont allés vendre des camelotes

   Dans le grand déballage, en bas). Pourquoi ce deuil

 

   Au fond de la lumière, alors qu’elle irradie,

   Et dans l’air vif ce goût fade de maladie ?

   Les filles des Gitans ont beau se déhancher,

 

   L’espace fourbu gît sous ses propres décombres :

   Cabanes à lapins, potagers à concombres

   Sous la fumée inerte et sans feu d’un pêcher

   Rose.

 

Jacques Réda, La Course, Gallimard, 1999, p. 46.