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03/01/2017

Images d'hiver (Périgord)

 

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02/01/2017

Leonor Fini, Rogomelec

 

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Je savais qu'il ne fallait pas se laisser tenter. Qu'il faudrait savoir rester chez soi, éviter les voyages dans cette époque barbare, les affreuses bousculades, l'humiliation de ce que l'on appelle les "villégiatures".

« Le vain travail de voir divers pays », Maurice Scève l'avait écrit ; je me le répétais.

   Mais on m'avait parlé de ce lieu solitaire, de ce climat assoupissant. Imaginant un bien-être particulier, je suis donc parti rejoindre le navire.

   C'était le Port Saïd.

   D'autres navires hurlaient déjà très fort. Pour le Port Saïd, il y avait encore du temps ; au moins une heure. Passaient des chariots avec des ballots d'odorantes épices — safran peut-être, cannelle — une bonne odeur et de la poussière jaune or tout autour. Cette poussière voilait parfois ces groupes d'humains vociférants, tous habillés de mêmes couleurs, me semblait-il.

   Il n'y avait qu'un homme différent et peu recommandable. Mais à l'observer plus attentivement, je lui trouvai davantage l'aspect d'un assassiné que celui d'un assassin. Il se frayait un chemin pour rejoindre une jeune femme blonde qui parut surprise en l'apercevant et certainement ne le connaissait pas. Lui se baissa un peu et murmura quelque chose à l'oreille de la femme qui, contre le soleil, apparaissait d'une transparence fragile. Puis elle baissa le regard vers cette main ouverte, tendue à la hauteur de sa taille ; elle poussa un petit cri, mais le passage d'un chariot chargé de ballots qui sentaient le safran et la cannelle la fit disparaître à mes yeux.

   Je ne la voyais plus.

   La foule s'épaississait.

   Je m'apercevais que je suivais cet homme.

 

Leonor Fini, Rogomelec, éditions Stock, 1979, p. 9-11.

 

01/01/2017

Jules Renard, Journal, 1887-1910

 

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1er janvier 1905

 

   Le poète Ponge va reprendre la plume : les nationalistes relèvent la tête !

   L’argent, il l’appelle « le numéraire ». (…)

   Je lui ai fait donner les palmes. Il dit aux gens de son village :

   — Mes amis, les palmes me font bien plaisir, mais ce n’est rien à côté de vos félicitations.

 

   L’esprit inquiet mais clairvoyant, c’est-à-dire actif et sain, de l’homme qui ne travaille pas.

(…)

 

— J’ai froid.

— C’est la saison qui veut ça, dit le riche.

 

   Hiver. Des vitres dessinées par Vallotton.

 

   Le vent lui-même a gelé.

 

La glace répandue sur le pré comme des glaces brisées.

 

Jules Renard, Journal 1887-1910, Gallimard/Pléiade,

1965, p. 945 et 946.

 

 

31/12/2016

Jean-Baptiste Chassignet, Le mespris de la vie et la consolation contre la mort

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                   XXXVI

 

Tu desires vieillir mais, au jour langoureux

Que tu auras attaint la vieillesse impotente,

Encore du futur la saison différente

De vivre plus long tems te rendra désireux.

 

Tu n’auras du passé qu’un regret douloureus,

De l’instable avenir qu’une ennuieuse attente

Et n’auras le présent chose qui te contente,

Autant viel et grison comme enfant mal heureus.

 

Tu fuis de mois en mois ton créancier à ferme

Et si tu ne seras prest non plus au dernier terme

De payer qu’au premier ains, comme au-paravant.

 

Tu requerras delay, mal-heureus. Hypocrite,

Quand il convient de payer il n’est que d’estre quitte,

Celuy ne meurt trop tost qui meurt en bien vivant.

 

Jean-Baptiste Chassignet, Le mespris de la vie et la consolation

contre la mort, Droz, 1967, p. 57-58.

30/12/2016

Jacques Lèbre, L'immensité du ciel

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                 Inquiétude

 

Serait-ce l’inquiétude de tout revivre ?

L’angoisse de sentir ou d’éprouver de nouveau

ce que déjà j’aurais pu sentir, éprouver ?

À moins que ce ne soit une sorte de rattrapage

pour revivre plus intensément

(et sans commettre les même erreurs)

ce que déjà j’aurais pu vivre ?

Cela, il me semble difficile d’y croire.

Comme si cette vie, celle-ci déjà vécue,

devait à jamais rester de l’ordre du rêve ?

 

Jacques Lèbre, L’immensité du ciel, La Nouvelle

Escampette, 2016, p. 11.

© Photo Carole Florentin

29/12/2016

Laurent Albarracin, Cela

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Ce sont des oiseaux qu’on ne voit pas mais dont le chant dans le ciel comme descendu d’un cran sur la terre fuse et indique très surement le cela. Chant plein de plumes colorées, de flèches ébouriffées, de traits fous qui dessinent une forêt seconde à même l’invisible.

 

Cela, la nuit, devient peu à peu la nuit. Les ombres gagnent. L’encre monte. Le silence comme du verre dans les eaux.

 

Laurent Albarracin, Cela, Rougerie, 2016, p. 45, 48.

28/12/2016

Eugène Guillevic, Accorder

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Le rire de la saison

 

Des sacrilèges

Il en faudra

En toute saison.

 

Implacable autant

Que le rire de la saison

Par les gamins.

 

Une épeire, un buisson,

De l’herbe, un peu de vent.

Un passant qui hésite

À les déranger.

 

Un bois

Près de la rivière :

Les menhirs avant le cromlech.

 

Un ruisseau :

Il se couvrait de vert

Et de friselis.

 

Loisir de penser

Que ce ruisseau

Vient d’un paradis

Saluer le vallon.

Qu’il y remontera

Tout seul.

 

Eugène Guillevic, Accorder,

Gallimard, 2013, p. 223-224.

27/12/2016

Eugène Savitzkaya, À la cyprine

                                      Eugène Savitzkaya, à la cyprine, nature, mort, vie, vide, néant

Crosse de la fougère née de la décomposition du monde, volubilis issu des boues, âpre arum urticant, ortie comme bouclier, boucle du liseron se propageant selon le métré précis qu’indique l’amas des racines, et coiffant les buissons de cassis, enroulement et déroulement, vie après mort, mort après vie, semant, perdant, poussant contre les murs du vide et du néant et rompant la pierre comme pain sec

 

Eugène Savitzkaya, À la cyprine, les éditions de Minuit, 2015, p. 60.

26/12/2016

Jean Giono, Le grand troupeau

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   Il se fit soudain dehors un grand silence, comme si on tombait dans l’épaisseur du ciel. Joseph s’en sentit le ventre tout vide. Le major leva en l’air son ciseau sanglant.

   — L’attaque, il dit. Puis : Fabre, va voir !

   Fabre sortit. C’était le petit jour : plus d’obus. On entendait clapoter le canal et, là-bas au fond, vers le liséré vert de l’aube, des cris d’hommes menus et pointus, comme d’une bataille de rats. Une mitrailleuse tapait lentement. Une grappe de grenades éclatait du côté du moulin.

   — Oui, dit Fabre en rentrant, c’est ça, ils sont partis…

   — Alors maintenant, dit le major…

   Il regarda autour de lui ce sang déjà et cette boucherie d’hommes.

   Maintenant, dans cette petite caverne de la terre, contre le talus du canal, on venait décharger de la viande à pleins brancards. Un barrage enragé écrasait les réserves de l’autre côté du canal. Ce feu de fer et cette fumée dansaient sur les hommes à grands coups. Dans le canal l’eau frémissait comme une peau de cheval. La flamme de la lampe de carbure se couchait, puis s’élançait vers le plafond. Toute la caverne tremblait comme un ventre de bateau.

 

Jean Giono, Le grand troupeau, Folio/Gallimard, 1986 [Gallimard, 1931], p. 132.

25/12/2016

Jacques Prévert, Histoires

 

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Le bonheur des uns

 

Poissons amis aimés

Amants de ceux qui furent pêchés

En si grande quantité

Vous avez assisté

À cette calamité

À cette chose horrible

À cette chose affreuse

À ce tremblement de terre

La pêche miraculeuse

Poissons amis aimés

Amants de ceux qui furent pêchés

En si grande quantité

De ceux qui furent pêchés

Ébouillantés mangés

Poissons ! poissons ! poissons !

Comme vous avez dû rire

Le jour de la crucifixion.

 

Jacques Prévert et André Verdet, Histoires,

Le pré aux clercs, 1948, p. 76.

24/12/2016

André du Bouchet, Matière de l'interlocuteur

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                       Ordinaire

 

par un mot qui se détache, je suis entré dans la langue.

 

                                   comme sur son déplacement pèse

le fragment de parole ayant, il se peut, no de poème, le défaut

chaque fois accueille

 

                                                                                   en place

comme épars sur déplacement du monde.

 

                                                  le mot, une marge ­ le mot, sur

                                                                cette vague du monde

qui reflue, comme en arrière de nouveau, en avant, inlassable-

ment le sens est débordé.

 

                                                                                          marge

de la marge — configuration du poème dont une figure a          

                                                           cessé d’avoir cours,

                                         coupe par le centre.

 

André du Bouchet, Matière de l’interlocuteur, Fata Morgana, 1992, p. 53-54.

23/12/2016

Jules Supervielle, Oublieuse mémoire

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             Oublieuse mémoire

 

Pâle soleil d’oubli, lune de la mémoire,

Que draines-tu au fond de tes sourdes contrées ?

Est-ce donc là ce peu que tu donnes à boire

Ces gouttes d’eau, le vin que je te confiai ?

 

Que vas-tu faire encor de ce beau jour d’été

Toi qui me changes tout quand tu ne l’as pas gâté ?

Soit, ne me les rends tels que je te les donne

Cet air si précieux, ni ces chères personnes.

 

Que modèlent mes jours ta lumière et tes mains,

Refais par-dessus moi les voies du lendemain,

Et mène-moi le cœur dans les champs de vertige

Où l’herbe n’est plus l’herbe et doute sur sa tige.

 

Mais de quoi me plaignais-je, ô légère mémoire,

Qui avait soif, Quelqu’un ne voulait-il pas boire ?

 

Jules Supervielle, Oublieuse mémoire, dans Œuvres poétiques

complètes, édition Michel Collot, Pléiade/Gallimard,

1996, p. 485.

22/12/2016

Jean Ristat, Le théâtre du ciel, Une lecture de Rimbaud

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                     E blanc

 

                     Scène I

 

La mort couche dans mon lit elle a les dents blanches

Patauger dans la nuit appelle-t-on cela

Vivre O dans ma bouche l’ancolie amère

Des jours anciens mon vieux verlaine rien ne sert

De pleurer au temps des souvenirs la partie

Est déjà perdue tu n’avais pas su le

Revenir il courait plus vite que le vent

Amants de la mort qu’attendiez-vous de la vie

Il n’aurait fallu qu’un mot peut-être à ta lèvre

Dehors et non le chapelet à l’angélus

 

Ah l’ordre comme un petit serpent fourbe arrive

Toujours quand le clocher sonne douze au clair de

Lune le christ O vieille démangeaison

Pauvre lélian habité par un fantôme à

 

La jambe de bois l’autre en toi O moulin à

Prières

 

Jean Ristat, Le théâtre du ciel, Une lecture de Rimbaud,

Gallimard, 2009, p. 39-40.

21/12/2016

Yves Bonnefoy, Du mouvement et de l'immobilité de Douve

                     Yves Bonnefoy, du mouvement et de l'immobilité de Douve, désir, visage, voix, mémoire

                       Vrai nom

 

Je nommerai désert ce château que tu fus,

Nuit cette voix, absence ton visage,

Et quand tu tomberas dans la terre stérile

Je nommerai néant l’éclat qui t’a porté.

 

Mourir est un pays que tu aimais. Je viens

Mais éternellement par tes sombres chemins.

Je détruis ton désir, ta forme, ta mémoire,

Je suis ton ennemi qui n’aura de pitié.

 

Je te nommerai guerre et je prendrai

Sur toi les libertés de la guerre et j’aurai

Dans mes mains ton visage obscur et traversé,

Dans mon cœur ce pays qu’illumine l’orage.

 

Yves Bonnefoy, Du mouvement et de l’immobilité de Douve,

Mercure de France, 1954, p. 41.

20/12/2016

Jean-Pierre Verheggen, Pubère, Putains - Porches - Porchers - Stabat Mater

 

                                     jean-pierre verheggen,pubères,putains -   porches - porchers - stabat mater

Porches, Porchers

 

I.

Nous détestions les fermes.

Les fermiers.

Replets.

Satisfaits.

Les métayers et leurs ouvriers.

Saisonniers.

Dupés.

Exploités.

Leurs aoûterons.

Leurs tâcherons.

Leurs souillons.

Leur promiscuité.

Acceptée.

Entérinée.

Avalisée.

 

II.

Nous détestions leurs messiers.

Leurs palefreniers ou valets.

Laquais.

Laids.

Envoyés valdinguer.

Étriller ou faucher.

Aider les faucheurs armés.

Arnachés ou épongés.

Irrelevés.

 

III.

Nous détestions les travailleurs des champs tout entiers.

Puants.

Infamants.

Paysans.

Les peaussiers.

Plaigneurs.

Quémandeurs.

Les taupiers.

Les faneurs.

Suants. Gagneurs.

Les échardonneurs.

Les échenilleurs.

Les soigneurs attitrés.

Bousés. Bouseux.

Beaucoup trop courageux.

 

[...]

 

Jean-Pierre Verheggen, Pubères, Putains - 

Porches - Porchers - Stabat mater, Labor, 1991, p. 13 à 15.