21/05/2022
Michel Leiris, À cor et à cri
Que le discours même le plus sensé soit incapable d’imposer silence aux méchants dont les agissements ensanglantent notre planète et, même à froid, vont à l’encontre de la justice la plus élémentaire, cela ne dévalorise-t-il pas toute forme de parole et n’incite-t-il pas à tout simplement se taire, sans que — ressort autre que l’idée trop utopique de moraliser, prêcher ou chapitrer — la réflexion sur ce qu’on peut attendre encore de la parole devienne prétexte à un autre discours. Me borner, donc, aux demandes et réponses qu’exige la vie telle qu’elle est et me garder d’ajouter à ce strict nécessaire sans relief ni visage d’élégants exercices de funambule. Mais dans quel vide intolérable m’abîmerai-je, antennes coupées, si je tenais ma langue à ce point ! Littérairement me taire : je pourrai dire aussi bien me « terrer » voire « m’enterrer ».
Michel Leiris, À cor et à cri, Gallimard, 1988, p. 95.
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18/06/2018
Norge, Le stupéfait
Tout tout
Je voulais tout et quand j’eus tout,
– Mais savez-vous planter des choux ?
J’eus tout et je ne sus qu’en faire
– À la mode de chez nous
Ce tout-là, ce n’était qu’enfer.
T’en as déjà trop dit, Prosper,
Tu ferais mieux de nous servir
Quelque chose qui désaltère
Au lieu de pousser des soupirs.
… Mais savez-vous planter des choux ?
T’en as déjà trop dit, Prosper,
Et t’aurais mieux fait de te taire
Et de boire encore un bon coup
Au lieu de pousser des glouglous
À la mode de chez nous !
Norge, Le stupéfait, Gallimard, 1988, p. 49.
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19/01/2017
Anne Calas, Honneur aux serrures
Je me tais
devant les platanes nus
et le ciel presque [je me tais]
nuages brossés d’acier
totalement tendrement tragiquement aimés
bras levés, haut levés, dressés par dizaines érigés
invoquant, suppliant
intimant l’ordre intimidant
de t’aimer
Pourquoi prends-tu cet air pensif ?
parce que je pense à quelque chose
une chair neigeuse une lumière poudrée
une inadvertance rapide un
nuage d’inconscience
[je me tais parce que je n’ai plus rien à dire
Anne Calas, Honneur aux serrures, isabelle sauvage,
2016, p. 76-77.
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