22/03/2019
Sergueï Essenine, Journal d'un poète
Heureux qui par un frais automne
largue son âme comme pomme au vent
et contemple le soc du soleil
fendre l’eau bleue de la rivière.
Heureux qui extrait de sa chair
l’incandescent clou des poèmes,
et revêt le blanc vêtement de fête
en attendant que l’hôte frappe.
Apprends, mon âme, apprends à garder
au fond des yeux la fleur de merisier ;
Avares sont les sens à s’échauffer
quand du flanc coule un filet d’eau.
Les étoiles carillonnent en silence
telle la bougie à l’aube, telle la feuille blanche.
Nul n’entrera dans la chambre haute,
je n’ouvrirai la porte à personne.
Sergueï Essenine, Journal d’un poète, traduction
Christiane Pighetti, La Différence, 2014, p. 77.
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21/03/2019
Joseph Joubert, Carnets, I
C’est le genre humain en corps qui invente les arts. Tous sont fils des expériences que les sociétés se sont transmises et des besoins communs à tous.
Les célèbres, les illustres parmi nous sont ceux qui excellent, non pas dans quelque science, mais dans quelque science à la mode.
Ils aiment mieux qu’on le leur donne à croire qu’à comprendre.
Enfants. Ont plus besoin de modèles que de critiques.
Joseph Joubert, Carnets, I, Gallimard, 1994, p. 258, 270, 325, 332.
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20/03/2019
Georges Perec, W ou le souvenir d’enfance
L’école
J’ai trois souvenirs d’école :
(…) Le troisième est, apparemment le plus organisé. À l’école on nous donnait des bons points. C’étaient des petits carrés de carton jaunes ou rouges sur lesquels il y avait écrit : 1 point, encadré d’une guirlande. Quand on avait eu un certain nombre de bons points dans la semaine, on avait droit à une médaille. J’avais envie d’avoir une médaille et un jour je l’obtins. La maîtresse l’agrafa sur mon tablier. À la sortie dans l’escalier, il y eut une bousculade qui se répercuta de marche en marche et d’enfant en enfant. J’étais au milieu de l’escalier et je fis tombe rune petite fille. La maîtresse crut que je l’avais fait exprès, elle se précipita sur moi et, sans écouter mes protestations, m’arracha ma médaille.
Je me vois dévalant la rue des Couronnes en courant de cette façon particulière qu’ont les enfants de courir, mais je sens encore physiquement cette poussée dans le dos, cette preuve flagrante de l’injustice, et la sensation cénesthésique de ce déséquilibre imposé par les autres, venu d’au-dessus de moi et retombant sur moi, reste si fortement inscrite dans mon corps que je me demande si ce souvenir ne masque pas en fait son exact contraire : non pas le souvenir d’une médaille arrachée, mais celui d’une étoile épinglée.
Georges Perec, W ou le souvenir d’enfance, L’imaginaire / Gallimard, 1994 (Denoël ; 1975), p. 75-76.
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19/03/2019
Eugène Savitzkaya, À la cyprine
Dans mon corps tout chaud le cœur tremble.
Le corps de la crevette dans le corps du poisson
qui broute et qui broute, sa vessie est sa lumière
Le corps du poisson dans le corps du héron
gelé sur un pied, son bec est sa pince à sucre
Le corps du héron dans le corps de l’air
ce grand fluide
Le corps de l’air dans le corps du vaisseau
en mouvement
Eugène Savitzkaya, À la cyprine, éditions de Minuit, 2015, p. 44.
Jean-Pierre Richard (1922-2019)
J’ai connu la poésie de Jacques Dupin grâce à la lecture de ses Onze études sur la poésie moderne, en 1964. La longue vie de Jean-Pierre Richard a été celle d’un homme d’une immense curiosité, soucieux de transmettre ; ses études sur Flaubert et Stendhal (1954), Mallarmé et Proust ont nourri des générations de lecteurs. Infatigable, il a écrit aussi au fil des années à propos de ses contemporains— parmi d’autres, Pierre Michon, Pierre Bergounioux, Eugène Savitzkaya, Christophe Pradeau, Michel Jullien...
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18/03/2019
Philippe Jaccottet, Tout n'est pas dit
Tout n’est pas dit
Croire que « tout a été dit » et que « l’on vient trop tard » est le fait d’un esprit sans force ou que le monde ne surprend plus assez. Peu de choses, au contraire, ont été dites comme il le fallait, car la secrète vérité du monde est fuyante et l’on peut ne jamais cesser de la poursuivre, l’approcher quelquefois, souvent de nouveau s’en éloigner. C’est pourquoi il ne peut y avoir de répit à nos questions, d’arrêt dans nos recherches, c’est pourquoi nous ne devrions jamais connaître la mort intérieure, celle qui survient quand nous croyons, à tort, avoir épuisé toute possibilité de surprise. Si nous cédons à ce désabusement, bien proche du désespoir, c’est que nous ne savons plus voir ni le monde en dehors de nous, ni celui que nous contenons, c’est que nous sommes inférieurs à notre tâche, et nous n’avons pas le droit d’en faire le reproche à la « Vie », au « Destin » ou à rien, qu’à nous seuls.
Philippe Jaccottet, Tout n’est pas dit, Le temps qu’il fait, 1994, p. 128.
Une publication en mars
LES CARNETS
D’EUCHARIS
[Édition 2019]
CLAUDE DOURGUIN
Tristan Hordé
Myrto Gondicas
Pierre Chappuis
Bernhild Boie
Jean-Baptiste Para
Claude Chambard
Éryck de Rubercy
Marco Martella
Didier Pinaud
Richard Blin
Michaël Bishop
Nathalie Riera
CLARICE LISPECTOR – OLIVIER ROLIN – EDUARDO ARROYO
[Sur les routes du monde – Vol. II]
Nicolas Boldych Michel Gerbal Catherine Zittoun André Ughetto Rita R. Florit Christophe Lamiot Enos Jean-Paul Bota Gilles Debarle Thierry Dubois Laurent Enet Benoît Sudreau Victoria Gerontasiou Yin Ling Gianni D’Elia Sarah Kirsch…
Format : 16 cm x 24 cm | 216 pages (dont un Cahier visuel de 8 pages)
| France : 26 € (frais de port compris)
LIRE LES 10 PREMIERES PAGES :
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17/03/2019
Marie-Claire Bancquart, Terre énergumène : recension
« J’habite le visible »
Le livre rassemble trois recueils publiés en 1994 (Feuilletage de la terre), 2007 (Verticale du secret) et 2009 pour celui qui donne son titre au volume. La préface les présente et parcourt l’ensemble de l’œuvre ; Aude Préta-de Beaufort montre l’unité d’une poésie où « le quotidien, ce qui existe au plus près de soi, les vagabondages de la pensée, de la mémoire, de la rêverie », la présence de l’être aimé mais aussi le doute, la mort dans un monde sans dieu constituent la matière.
Les choses proches, tous ces riens dont la vie de chacun est faite, ce sont un des motifs récurrents de l’écriture. Ce que l’on rencontre dans la ville comme ce que l’on regarde dans la marche sont sujets à s’étonner, on multiplierait sans peine les exemples : ici, « c’est une jacinthe (…) que nous recevons en plein dans les yeux // ou la trace brillante d’un escargot sur une feuille », et là, « des orbes / une tête de lion, une cannelure ». Ce qui retient n’est pas seulement le caractère de ce qui est vu, c’est aussi que chaque chose rappelle que nous-mêmes faisons partie d’un ensemble ; des moments de bonheur y sont liés et l’on rêve même parfois, dans la nature, de devenir animal, le corps alors plus libre « aime de toute sa peau / [et] voit l’exhalaison des sèves ». Mais un insecte sur une pierre, mais un regard bienveillant dans un bus, tous ces « Minimes dons / qui saturent la vie » rappellent également qu’ils sont, comme nous, éphémères.
Ce qui est vécu ne dure pas, qu’il s’agisse des paysages entrevus dans le train par la fenêtre, des reflets du corps dans les vitrines, des mots écrits sur les sarcophages, « tout s’efface / le monde / l’instant / le vide même ». De là, dans la poésie de Marie-Claire Bancquart, le rôle essentiel de la mémoire pour que ce qui a été ne disparaisse pas à jamais. Se souvenir « des jus de notre enfance » aide à vivre la dispersion qu’est la vie de l’adulte, retrouver les odeurs et les bruits des jours anciens, même dans les rêves, fait oublier un moment « la peur d’exister », et les mots sont le moyen de s’interroger sur l’énigme du temps qui a passé. Ce qui demeure plus longtemps, ce sont les œuvres humaines, le taureau de Lascaux qui « s’élance (…) depuis des millénaires », ou les figures mythologiques et littéraires, bribes infimes du passé tout comme les ruines, muséifiées, qui renvoient à l’existence d’une civilisation — et à sa mort. Ce qui peut susciter l’angoisse est cette accumulation de traces muettes, auxquelles on a imaginé brièvement pouvoir redonner vie. Il est possible de se souvenir qu’avant les immeubles, ici — à Paris, mais aussi à Bordeaux ou à Francfort — il y eut des usines, auparavant des potagers, plus en arrière dans le temps des forêts, des friches… Mais si rien du passé ne revit, on peut cependant voir que les ruines sont « bourdonnantes d’abeilles ». C’est souvent le sentiment de ne pouvoir aller au-delà de l’ « entrouvrure des choses », qui s’impose, pourtant ce qu’est l’obscur du monde n’empêche pas du tout de vivre fortement le présent.
Se souvenir du « jeu de l’enfant lointain » ou de l’enfance pendant la Seconde Guerre mondiale n’empêche pas Marie-Claire Bancquart de se préoccuper des conflits du présent, des « barbelés sur la terre entière, aujourd’hui », d’évoquer aussi le parcours tragique de Primo Levi et sa transmission d’une « expérience illisible ». Dans le présent encore, les guerres n’excluent pas que l’on rêve, lise — et aime. Dans les trois recueils réunis, mais tout autant dans les livres précédents, ce n’est pas la souffrance d’être devant l’énigme de la vie, la peur d’exister qui s’imposent, c’est de vivre les jours comme « une traversée de tendresse / près d’un autre corps ». Dans un long poème, "Àtoi, de toi, pour toi", s’exprime sans détour la plénitude de la relation amoureuse : « Est-ce ce que je pense à l’éternel / quand nous nous serrons nue à nu ? // Non, j’évoque l’herbe ou le bonheur d’une bête de grande taille. » On lira souvent dans les poèmes l’éloge du corps amoureux, du désir, de l’étreinte :
Caresse
genou, sexe et tendre cou à son attache
c’est la chair découverte
loin des phrases.
L’éloge n’est pas naïf, Marie-Claire Bancquart n’ignore jamais que le temps qui défait toutes choses atteint aussi le corps amoureux, que l’on « divorc[e] d’avec notre visage de la veille ». Continuer cependant à être là, sur la « terre énergumène », même quand on est devenu un « vieil animal qui flaire l’ horizon »
Il était indispensable de donner à lire largement dans un format accessible une œuvre importante, commencée depuis le début des années 1970. Une œuvre dans laquelle les « choses de rien » (pour reprendre une formulation de Marie-Claire Bancquart), les paysages (la ville, les ruines antiques), l’amour, et tout ce qui dérange (la mort, l’angoisse) ont toute leur place. Comment être plus près du lecteur quand on écrit : « la poésie me semble représenter un besoin vital, une énergie, un moyen d’être « un peu là » en approchant le monde » ?
Marie-Claire Bancquart, Terre énergumène, présentation Aude Préta-de Beaufort, Poésie/Gallimard, 2019, 400 p., 9, 30 €. Cette note de lecture a été publiée sur Sitaudis le 17 mars 2019.
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16/03/2019
James Joyce, Brouillons d'un baiser
Mamalujo
Et ils étaient là eux aussi à écouter de toutes leurs forces les solans & les sycomores et les grives et tous les oiseaux tous les quatre à écouter ils étaient les grands quatre les quatre maîtres vagues d’Erin tous à écouter quatre il y avait le vieux Matt Gregory et à côté du vieux Matt il y avait le vieux Marcus Lyons les quatre vagues et souventes fois ils avaient coutume de dire les grâces ensemble ici-même maintenant nous voilà les quatre le vieux Matt Gregory et le vieux Marcus Lyons et le vieux Luke Tarpey nous quatre et pour sûr Dieu merci il n’y a plus que nous et pour sûr maintenant tu ne t’en iras plus vieux Johnny MacDougall nous tous les quatre il n’y a plus que nous et maintenant fais passer le poisson pour l’amour du Christ amen la façon dont ils disaient les grâces avant le poisson pour auld lang syne(1)
1.Le bon vieux temps en écossais. C’est le titre d’un poème de Robert Burns et d’une chanson qu’on entonne traditionnellement à l’occasion d’un adieu.
James Joyce, Brouillons d’un baiser, Premiers pas vers Finnegans Wake, traduction Marie Darrieusecq, Gallimard, 2014, p. 103.
15/03/2019
Raymond Queneau, Courir les rues
Mon beau Paris
Maisons lépreuses
maisons cholériques
maisons empestées
bâtisses fienteuses
immeubles atteints de rougeole
de scarlatine
de vérole
pavillons chlorotiques
pavillons scrofuleux
pavillons rachitiques
hôtels particuliers
constipés
baraques
taudis
Raymond Queneau, Courir les rues, dans
Œuvres complètes, I, Pléiade/Gallimard,
1989, p. 412.
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14/03/2019
Jules Supervielle, Le Corps magique
Qui parle ?
L’univers fait un faible bruit
Est-ce bien lui à mon oreille ?
Pourquoi si faible si c’est lui
Alors qu’il n’a pas son pareil
Pour être lui, même la nuit.
Que deviendra ce faible bruit
A ses seules forces réduit
Sans une oreille qui le pense,
Sans une main qui le conduise,
Où le bruit est encore le bruit.
Où le silence à son silence
Très secrètement se fiance.
Jules Supervielle, Le Corps magique, dans
Œuvres poétiques complètes, éditions
Michel Collot, Pléiade/Gallimard, 1996, p. 601.
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13/03/2019
Jean-Paul Michel, "Défends-toi, Beauté violente"
« Ordonne ce frais désordre de choses données »
Ordonne ce frais désordre de choses données
Prends
Toute beauté donnée, toutes choses à l’excès données
Prends.
Qu’on sente dans ton pas gémir la terre tendre
Marche. Cadence. Rythme. Chasse.
Tout le parfait réel. Tout le Mal. Prends.
Plonge en lui, Nageur ô crache
Avec le sel l’exultante
Joie.
Jean-Paul Michel, « Défends-toi, Beauté violente ! »,
Poésie/Gallimard, 2919, p. 247.
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12/03/2019
Jean-Louis Giovannoni, L'air cicatrise vite
On se tient dans le visage de l’autre. En dehors, c’est le vide.
Ces visages qui affleurent à la surface et qui ne vivent qu’un instant.
Effacer est une nécessité.
Accélère, ne reste pas sur place — la meute n’est pas loin !
Toutes ces formes qui glissent en nous pour avoir un visage.
Jean-Louis Giovannoni, L’air cicatrise vite, éditions Unes, 2019, p. 11, 15, 16, 21, 26.
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11/03/2019
Henri Heine, 40 poèmes
La Lorelei
Je ne sais ce que veut dire
La tristesse que je ressens,
Une légende des anciens temps
De mon esprit ne peut sortir.
L’air est frais, l’ombre grandit
Le Rhin coule doucement,
Le sommet des monts resplendir
Au soleil couchant.
La vierge la plus belle
Là-haut s’est posée,
Sa parure d’or étincelle
Elle peigne ses cheveux dorés.
Un peigne d’or lui sert
Et pendant ce temps elle chante ;
Ô merveille de cet air,
Ô mélodie puissante !
Le batelier dans son esquif
Est ému jusqu’à la douleur,
Il ne voit plus le récif,
Il regarde vers les hauteurs.
Enfin les flots ont englouti
Le batelier et son bateau,
Et cela, par son chant si beau
C’est la Lorelei qui le fit.
Henri Heine, 40 poèmes, traduction Diane de Vogüe,
Debresse, 1956, p. 55 et 57.
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Henri Heine, 40 poèmes
La Lorelei
Je ne sais ce que veut dire
La tristesse que je ressens,
Une légende des anciens temps
De mon esprit ne peut sortir.
L’air est frais, l’ombre grandit
Le Rhin coule doucement,
Le sommet des monts resplendir
Au soleil couchant.
La vierge la plus belle
Là-haut s’est posée,
Sa parure d’or étincelle
Elle peigne ses cheveux dorés.
Un peigne d’or lui sert
Et pendant ce temps elle chante ;
Ô merveille de cet air,
Ô mélodie puissante !
Le batelier dans son esquif
Est ému jusqu’à la douleur,
Il ne voit plus le récif,
Il regarde vers les hauteurs.
Enfin les flots ont englouti
Le batelier et son bateau,
Et cela, par son chant si beau
C’est la Lorelei qui le fit.
Henri Heine, 40 poèmes, traduction Diane de Vogüe,
Debresse, 1956, p. 55 et 57.
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10/03/2019
Antoine Emaz, Cuisine
La « poésie » va prendre en charge ce que le récit classique ne peut porter, peut-être parce qu'il ne s'agit pas de fiction. Quelques chose l, comme si travailler dans le vrai interdisait le récit, parce qu'un poète n'est pas un autobiographe narcissique ou exhibitionniste et qu'il sait que la poésie est et n'est pas un confessionnal. Donc on va avec le récit, on le détourne, on le déboîte, le défait, on le déstructure, le pousse aux limites... plus rien n'est reconnaissable mais tout est dit. Ce cœur noir moteur, c'est lui qui pulse. En poésie, quand on sait lire, l'urgence est palpable, la nécessité de dire évidente. Cela peut être plus ou moins masqué par le dispositif d'écriture qui est à la fois un mode d'exposition et un mode de défense, mais c'est bien un cœur ouvert, au bout. L'enfant qui pleurede Reverdy.
En poésie, ce qui est dit est l'affleurement lisible de ce qui est tu : la vague / les profondeurs de la mer.
Dans tout ce que je note au jour le jour, cette piétaille de lignes, je ne vois pas bien en quoi je suis poète. Je note seulement ce que d'ordinaire on ne retient pas, espérant que tel ou tel détail sera révélateur, qu'il portera un peu plus que seulement lui-même.
Antoine Emaz, Cuisine, publie.net, p. 31, 35, 50.
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09/03/2019
Antoine Emaz, Sauf
L'élan, l'impact
Au commencement, une poignée de terre ou une tête, serrée, trop.
Fuir haut.
Gong bleu. N'importe où l'impact. Un long frémissement à peine, immense, léger.
Une tête contre le ciel s'étoile. Miettes.
Pluie de sable sec.
Fin, en bas. De force rassemblée, une tête à nouveau serrée, un peu.
***
Dans la peur coincé, puis comme un souffle au point où on avait peur sans mots.
Brusquement, tout le corps emporté par le souffle monte, libre, vite, heurte le ciel, trop près.
La force brise net contre : un bruit d'os. Ciel à peine étoilé.
Longtemps la poussière retombe.
En bas, on est au bout, à la fin, avec quelques mots et la peur qui revient.
***
La peur trop : l'élan vers l'air, plus haut.
Bleu massif et sans bords.
Tant que l'élan nous plaque au ciel, on tient contre, sans appui.
Au bout de la force, une retombée lente, vidé.
Les mots, la tête à la fin, une poignée de sable sec.
***
être à l'étroit
trop brusque
l'appel
gong bleu choc
la tête en miettes
en bas
on refait figure
compact
à nouveau
on se tient comme on peut
Antoine Emaz, L'élan, l'impact, dans Sauf,
Tarabuste, 2011, p. 53-54.
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