08/06/2019
Bernard Noël, La Chute des temps
Sur un pli du temps
toujours le plus
aura manqué
la langue a touché
trop d’ombre
trop compté les lettres du nom
une fois
cent fois
mille fois
les mains
ont rebâti
la statue
des larmes
mot
tombé
d’un mot
l’être
a roussi
dans le souffle
quelle fin
la bouche
troue
un visage
l’ombre
gouverne
sous les yeux
une pierre
pousse
entre nous
(…)
Bernard Noël, dans
La Chute des temps,
Poésie/Gallimard,
1993, p. 225-226.
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07/06/2019
Paul Claudel, Dodoitzu
Ma figure dans le puits
Ma figure dans le puits
Pas moyen que je me l’ôte
Ma figure dans le puits
Pas moyen que je me l’ôte
Et que j’en mette une autre
Et si l’on me trouve jolie
Tant pis ! C’est pas ma faute !
Her face in the well
My face in the well
I cannot take it out
My face in the well
I cannot take it off
And if you think I’m pretty
It’s really not ma fault !
Le crapaud
Quand j’entends dans l’eau
Chanter le crapaud
Des choses passées
J’ai le cœur mouillé !
Nightingale and toad
When I hear in the cool
Gold of the moonlight pool
The nightingale singing,
It is my heart ringing.
Paul Claudel, Dodoitzu, peintures de Rihakou Harada, Gallimard, 1945, non paginé.
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06/06/2019
Ghérasim Luca, La paupière philosophale
L’émeraude
Elle est comme la mère d’une robe
Elle a l’air de rogner ses coudes amers
comme une rondelle
mais elle n’aime pas son rôle de laine
Elle est roche des odes
et rotules des ondes
Émergée de la mer de tulle
d’un thème rose
elle rode dans le lemme d’air
d’un ver
comme l’arôme ronde de l’aronde
qui ronge une rondelle d’hirondelles
à l’aube sur la roche de l’arroche
Lorsque d’un gant extrêmement arrogant
la rose arrose l’arobe des robes
de l’autre côté du tréma de son unité
elle gêne tout autrement
la gerbe à traîne ardente
de ses trente dents à la ronde
Ghérasim Luca, La paupière philosophale, Corti,
2016, p. 71-74.
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05/06/2019
Jorge Luis Borges, Éloge de l'ombre
Labyrinthe
De porte, nulle part, jamais. Tu es dedans
Et l'alcazar embrasse l'univers
Et il n'a point d'avers ni de revers.
Point de mur extérieur ni de centre secret.
N'espère pas que la rigueur de ton chemin
Qui obstinément bifurque sur un autre
Qui obstinément bifurque sur un autre
Puisse jamais finir. De fer est ton destin
Comme ton juge. N'attends point la charge
De cet homme taureau dont l'étrange
forme plurielle épouvante ces rêts
Tissés d'interminable pierre.
Il n'existe pas. N'attends rien. Pas même
Au cœur du crépuscule noir, la bête.
Jorge Luis Borges, Éloge de l'ombre, dans Œuvres complètes II,
traduction Jean Pierre Bernès et Nestor Ibarra,
Pléiade, Gallimard, 1999, p. 161.
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04/06/2019
John Clare, Poèmes et proses de la folie
Je suis
Je suis ce que je suis pourtant personne ne le sait ni n’en a cure
Mes amis m’ont abandonné comme on perd un souvenir
Je vais me repaissant moi-même de mes peines —
Elles surgissent pour s’évanouir —armée en marche vers l’oubli
Ombres parmi les convulsives les muettes transes d’amour —
Et pourtant je suis et je vis — ainsi que vapeurs ballotées
Dans le néant du mépris et du bruit
Dans la vivante mer des rêves éveillés
Où nul sentiment de la vie ne subsiste ni du bonheur
Rien qu’un grand naufrage en ma vie de tout ce qui me tient à cœur
Oui même mes plus chers soucis — les mieux aimés
Sont étrangers — plus étrangers que tout le reste
Je languis après un séjour que nul homme n’a foulé
Un endroit où jamais encore femme n’a souri ni pleuré —
Pour demeurer avec mon Dieu mon Créateur
Et dormir de ce doux sommeil dont j’ai dormi dans mon enfance
Sans troubler — moi-même introublé où je repose
L’herbe sous moi — couvert par la voûte du ciel
John Clare, Poèmes et proses de la folie, traduction Pierre Leyris, 1969, p. 77 et 79.
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03/06/2019
Georges Braque, Le jour et la nuit
C’est une erreur que d’enfermer l’inconscient dans un contour et de le situer aux confins de la raison.
La charrue au repos se rouille et perd son sens usuel.
Je n’ai jamais pu discerner d’un commencement d’une fin.
Il faut toujours avoir deux idées, l’une pour détruire l’autre.
Ceux qui s’appuient sur le passé pour prophétiser feignent d’ignorer que le passé n’est qu’une hypothèse.
Georges Braque, Le jour et la nuit, Gallimard, 1952, p. 19, 19, 20, 21, 22.
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01/06/2019
Simone Weil, Joë Bousquet, Correspondance 1942 : recension
Simone Weil (1909-1943) et Joë Bousquet (1897-1950) se sont rencontrés sans doute le 28 mars 1942 la première fois, la philosophe collaborant à une livraison des Cahiers du Sud sur le thème "Le Génie d’oc et l’homme méditerranéen". Logée à Marseille en attendant son départ pour les États-Unis via Casablanca, elle désirait se rendre à l’abbaye d’En-Calcat, pas trop éloignée de Carcassonne, pour écouter le chant grégorien, et elle souhaitait l’appui de Joë Bousquet pour un projet de corps d’infirmières. Il y eut probablement deux entretiens avec Joë Bousquet, dans la chambre où il vivait alité depuis sa blessure qui, en 1918, l’avait rendu invalide, et les échanges ne furent pas, loin de là, limités au programme de Simone Weil, comme le prouve le contenu des lettres publiées (5 de Simone Weil — la dernière depuis Casablanca —, 2 de Joë Bousquet). Elles ne sont pas seulement resituées dans leur contexte et précisément annotées : les éditeurs renvoient toujours sur chaque point évoqué à des textes de l’un et l’autre et analysent minutieusement dans leur présentation les idées exposées. Il est intéressant de lire d’abord la correspondance avant la lecture qui l’étudie : on y retourne en l’abordant autrement.
Simone Weil avait lu des chroniques et des poèmes de Joë Bousquet qui, lui, avait beaucoup apprécié son article pour les Cahiers du Sud ; il écrivait à Jean Ballard, directeur de la revue, qui accompagnait Simone Weil à Carcassonne, « Je suis ravi de connaître Émile Novis1. Nous avons beaucoup de choses à nous dire ». Simone Weil voulait entretenir Joë Bousquet de son projet ; il s’agissait de créer un corps d’infirmières de "première ligne" qui chercheraient les blessés sur le front ; elles auraient ainsi risqué leur vie, mais les pertes possibles faisaient partie du projet, l’« effet produit sur les combattants et la population » pouvant être, selon elle, des plus bénéfiques contre la poursuite de la guerre. Elle insiste dans le projet définitif sur ces « facteurs moraux » — point absent de sa demande au poète. Le soutien de Joë Bousquet, couvert de médailles, permettrait de faire accepter le projet et, après leur rencontre, elle lui rappelle dans sa première lettre du 13 avril l’utilité d’une recommandation. À partir de là, elle aborde des questions qui la préoccupent, notamment celles de la souffrance, du bien et du mal.
Avant cette première lettre, elle a lu Traduit du silence de Joë Bousquet, livre paru en 1941 et, par ailleurs le Timée, St Thomas d’Aquin et Nicolas de Cues ; plus important pour les échanges avec J. B., elle a découvert les romans du Graal grâce à sa rencontre avec René Nelli2. Elle en a surtout retenu l’histoire du roi Anfortas qui, privé de l’usage de ses jambes, guérit quand Perceval lui pose la question : « Bel oncle, quel est donc ton tourment ? ». Elle voit dans la légende « une clé de lecture de la vie » de Joë Bousquet. Pour poser la question, selon Simone Weil qui compare Joë Bousquet à Perceval et non à Anfortas, « Il lui faut passer par des années de nuit obscure où il erre dans le malheur (…). Au bout de tout cela il reçoit la capacité de poser une telle question, et du même coup la pierre de vie est à lui ».
Elle est revenue sur la question de la souffrance physique — elle dont les maux de tête lui interdisaient parfois toute activité intellectuelle —, affirmant à Joë Bousquet qu’il était, d’une certaine manière, privilégié : « vous avez la guerre logée à demeure dans votre corps », or, « Pour penser le malheur, il faut le porter dans sa chair » : c’est la condition selon elle pour « connaître dans sa vérité, […] contempler dans sa réalité le malheur du monde ». Elle insiste sur le fait que le malheur ou la joie « comme adhésion totale et pure à la parfaite beauté » impliquent « la perte de l’existence personnelle » et, par là-même, donnent le moyen d’entrer dans « le pays du réel ». Il faut refuser tout ce qui est consolation, qui éloigne de la réalité, et en particulier la rêverie ; pour Simone Weil, Joë Bousquet n’aurait pas reconnu, et ne pouvait reconnaître, la distinction entre le bien et le mal, parce qu’il rêvait sa vie.
Dans leurs échanges, le fait mystique est détaché de la religion, la philosophe cherche le surnaturel, pas une Église. Si Joë Bousquet conseille à Simone Weil d’écrire sous le signe d’un « abandon mystique », lui veut trouver le « passage de la poésie à la spiritualité », même s’il oppose régulièrement voie spirituelle et voie poétique ; c’est bien la recherche du surréel que rejette violemment sa correspondante comme étant « mensonge » qui détourne de toute vérité. Joë Bousquet ne répondra pas sur ce point, mais écrira à Jean Ballard qu’il accepterait de vivre dans la peau de Simone Weil, mais avec « plus de complaisance envers le mal ».
Il y eut une de ces rencontres rares où l’amitié naît immédiatement — l’amitié, « source de vie », écrivait la philosophe —, et désir d’échanger, il y eut aussi incompréhension de part et d’autre, les chemins suivis étant sans doute trop différents. C’est cette relation vécue le temps de deux longs entretiens et de quelques lettres, que suivent avec chaleur Florence de Lussy et Michel Narcy dans leurs commentaires qui apprennent sur la personnalité de Simone Weil et Joë Bousquet. Ils ont accompagné les lettres, selon l’esprit des éditions Claire Paulhan, de nombreuses illustrations (photographies, reproduction de manuscrits et de documents), d’annexes et de traductions que choisissait Simone Weil pour Joë Bousquet.
1 Émile Novis, anagramme partielle de Simone Weil, était par sécurité son pseudonyme.
2 René Nelli (1906-1962), ami de Joë Bousquet et vivant à Carcassonne, était un spécialiste de la poésie d'oc du Moyen-Âge.
Simone Weil, Joë Bousquet, Correspondance 1942, réunie par Florence de Lussy et Michel Narcy, éditions Claire Paulhan, 2019, 200 p., 27 €. Cette note de lecture a été publiée par Sitaudis le 22 avril 2019.
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31/05/2019
Julien Bosc, La demeure et le lieu
la locution « à bord de nuit »
comme dans « se promener à bord de nuit »
est-elle propre à cette famille de paysans
(de qui je l’affectionne et la tiens)
ou est-elle plus largement répandue
quoi qu’il en soit
si elle touche la corde sensible
c’est que
révélatrice des transmutations et métamorphoses
— où s’accordent mots et songes —
elle fait du crépuscule un navire
des cieux la mer
et
de la nuit
l’augure d’une traversée merveilleuse
— si
à bord
et au large déjà
la côte est laissée derrière soi
Julien Bosc, La demeure et le lieu, Faï fioc, 2018, p. 39.
© Photo Chantal Tanet
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30/05/2019
Louis Aragon, Le Mouvement perpétuel
La route de la révolte
Ni les couteaux ni la salière
Ni les couchants ni le matin
Ni la famille familière
Ni j’accepte soldat ni Dieu
Ni le soleil attendre ou vivre
Les larmes danseuses du rire
N-I ni tout est fini
Mais Si qui ressemble au désir
Son frère le regard le vin
Mais le cristal des roches d’aube
Mais MOI le ciel le diamant
Mais le baiser la nuit où sombre
Mais sous ses robes de scrupule
M-É mé tout est aimé
Aragon, Le Mouvement perpétuel, dans
Œuvres poétiques complètes, I, Pléiade /
Gallimard, 2007, p. 116.
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29/05/2019
Jean-Pierre Chambon, Un écart de conscience
Je ne sais quelle nécessité
me pousse aujourd’hui à revenir
quelques années plus tard
au trouble si indéfinissable
que devant l’évidence d’un lieu nu
il m’est arrivé maintes fois d’éprouver
comme une manière d’expérience des limites
même si l’expression est exagérée.
Te mettre à nouveau dans la confidence
de mon introspection
t’inclure ne serait-ce qu’en pensée
dans le mouvement de ma recherche
m’aide et me soutient cette fois encore.
C’est aussi une occasion
en dépit de la distance irréductible
qui désormais nous sépare
de t’accueillir en songe dans l’état de rêverie
où il m’a été si souvent reproché de me complaire.
Jean-Pierre Chambon, Un écart de conscience,
Le Réalgar, 2019, p. 33.
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28/05/2019
Paysages, coquelicots et bleuets
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27/05/2019
Christian Ducos, Plic ! Ploc !
Plic ! Ploc ! le bruit de la pluie, Ploc ! le bruit de la grenouille qui tombe dans l’eau chez Bashô, et le titre de la revue de l’association française du haïku… On sait que le haïku classique (de Bashô, Issa, chacun ici dans un haïku) compte trois vers non rimés de 5, 7 et 5 syllabes, relatifs notamment aux saisons, aux choses de la vie quotidienne. Le genre a été introduit en France au début du XXesiècle et adapté par de nombreux poètes, dont Paul Éluard qui a publié 11 haïkus en 1920 et qui s’est souvenu de cette forme ensuite, par exemple dans Cours naturel, en 1938 :
Le bec de bois crachait des flammes vertes
L’herbe aurorale
Chant des fontaines disparues
L’essentiel est, chaque fois, de conserver la brièveté, l’emploi de groupes nominaux, l’inégalité dans la longueur des trois vers, mais aussi le déséquilibre syntaxique. Il ne s’agit pas de restituer dans notre langue ce qui appartient à une culture fort éloignée de la nôtre, ce que rappelle Christian Ducos pour qui l’intérêt du haïku vient de ce qu’il « entretient un rapport très particulier avec le sens qu’il s’emploie à immobiliser, figer pour mieux faire entendre le silence dans lequel il est tout entier contenu. » Beau programme que de chercher à restituer pour le lecteur le « mystérieux pouvoir d’évidement » du haïku.
Ce qui séduit dans le livre, c’est la volonté de Christian Ducos de ne pas proposer une simple succession de haïkus, mais souvent de donner à lire quelque chose de l’absence au cœur du haïku ; ainsi, le premier haïku et le dernier se répondent et la suggèrent :
coquille vide
peut-être pas
l’escargot !
enfin
de l’autre côté du mur
l’escargot
On peut relever tous les haïkus qui, avec de nombreuses variations, mettent en évidence le vide, l’absence dans le temps et l’espace. Ainsi la fleur n’apparaît que lorsque ce qui la cachait est ôté :
lorsque l’herbe est coupée
plus rouges encore
les fleurs de l’azalée
et des moments oubliés resurgissent avec un objet :
bille d’agate
retrouvés
mes yeux d’enfant
Le silence même est dans le haïku pour que puisse s’entendre une vibration — « le haïku se doit de résonner, vibrer », écrit Christian Ducos :
là
dehors
dans le silence d’éclore
sous la peau nue des pierres
bat le sang
du silence
Bien d’autres approches du haïku sont retenues dans le livre. Son titre qui figure un bruit est introduit et, quelquefois, le lien à la saison ou à ses aspects retrouve le ton du haïku classique :
elle vient
comme la pluie
la mélancolie*
Christian Ducos, comme il l’indique dans sa note liminaire, utilise les ressources rhétoriques pour inventer sa voix. Il joue sur le double sens d’une expression :
elle se croyait parfaite
elle tombe de haut
la neige
et sur l’homophonie :
elle est claire
avec elle-même
la luciole
L’humour est présent dans nombre de haïkus :
lire Saint-Simon
ou se laver les pieds
matinée d’été
et, également, le plaisir de l’absurde, le vide ou le poème lui-même devenant personnage :
il fait si chaud
même mon ombre
cherche un peu de fraîcheur
On lit aussi des haïkus avec assonances, qui peuvent en même temps être en vers comptés (10 + 8 + 8) :
par la fenêtre la lune d’avril
personne ici pour l’accueillir
le monde entier pour s’en réjouir
On voit la variété des approches du genre, qui permet d’aborder tous les sujets, y compris des questions de société, la peur de l’autre et l’extrême pauvreté, celle que l’on préfère ne pas voir :
chacun a peur
de l’ombre de l’autre
vivement midi
le regard du mendiant
m’a fait baisser les yeux
longue nuit
On ne boude pas son plaisir à lire et relire Plic ! Ploc !, à comparer le traitement différent d’un même thème (presque chaque thème apparaît deux fois) et s’il arrive d’estimer un peu faible un haïku on passe allègrement au suivant.
Christian Ducos, Plic ! Ploc !, Le Cadran ligné, 2019, 64 p., 14 €. Cette note de lecture a été publiée par Sitaudis le 10 mai 2019.
* Bashô écrivait : « Soleil d’un matin d’hiver / tout n’est que mélancolie », traduction René Sieffert, dans Bashô, Jours d’hiver POF, 1987, p. 61.
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26/05/2019
Alberto Giacometti, Écrits
Je n’ai plus peur
plus aucune peur,
avant je tremblais
le soir, la nuit
la mort toujours
me hantait, me
tourmentait, maintenant
rien, c’est pire c’est
effroyable, ce calme.
Alberto Giacometti, Écrits,
Hermann, 1992, p. 154.
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25/05/2019
Boris Pasternak, Poèmes
Le poème qui suit les poèmes
Sur votre étagère j’ai posé des poèmes
Poèmes que vous prenez pour du « moi-même »
Sur mon étagère aucun poème :
Et dans les jours que j’ai subisd aucun « moi-même ».
Dans la vie de ceux qui le mieux ont chanté,
Des traits d’une telle simplicité
Que quicinque, authentique, y a goûté
Ne peut plus que s’achever en silence entier.
Né de même parenté avec tout ce qui est,
Familier d’un avenir, qui dès aujourd’hui est,
Comment ne pas, finalement, tomber
Dans l’hérésir de la simplicité inouïe ?
J’ai honte, tous les jours plus honte
Qu’au profond de ce siècle de telels ombres
Subsiste une certaine haute maladie
Nommée « haut mal de poésie ».
Boris Pasternak, Poèmes, traduction Armand Robin,
Paris, sans nom d’éditeur, octobre 1946.
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24/05/2019
Henri Cole, Terre médiane
Insomnie
La nuit, à la lueur de la lampe, certains insectes
planant ou volant, en noir, rouge ou or,
surgissent comme des acteurs, vaguement spectraux,
dans l’espace ordinaire de ma chambre.
Hier soir, ils ont exécuté La Tempêteavec frénésie,
exigeant que je joue Prospero et pardonne
à chacun. « Et puis quoi ! » ai-je gémi.
Ce cher Ariel surnaturel, je l’aimais,
le décor insulaire, l’opportune vengeance —
comment résister ? La pluie s’est mise à tomber,
emplissant le temps comme du sable ou l’entendement humain.
C’est comme si je rêvais ou étais mort.
J’ai pardonné à mon frère, il m’a pardonné.
Nous nous sommes serrés l’un contre l’autre dans l’obscur reflux de la nuit.
Henri Cole, Terre médiane, traduction Claire Malroux, Le bruit du temps, 2003, p. 83.
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