22/10/2024
Georg Trakl, Œuvres complètes
Un soir
Le ciel au soir était voilé,
Et dans les bois emplis de silence et de deuil
Passait un frisson d’or sombre,
Des cloches du soir au loin se perdaient.
La terre a bu une eau glacée,
A l’orée de la forêt mourait un feu,
Le vent chantait doucement avec des voix d’ange
Et je tombai à genoux, frissonnant.
Dans la bruyère, dans le cresson amer,
Dehors, au loin, nageaient dans des flaques d’argent
Des nuages, des veilles d’amour abandonnées.
La lande était solitaire et immense.
Georg Trakl, Œuvres complètes, traduction M. Petit
et J-C. Schneider, Gallimard, 1980, p. 330.
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03/08/2019
Giuseppe Ungaretti, Vie d'un homme
Du soir
Dans les soupirs humides de ta nudité
Tu dérobes un secret. Souriant,
Rien, retenant son souffle, n'est plus doux
Que de t'entendre consumer
Au soleil moribond
L'ultime flamboiement de l'ombre, terre !
Soir
Aux pieds des pas du soir
Coule une eau claire
Couleur d'olive,
Jusqu'au feu bref et sans mémoire.
À cette heure dans la fumée j'entends rainettes et grillons,
Où tremblent tendres les herbes.
Giuseppe Ungaretti, Vie d'un homme, Poésie 1914-1970, Préface de Philippe Jaccottet, Poésie / Gallimard, 2005 [1973], p. 158 (traduction Ph. Jaccottet), 163 (traduction Jean Lescure).
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08/08/2017
Gabrielle Althen, La vie saxifrage
Chant du vide
Le jour range ses ailes. On ne les verra plus. La beauté était venue pourtant, mais si légère qu’on l’avait prise pour une hésitation. Évasives demeurent les longues stries de clarté qui rayent encore ce fond de monde, où quelqu’un pleure par-là qui fait bien de pleurer.
Gabrielle Althen, Vie saxifrage, Al Manar, 2012, p. 17.
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10/11/2016
Paul Claudel, Connaissance de l'Est
Novembre
Le soleil se couche sur une journée de paix et de labeur. Et les hommes, les femmes et les enfants, la tignasse pleine de poussière et de fétus, la face et les jambes maculées de terre, travaillent encore. Ici on coupe le riz ; là on ramasse les javelles, et comme sur un papier peint est reproduite à l’infini la même scène, de tous les côtés se multiple la grande cuve de bois quadrangulaire avec les gens qui face à face battent les épis à poignées entre ses parois ; et déjà la charrue commence à retourner le limon. Voici l’odeur de grain, voici le parfum de la moisson. Au bout de la plaine occupée par les travaux agricoles on voit un grand fleuve, et là-bas, au milieu de la campagne, un arc de triomphe, coloré par le couchant d’un feu vermeil, complète le paisible tableau. Un homme qui passe auprès de moi tient à la main des poules couleur de flamme, un autre porte aux extrémités de son bambou, devant lui, une grosse théière d’étain, derrière un paquet formé d’une hotte verte d’appétits, d’un morceau de viande et d’une liasse de ces taëls de papier d’argent que l’on brûle pour les morts, un poisson pend au-dessous par une paille. La blouse bleue, la culotte violette éclatent sur l’or terni de l’éteule.
Paul Claudel, Connaissance de l’Est [1900], Poésie / Gallimard, 1974, p. 60.
Pour que vive la Maison du Peuple (Saint-Brieuc)
«Et il faudrait ne rien dire ?»
Louis Guilloux,
La Maison du Peuple
OÙ EN SOMMES-NOUS ?
La Maison du Peuple de Saint-Brieuc, inaugurée en 1932, est interdite au public depuis 2005 pour des raisons de sécurité.
En 2008, Bruno Joncour en inscrit la réhabilitation dans son programme électoral.
En 2010, le mouvement social contre la réforme des retraites utilise un barnum installé sur la place Poulain-Corbion, derrière la Maison du Peuple fermée ; à la suite de quoi est créé à l'initiative de militants CGT et FSU un «Comité des usagers historiques de la Maison du peuple».
Lors du Conseil Municipal du 1er février 2011, le maire Bruno Joncour présente un rapport sur la «mise en place d'une concertation sur le devenir du site» de la Maison du Peuple. A cette occasion, il déclare : « Je vous propose ce soir que la Maison du Peuple [...] soit rénovée, reconstruite, dans l'esprit qui a été le sien lors de sa création et avec, naturellement, la vocation qui se rattache à son histoire».
Un «Comité de pilotage» chargé d'envisager des solutions pour «faire revivre» l'édifice est alors mis en place.
Depuis cette date (cinq ans déjà), RIEN n'a été fait et le site de la rue Cardenoual est à l'abandon.
QU'EST-CE QUE LA MAISON DU PEUPLE DE SAINT-BRIEUC ?
La Maison du Peuple de Saint-Brieuc n'est pas n'importe quelle Maison. Ce n'est pas qu'une Maison des Syndicats. Ce n'est pas une M. J. C ou une Maison de la Culture. C'est encore moins une salle polyvalente. Elle s'inscrit dans le mouvement d'éducation populaire (années 1920-1930) qui vit des ouvriers organisés prendre l'initiative de la construction de nombreuses maisons de ce type, en Belgique, en Suisse et en France.
Pourtant, ce n'est pas non plus n'importe quelle Maison du Peuple.
Sa singularité lui vient d'abord de ses origines (telles qu'elles sont évoquées dans le roman de Louis Guilloux, La Maison du Peuple, publié en 1927).
Elle lui vient ensuite de son histoire (depuis son inauguration en présence de Léon Jouhaux, secrétaire général de la CGT, jusqu'aux manifestations de 2010 — en passant par le Front Populaire, l'arrivée des réfugiés espagnols en 1939, les meetings de 1968, les luttes du Joint Français en 1972, le mouvement des chômeurs en 1998, la grève des enseignants en 2003...).
Elle lui vient enfin de la force symbolique que lui a conférée cette succession de rassemblements syndicaux, de batailles politiques, de débats démocratiques, d'actions de solidarité, de manifestations culturelles et artistiques (en 1999 elle accueillit la lecture de l’intégrale du Jeu de Patience de Louis Guilloux par plus de 200 habitants de la ville).
En somme, ce n'est pas seulement un bâtiment : c'est un mémorial. La présence de cette mémoire vivante au cœur de la cité est une réserve de sens et de confiance pour les luttes d'aujourd'hui comme pour celles de demain.
QUE VOULONS-NOUS ?
Nous sommes nombreux à Saint-Brieuc à croire qu'il peut toujours exister sous ce beau nom de «Maison du Peuple» un espace démocratique ouvert à toutes et à tous, à l'expression libre et à la prise de parole émancipatrice.
Nous ne voulons pas nous résoudre à ce que ce bâtiment intimement lié à l'image de notre ville soit détruit (ou même déplacé) — parce qu'il ne s'agirait pas seulement de la disparition d'un édifice mais de l'enterrement des questions que cet édifice incarne et suscite.
Nous voulons que la Maison du Peuple soit rénovée ou reconstruite sur place (au cœur de la cité) et dédiée à sa vocation historique : être «un outil au service du monde du travail, de ses luttes, et au service de l'éducation populaire»1.
Bien entendu, cette Maison du Peuple que nous appelons de nos vœux devra à nouveau accueillir des rassemblements syndicaux, fournir des salles de réunions pour la vie associative, être un lieu de meetings politiques, ouvrir ses salles à des spectacles, des concerts, des festivités populaires, servir de base à des actions solidaires et fonctionner comme établissement d'éducation populaire (par exemple pour l'alphabétisation des réfugiés, demandeurs d'asile, migrants).
UN PEUPLE ET SA MAISON ?
Vouloir maintenir et faire vivre à Saint-Brieuc une Maison du Peuple semble supposer que l'on sache ce qu'est aujourd'hui le «peuple» et qu'on ait une idée de ses «besoins» — auxquels répondrait l'existence d'une «Maison» qui serait la sienne.
Mais nul ne dispose aujourd'hui de ce savoir. Il s'agit de questions. Nous voulons qu'elles restent ouvertes. Ce n'est que dans l'action que des réponses peuvent apparaître. Une Maison du Peuple est un bon lieu pour accueillir ces actions et aider à formuler les réponses nouvelles dont notre temps a besoin.
Il faut pour cela que la gestion d'une telle maison ne soit ni sectaire, ni illusoirement œcuménique, ni figée dans les rôles et les modes d'action que son histoire a promus. Il faut au contraire qu'elle s'ouvre aux formes nouvelles d'action sociale, politique et culturelle qui s'inventent un peu partout aujourd'hui.
APPEL
Nous invitons le plus grand nombre possible de personnes et d'organisations à nous rejoindre et à agir pour obtenir des pouvoirs publics que la Maison du Peuple de Saint-Brieuc ne soit ni laissée à son état d'abandon actuel ni vendue et démolie; mais qu'elle soit au contraire réhabilitée sur place et remise en activité selon les vœux de la population briochine et conformément aux engagements pris il y a maintenant cinq ans par l'actuelle équipe municipale.
Vanda Benes (actrice), Roland Fichet (auteur dramatique), Michel Guyomard (responsable d'action culturelle), Guillaume Hamon (fonctionnaire territorial), Hervé Hamon (écrivain), Jean Guy Le Bère (ancien conseiller municipal), Vonig Le Goïc (militante associative), Yann Le Guiet (professeur de Lettres retraité), Annie Lucas (artiste dramatique), Monique Lucas (comédienne, professeure d'art dramatique), Lan Mafart (limonadier, libraire), Gérard Mauduit (citoyen militant), Jacky Ollivro (retraité, militant syndical), Christian Prigent (écrivain), Paul Recoursé (militant associatif), Robert Uriac, Jean-Luc Wilmart (retraité Gens de Mer).
Contacts :
christian.prigent@gmail.com
paul.recourse@wanadoo.fr
Publié sur Situais le 4 novembre 2016
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03/10/2016
Isabelle Baladine Howald, fantômes
je — court à la mort
(devancer sans fin la scène des adieux, je —
court devant — les mains et les bras tendus ouverts
pour / contre)
Je ne veux pas que le jour commence je ne veux pas
que le jour finisse à chaque mort je pense
non pas pensée mais épreuve de l’aube et du soir
Relever relever
Ne pas s’en relever. Mais relever : survivons comme /
les deux extrêmes —
Isabelle Baladine Howald, hantômes, isabelle sauvage,
2016, p. 12.
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06/08/2016
Anna Akhmatova, Poème sans héros
Un soir
La musique résonnait dans le jardin
D’in si indicible chagrin.
Sur un plat des huîtres glacées
Sentaient la fraicheur âcre de la mer.
Il m’a dit : « Je suis un ami fidèle ! »
Et il effleura ma robe.
Combien peu ressemble à une étreinte
Le frôlement de ces mains-là.
Ainsi caresse-t-on les chats et les oiseaux,
Ainsi regarde-t-on les sveltes écuyères…
Le rire seul anime ses yeux calmes
Sous l’or léger des cils.
Mais les voix déchirantes des violons
Chantent derrière une brume qui s’étire :
« Bénis donc le Cel :
Pour la première fois tu es seule avec lui. »
Anna Akhmatova, Le rosaire (1914), dans Poème
Sans héros, traduction Jeanne et Fernand Rude,
Maspero, 1982, p. 59.
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19/02/2016
Thilo Krause, À la lisère du sommeil
Poème
...ed è subito sera
Salvatore Quasimodo
Remontant de la cave en frissonnant
je regardai droit
dans les yeux d’un chat.
Sans trouver
de réplique je trébuchai, pris d’un léger vertige
dans le gouffre d’une des pupilles
je tombais et
tombais et ne me rattrapai que lorsqu’une porte s’ouvrit
que le soleil se déploya d’un mur à l’autre.
Déjà le soir était là.
Gedicht
...ed è subito sera
Salvatore Quasimodo
Als ich fröstelnd aus dem Keller kam
blickte ich geradewegs
in die Augen einer Katze.
Ich wusste nichts
zu erwidern, stolperte von leichtem Schwindel gepackt
in den Brunnenschacht der einen Pupille.
Ich fiel und
fiel und fing mich erst, als eine Tür aufging
als Sonne sich spannte von Wand zu Wand.
Schon war es Abend.
Thilo Krause, À la lisère du sommeil, traduit de l’allemand par Eva Antonnikov, dans La revue de belles-lettres, 2015, 2, Lausanne, p. 41 et 40.
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18/04/2014
Issa, Sous le ciel de Shinano
pluies de printemps
réchappé des menus de fête
un canard chante
sous les cerisiers ce soir
aujourd'hui déjà
est bien loin
quiétude
au fond du lac
la cime des nuages
herbes échevelées
le froid se sent
rien qu'à vue d'œil
sur l'azur
tracer un caractère
— couchant d'automne
au soir
parlant avec la terre
les feuilles tombent
Issa, Sous le ciel de Shinano, choix et
traduction par Alain Gouvret et Nobuko
Imamura, Arfuyen, 1984, np.
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20/02/2014
Henri Droguet, Variations saisonnières, dans PO&SIE
À perte
C'est un soir et le temps
qui court Dame souris
trotte et chicote
à la maison du nouveau mort
étendu dans la chambre
plus ou moins noire où sphinx
(tête idoine) et bombyx
cernent la lampe et demain
seront miettes et poudres
déjà l'enfant perdu
court au jardin sauvage
ça sent le frai la laine et l'argile
le vent revient de loin
un ange passe
13 août 2007
Voyures
Quoi s'éloignait là ? disais-tu
le vent fouettard à son branle
qui tombait dans l'éparse grâce de la mer
le soleil entre l'ombre et l'ombre
tout feu tout flamme déboulé
dans un panier de nuages
la neige à venir et l'herbe à Robert
un improbable accès aux replis des collines
les menues semences
l'eau douce à la saulaie
les grandes nuits lointaines
C'est ça le vrai jour et l'aboi neuf
ça râpe et ça rit
ça rabote
2 mai 2008
Henri Droguet, Variations saisonnières, dans PO&SIE
n°136, 2ème trimestre 2011, p. 41 et 48.
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16/08/2013
Jacques Réda, Amen
Soir
Comme nous voici loin du clapotis bleu des collines
Qui bat contre les murs que va démanteler le soir ;
Ici ; ne bougeons pas ; le souvenir de cet instant
qui vient se penche sur nos fronts et nous sommes perdus,
Bien qu'une branche rame encore et cherche à nous sortir
Du remous désormais figé qui nous retient.
Si près
Qu'on y pourrait tremper la main, la source s'abandonne
Au bonheur précaire du temps qui coule, mais nos voix
Semblent demander l'heure, encore incrédules : déjà
Leur écho s'est éteint parmi les arbres immobiles.
Nous voici là, debout dans la lumière de l'exil,
Interrogeant en vain notre ombre au soleil qui décroît.
Jacques Réda, Amen, "Le Chemin", Gallimard, 1968, p. 46.
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02/08/2012
Giuseppe Ungaretti, Vie d'un homme
Du soir
Dans les soupirs humides de ta nudité
Tu dérobes un secret. Souriant,
Rien, retenant son souffle, n'est plus doux
Que de t'entendre consumer
Au soleil moribond
L'ultime flamboiement de l'ombre, terre !
Soir
Aux pieds des pas du soir
Coule une eau claire
Couleur d'olive,
Jusqu'au feu bref et sans mémoire.
À cette heure dans la fumée j'entends rainettes et grillons,
Où tremblent tendres les herbes.
Giuseppe Ungaretti, Vie d'un homme, Poésie 1914-1970,
Préface de Philippe Jaccottet, Poésie / Gallimard, 2005 [1973], p. 158 (traduction Ph. Jaccottet), 163 (traduction Jean Lescure).
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