23/09/2024
Leontia Flynn, Pertes et profits
Cinq versions ridicules de Catulle
2
Tu veux savoir combien de tes baisers
seraient assez pour moi — et plus qu’assez ?
Autant que les grains « aux vertus réparatrices »
qui gisent sur les plages de sable lointaines,
entre les lupanars que nous prions la nuit
et les ruines légendaires pour gogos.
Ou autant que les étoiles, les nuits calmes,
ignorent les gestes furtifs des amants.
Voilà le nombre de fois qu’il faut t’embrasser.
Je suis dingue, donc c’est assez, « plus qu’assez »
— et c’est plus que les prudes peuvent compter,
guigner, rabaisser de leurs langues frétillantes.
Leontia Flynn, Pertes et profits, traduction de
l’anglais (Irlande du Nord) Théo Bourgeron,
Le Corridor bleu, 2024, p. 109.
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08/10/2019
Paul Celan, Grille de parole
Une main
La table, de bois d’heures, avec
le plat de riz et le vin.
On se tait, on mange, on boit.
Une main, que je baisais,
fait la lumière pour les bouches.
Paul Celan, Grille de parol, traduction
Martine Broda, Christian Bourgois,
1991, p. 65.
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05/04/2017
Ariane Dreyfus, La bouche de quelqu'un
C’est ainsi
Hasard légèrement fleuri, s’enracinant à peine,
Je contemple le vent, je respire.
Ne plus dire car personne, et même aucune image ensemble, que je donnais on visage à boire dans tes mains.
Tu l’as renversé, et encore renversé.
Même si je glisse
Non je ne suis pas sur le rocher !
Je tire sur la corde,
Pourquoi tiendrait-elle, tu l’as lâchée.
Pas comme l’amour qui n’ôte pas ses mains. Des miennes je m’accroche aux mots appuyés.
Enflure sans danse
- ardent découpage, oubli passionné.
Un jour, puis deux
Avec leurs joues à embrasser, ne pas embrasser.
Ils viennent tous.
Ariane Dreyfus, La bouche de quelqu’un, Tarabuste, 2003, p. 99.
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04/10/2016
Carol Ann Duffy, Valentine
Valentine
Non une rose rouge ou un cœur de satin
Je te donne un oignon.
Une lune enveloppée dans du papier Kraft.
Il promet la lumière
comme l’amour délicatement déshabillé.
Tiens.
Comme un-e amant-e tu seras
Aveuglé-e par les larmes
Il fera de ton reflet
Une photo floutée de chagrin.
J’essaie d’être juste.
Ni jolie carte ni baisers postés.
Je te donne un oignon.
Son baiser sauvage tiendra à tes lèvres
fidèle et possessif
comme nous le sommes,
pour autant que nous sommes.
Prends-le.
Ses rondelles platine te feront une alliance miniature,
si tu veux.
Fatal
son parfum s’accrochera à tes doigts,
à ton couteau.
Carol Ann Duffy, traduit par Nathalie Koble, dans
- K., Drôles de Valentines, Héros-Limite, 2016, p. 150.
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28/03/2016
John Donne (1572-1631), L'expiration
L’expiration
Achève cet ultime et gémissant baiser
Qui nos âmes aspire et résout en buée.
Partons, spectres tous deux, par chemins opposés
Laissant la nuit couvrit notre heureuse journée.
Nous aimâmes sans tiers ; nul tiers n’aura de part
À cette chiche mort où suffit le mot « Pars ».
Pars, donc. Et si ce mot ne t’a pas fait mourir,
Fais-moi, le redisant une mort point cruelle ;
Sinon, que sur moi-même il vienne rebondir
Et frapper justement une âme criminelle !
À moins que pour ainsi périr il soit trop tard,
Mort deux fois, de partir, et de te dire « Pars ».
John Donne, Poèmes, traduction J. Fumier et
Y. Denis, Poésie / Gallimard, 1991, p. 197.
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23/03/2016
Ariane Dreyfus, Quelques branches vivantes
Le centre de la scène
Elle danse très loin.
C’est ainsi que je rêvais. C’est pourquoi je reste dans le noir. Mais j’ai soif. Cette soif d’une liberté qui recule.
Il vient lui aussi.
Sans le dire entrouvre l’arabesque d’une main
Qu’on veut libre.
L’embrasse avec ses jambes ouvertes le temps d’être portée là-haut
Contre lui.
Son visage contient des choses humaines on se souvient
Mais c’est dans l’articulation que l’histoire vient.
Toujours ce temps pour faire un geste
Ne plus le revoir.
Ariane Dreyfus, Quelques branches vivantes, Poésie / Flammarion,
2001, p. 47.
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20/08/2015
Edward Estlin Cummings, Paris
plus
pâle
que tous les pourquois
tapis
entre tes omoplates découvertes. — Voici
venir un solide gaillard en sarrau
de l’autre côté de la fenêtre, touchant les becs
de gaz un à un de sa canne
magique (au bout de laquelle une boule
de feu bouillonne enthousiaste)
vois
là et là ça explose
silencieux en crocus d’éclats. (Cela fait bien assez
de vie pour toi. Je comprends. Une fois
encore...) glissant
un peu plus bas ; embrasse-moi de ton corps soudain
incurvant de complètes questions chaudes
Edward Estlin Cummings, Paris, traduit de l’anglais et présenté par
Jacques Demarcq, Seghers, 2014, p. 33.
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03/05/2014
Martial, DCL épigrammes recyclées par Christian Prigent
III, 65
Haleine d'enfant qui mord dans un fruit,
Brise qui passa sur fleur de safran ;
Arôme de vigne aux grappes d'argent,
Le gazon aimé des dents de brebis ;
Le myrte épandu avec l'aromate.
L'ambre, l'encens d'orient qi éclate
Au feu pâle ; une pluie douce aux sillons,
Des cheveux brillants du nard des flacons ;
Voilà tout ce que sentent tes baisers.
Pourquoi donc veux-tu me les marchander ?
*
IV, 65
Elle pleure d'un seul œil à la fois
Impossible ? Non — mais borgne : voila !
*
V, 13
J'ai pas un sou mais m'en bats l'œil :
Un peu partout j'ai des lecteurs
Qui s'écartent de mon soleil,
Disant : « C'est lui ! » — Que du bonheur !
Vivant, sur mes lauriers je dors
Mieux que bien d'autres déjà morts.
À toi tes cent mètres carrés,
Un coffre-fort plein craquer,
Tes propriétés, tes chevaux,
Les revenus de tes troupeaux.
Y arriver, chacun le peut.
Mais être moi : essaie un peu !
*
VII, 30
Putain romaine
Mais pute à Grecs.
Et si avec
Un Juif s'amène :
Putain pour lui.
Pute à Germains,
À Égyptiens,
Sand oublier
L'Indien bronzé
De la mer Rouge.
Elle se bouge
Le cul pour des
Petits Maltais,
Des grands Galois.
Même parfois
Tous à la fois.
Oui, mais voilà :
Pas de Romains.
Pour eux : « Tintin ! »
Dit la putain.
*
IX, 81
Mes lecteurs : « C'est bon ! »
Mes critiques : « Non ! »
Plutôt plaire aux invités
Que complaire au cuisinier.
Martial, DCL épigrammes recyclées par
Christian Prigent, P.O.L poche, 2014.
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17/11/2013
Gertrude Stein, Lève bas-ventre
Gertrude Stein par Francis Picabia
II.
Baise mes lèvres. Elle les a baisées.
Baise mes lèvres à nouveau. Elle les a baisées à nouveau.
Baise mes lèvres encore et encore et encore à nouveau et elle les a [baisées encore et encore et en corps à nous vaut.
J'ai des plumes.
De grands poissons.
Penses-tu à des abricots. Nous les trouvons très beaux. Ce n'est pas [seulement leur couleur c'est leur noyau qui nous charme. Nous y [trouvons une différence.
Lève bas-ventre est si étrange.
Je suis venue pour en parler.
Un choix de raisins secs bon leurs raisins les raisins sont bons.
Différence ton nom.
Questionne et jardine.
Il pleut. N'en parle pas.
Mon bébé est chou tout rose. Je veux lui dire une chose.
Chandelles de cire. Nous avons acheté beau cou beaucoup de [chandelles de cire. Certaines sont décorée. Personne ne les a [allumées.
Je ne fais pas mention des roses.
Exactement.
Questionne et beurre.
Je trouve le beurre très bon.
L'Éve bas-ventre est si douce.
Lève bas-ventre grassement.
N'est-ce pas que cela t'étonne.
Tu me désirais intensément.
Dis-le à nouveau.
Fraise.
Lève transporte bas-ventre.
Lève douceur bas-ventre.
Chante jusqu'à moi dis-je.
Certaines sont des épouses pas des héros.
Lève bas-ventre simplement.
Chante jusqu'à moi dis-je.
Lève bas-ventre. Un réfléchi.
[...]
Gertrude Stein, Lève bas-ventre, traduction de Christophe
Lamiot Enos, éditions Corti, 2013, p. 28-29.
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28/10/2013
Franck André Jamme, au secret
l'odeur d'Éros
bien sûr
l'esprit
capable
de revêtir dans l'eau
un corps si singulier
et cet attrait
pourtant
pour un étrange sentiment
d'indifférence
ou bien d'absence
absolument phosphorescent
*
les mille reflets encore
dans la pupille
des presque morts
le constat
qu'au premier plan
de notre vison
déambulent les phénomènes
d'extrême violence
l'envie pourtant
de vous embrasser
constamment
Franck André Jamme, au secret, dessins de jan voss,
éditions isabelle sauvage, 2010, p. 44 et 92.
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13/02/2013
William Shakespeare, Les Poèmes, traduction Yves Bonnefoy
Vénus et Adonis
Le soleil au visage pourpre vient de se séparer de l'aube en pleurs, et Adonis aux joues de rose se hâte d'aller chasser. Il aime la chasse mais il se ri avec mépris de l'amour. Vénus, dont il obsède la pensée, se jette au-devant de lui et, en hardie amoureuse, elle se met à le courtiser.
« Ô trois fois plus beau que moi-même, dit-elle pour commencer, ô de ces prés la fleur suzeraine, douceur incomparable, éclipse de toute nymphe, plus beau qu'un homme, plus blanc et plus vermeil que ne sont les roses ou les colombes, la nature qui t'a fait en cherchant à se dépasser elle-même dit que le monde avec ta vie finira.
Daigne, ô merveille, descendre de ton coursier et, sa tête orgueilleuse, rapproche-la par le frein de l'arçon de ta selle. Si tu veux bien m'accorder cette faveur, pour récompense tu connaîtras mille secrets de miel. Viens t'asseoir ici, où jamais le serpent ne siffle et je t'étoufferai de baisers.
Et pourtant je ne rassasierai pas tes lèvres de la satiété écœurante, plutôt je les affamerai en pleine abondance, les faisant rougir et pâlir par mes inventions très nombreuses : dix baisers aussi courts qu'un seul, un seul aussi long que vingt. Un jour ne nous semblera qu'une heure, dépensé en ces jeux qui trompent si bien le temps. »
Disant cela, elle saisit cette main dont la sueur atteste la vigueur et la fougue. Et toute tremblante de passion, elle appelle cette sueur le baume, l'onguent suprême que la terre réserve pour l'apaisement des déesses. Elle est si bouleversée que son désir lui donne la force et le courage d'arracher Adonis de son cheval.
[...]
William Shakespeare, Les Poèmes, traduction et préface Yves Bonnefoy, Mercure de France, 1963, p. 13-14.
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