15/10/2021
George Oppen, Poésie complète
Du désastre
En fin de compte l’air
Est la lumière nue du soleil dont il faut extraire
Les objets de valeur lyrique. À partir du désastre
Du naufrage, des familles entières campaient
Jusqu’à leurs taudis, et survivaient.
Là grâce à quelle morale
De l’espoir
Qui pour les fils
Achève sa métaphysique
Sur les pelouses étroites des maisons.
George Oppen, Poésie complète, traduction
Yves di Manno, Corti, 2011, p. 65.
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14/10/2021
George Oppen, Poésie complète
La source
Si la ville a des racines, c’est dans l’ordure
Ce sont des taudis. Même le trottoir
Est râpeux sous les pas.
— Dans un immeuble en brique
Noir le corps d’une femme
Brille. La lueur ; les inimaginables
Petits pieds s’effilent
Le cou-de-pied nu sur le sol en bois !
Cachée, déguisée
— et timide ?
La chaleur secrète
De la ville.
George Oppen, Poésie complète, traduction
Yves du Manno, Corti, 2011, p. 92.
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13/10/2021
George Oppen, Poésie complète
Les langues
de l’apparence
parlent au cours du périple
imposé périple
immense on perd beaucoup à nier
cette force les instants les années
même mortels perdus
à nier
cette force les mots
issus de cette tornade qui sont
et ne sont pas les siens d’étranges
mots l’encerclent
George Oppen, Poésie complète, traduction
Yves di Manno, Corti, 2011, p. 311.
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12/10/2021
George Oppen, Poésie complète
Les circonstances
Les mots les plus
Simples disent que le brin d’herbe
Entrave
L’éclat
D’un astre
Pour projeter une ombre
Dans laquelle les insectes rampent
Près des racines ;
Père, père
De la paternité
Qui me hante, homme
Tremblant le plus nu
D’entre nous, ô père
observe
Près des racines
De l’herbe le présent
Créateur ce terrifiant
plongeon
Georges Oppen, Poésie complète,
traduction Yves di Manno, Corti,
2011, p. 165.
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05/08/2019
Reinhard Priessnitz, 44 poèmes, Poésie complète
Large aux séant
Et, pourquoi qu’tu trompaytes ?
j.van hoddis
moins les fesses, d’yeux, cerveaux,
ça suffirait, moins de mains,
bien. moins de texte, ôter l’image ;
moins de mots. nuls relais,
rejets, nulle vapeur ! sans pin-pon
écrire encore, moins de vagues.
plus de papier, moins de trombone,
à cul lisse aussi, dégonflé, nul présent !
Reinhard Priessnitz, 44 poèmes, Poésie complète,
traduction Alain Jadot, préface Christian Prigent,
NOUS, 2015, p. 147.
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27/10/2016
Michel Couturier, Poésie complète
Éditer un poète peu connu et disparu depuis trente ans est une aventure : Michel Couturier (1932-1985) avait publié des poèmes dans la revue Siècle à Mains et quelques minces recueils, tous à peu près inaccessibles, De distance en château (Siècle à Mains, 1964), L’ablatif absolu (Maeght, 1975), Constante parité (1976, Le collet de Buffle) ; Lignes de partage (1985, id.) est posthume. L’ensemble est repris dans le volume et Marie de Quatrebarbes, qui l’a construit, a ajouté un inédit, Ès (1982, dans Banana Split). On lira dans Sitaudis (22 avril 2016) son entretien avec Émmanuèle Jawad à propos de la parution de L’ablatif absolu ; y sont relatées les étapes de la construction du livre et des remarques sur le rapport de Couturier à l’écriture.
La postface de Jean Daive, qui a bien connu Couturier, apporte des données utiles pour situer le poète dans son temps ; il précise notamment ses liens avec Claude Royet-Journoud et Anne-Marie Albiach et leur influence, avec qui il édita à Londres la revue Siècle à mains, et il évoque également ses travaux de traducteur de poètes américains, d’abord de Burn Singer, puis surtout de John Ashbery.
Comme d’autres lecteurs sans doute, j’ai lu pour la première fois Michel Couturier dans sa préface à Fragment, Clepsydre, Poèmes français d’Ashbery (1975) qu’il avait traduit pour la collection ’’Fiction & Cie’’ de Denis Roche. Hors ce qu’il écrivait du poète américain, m’avait retenu la forme de quelques-unes de ses phrases, riches en subordinations successives qui demandaient un retour à leur début. Cette étirement du discours est présent surtout dans les derniers poèmes, au point que la syntaxe est brisée, qu’il est difficile, voire impossible, de reconstruire la phrase : il y a là un « parcours comme une ligne mélodique », écrit Couturier dans Lignes de partage. Pour Jean Daive, les « mots prétendent à une gamme, une vocalisation ou phonation qui est imposée tout d’abord à la voix, ensuite à la lecture sinon au regard. » Donc, phrase suspendue, vers éclatés, et refus de présenter un sens — d’où ici une parenthèse vide, là des vers s’ouvrant par « que qui » sans qu’il soit aisé de retrouver un fil, ou simplement un vers en anglais.
Le refus d’un sens donné est manifeste dès les premiers poèmes publiés (De distance en château), certains vers étant d’abord fondés sur le son : « Tébréo Téréoté / Toré aussi To / Toro alor / d’épée chur au pays d’é ». Parallèlement, la réalité n’est pas abandonnée, avec le nom d’une rue de Londres (Aschurch Grove), ni les formes classiques du vers : se maintient la majuscule en début de vers et plusieurs poèmes gardent un nombre à peu près régulier de syllabes, autour de 12 ou de 10 ; mais les poèmes s’éloignant de toute narration, les vers n’ayant pas (ou fort peu) de relation de sens entre eux. Quand un récit s’amorce avec une entrée comme « en cette vie-là », toute suite est interdite, l’énoncé accumulant impossibilités sémantiques et phrase tronquée, comme dans : « je mendiais les amarres de l’ombre qui délivrée / disais-je d’un visage de haute laine ». Dans un poème où se développe le thème de l’orage, une image rompt le caractère presque convenu de la description :
Travaux d’approche des éclairs
Vers le point d’équilibre des orages
Qui leur permettrait d’agir
D’investir leurs genoux sur les vitres
Si l’on excepte les poèmes en prose de Lignes de partage, brefs récits qui réalisent « le désir / de narration » et où un certaine lyrisme s’exprime avec la récurrence des mots sang et mort, couturier abandonne dans les poèmes en vers à partir de L’ablatif absolu les quelques règles qu’il avait suivies et s’accentue le caractère à la fois vocal et visuel du texte : mots à dire en respectant des silences — comme dans le chant— et disposition dans l’espace de la page qui figurent le mouvement de la voix. Le « je » affirme cependant sa présence ; Jean Daive rapporte que Couturier interrompait une remarque de Royet-Journoud en lui disant « Je continue ma lecture », phrase devenue vers, sibylline sans ce contexte. Il est présent autrement, avec la présence de l’Autre et sa disparition : « Il y a là des yeux très clairs / et qui s’éloignent / qu’il faut accepter de perdre ».
Couturier est aussi dans ses poèmes par la langue qu’il utilise ; ici et là, il introduit des mots rares (« transfixer », « inaccouplé » — néologisme formé en 1845), archaïques (« infiguré »), des sens archaïques (« irréfragable » à propos d’une personne) et, surtout des vocabulaire techniques, ceux des mathématiques et de la grammaire. Il l’est encore par la récurrence de quelques mots, du premier recueil au dernier : « ombre » est le plus fréquent, comme s’il permettait d’exprimer « la perte de l’instant en un / mot ».
Michel Couturier, L’ablatif absolu, poésie complète, postface de Jean Daive, La Tête et les Cornes, 2016, 168 p., 18 €. Cette note de lecture a été publiée sur Sitaudis le 5 octobre 2016.
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18/12/2015
Reinhard Priessnitz (1945-1985), 44 poèmes, poésie complète
ballade sous la neige
si ma psyché me parle sans tain
la neige enverra balader
le ciel en éclats
l’artère de la nuit
se met en voix
ivre dans les joncs
ma psyché droite
se met en voix
coq et cocotte
s’il neige la parole
se fera-t-elle hiver
faucheur et faux
le cœur un flocon
le filet de sa vois sera-t-il
corde vocale gelée
sa glace une fleur
éclats de verre
pouls de la nuit
couverons-nous
coq blanc et blanche cocotte
tandis qu’il neige et neige
irons-nous balader
ma psyché pose
des questions qui glacent
dans un rêve qui tombe
schneelied
spricht mein spiegel sich blind
wind wandern der schneefall
die sherbe des himmels
die ader der nacht
spielt seine stimme
taumelnd im schilf
mein richtender spiegel
spielt seine stimme
henne und hahn
wird wenn es schneit
das sprechen ein winter
schnitter und sense
das herz eine flocke
wird seine stimme
ein frostiges band
sein eis eine blume
gläserne scherbe
pulsender nacht
werden wir brüten
weisser hahn weisser henne
unter schneefall und schneefall
werden wir wandern
mein sprechender spiegel
klirrende fragen
im fallenden traum
Reinhard Priessnitz, 44 poèmes,
poésie complète, traduction Alain Jadot,
préface Christian Prigent, NOUS, 2015,
p. 77 et 76.
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30/10/2011
George Oppen, Poésie complète, traduction Yves di Manno
Si tout partait en fumée
cette fumée
demeurerait
la contrée à
jamais sauvage la lumière du poème la lumière
empruntée du paysage et d’une série d’empreintes l’éloge
au loin
dans la foule
proche tout
ce qui est étrange les sources
les puits le poème ne commence
pas avec le mot
ni le sens mais les petites
entités qui nous
hantent dans les pierres et vaut toujours
moins que cela aidez-moi je suis
de ce peuple les brins
d’herbe se
touchent et dans leur peu
d’écart le poème
commence
George Oppen, Poésie complète, traduit par Yves di Manno, préface de Eliot Weinberger, Éditions Corti, 2011, p. 309-310.
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