19/03/2016
Sanda Voïca, Épopopoèmémés
Ouvre les yeux
Ouvre les yeux pour — je ne sais plus : c’était hier déjà
Et je me cache de plus en plus vite les raisons d’ouvrir les yeux
Ouvre les yeux — on me disait hier matin, entre sommeil et réveil.
Ouvre le tiroir et regarde, surtout : on me le disait. Qui donc ?
Et j’ai ouvert un large tiroir plein de livres, où le premier à voir et à ouvrir,
[posé couché à côté de quelques autres.
C’était mon livre : un livre que je reconnaissais sans reconnaître —
Je l’avais écrit moi, en effet, mais sa couverture bleu-blanchâtre était inédite.
Et ce n’est pas un rêve : l’interprétation d’un rêve, peut-être, mais en direct,
devant mes yeux ouverts, devant ce tiroir ouvert, et surtout dans ma vie
toujours ouverte, béante.
Je n’ai pas fini mon poème hier — le poème du jour s’arrête ici — écrit
aujourd’hui, mais c’est le poème d’hier. D’hier matin.
Le 13e en rang, le 13e diffus, le 13e en cours d’empoisonner les autres.
Celui d’aujourd’hui surtout.
Le 14edéjà commencé sur le papier — pas encore tapé : en retard de mes
poèmes.
J'ouvre une autre page word, ici.
J’ouvre. Et je ferme aussi celui-ci.
Fermeture-éclair : comme celui d’un sac de couchage, pour un camping à jamais
ajourné, mais dont profite mon chat :
Je lui ai fait prendre un bain, et pour qu’il ne s’enrhume pas, je l’ai mis dedans,
bébé sage, soulagé de sa crasse tignasse,
il ose à peine sortir son nez.
Cette fois je ferme la boutique, le numéro 14 m’attend.
Comme une femme dans un bordel, qui est attendue. Au boulot !
Sanda Voïca, Épopopoèmémés, éditions Impeccables, 2015, p. 66-67.
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