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11/08/2017

Emond Jabès, Le Soupçon Le Désert

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   Le livre de la prime enfance serait-il l’avant-livre dont nous mourrons ? Serait-il le livre de la mort que nous feuilletons tout au long de nos livres sans savoir jamais avec certitude s’il nous accompagne et s’il est « le livre qui est dans le livre » ?

   Ainsi, être nommé serait accepter, de la mort, un destin de vivant : serait pour qui reçoit un nom, s’élever des ténèbres vers le jour ; un jour, lui aussi, dans le jour, plus ancien que celui de notre naissance et dont nous saurons, par le biais fébrile d’une signature, marquer l’avènement. Rien ne se fait, cependant, qui n’ait été préparé dès longtemps avec minutie et comme en dehors de nous, ce qui laisserait supposer que ce « dehors » serait, peut-être, le tréfonds, car le corps écrit, comme le livre, est sans limites et, de surcroît, nous amènerait à penser que c’est bien l’écriture qui fait éclater les limites, qu’il n’y aurait point d’illimité vécu hors de l’écriture laquelle, ayant pouvoir incontesté de délimiter, simultanément assigne à ce qu’elle limite de nouvelles bornes, elles-mêmes, aussitôt, dépassées.

 

Edmond Jabès, Le Soupçon Le Désert, Gallimard, 1978, p. 93.

10/08/2017

Pascal Quignard, Petits traités, II

      

                                                      pascal guignard,petits traités,ii,livre,réel,corps

   Un livre est assez peu de chose, et d’une réalité sans nul doute risible au regard d’un corps. Il ne se transporte au réel que sous les dimensions qui ne peuvent impressionner que les mouches, exalter quelques blattes peut-être, étonner les cirons. Parfois l’œil d’un escargot enfant.

   Il introduit dans le réel une surface dont les côtés excèdent rarement douze à vingt centimètres, et l’épaisseur d’un doigt.

 

Pascal Quignard, Petits traités, II, Maeght, 1980, p. 83.

 

22/11/2016

Jean-Luc Parant, Le miroir aveugle

                     Jean-Luc Prant, la miroir aveugle, visage, mensonge, toucher, corps, livre

                                   De la nuit et du vide

 

   On m’a menti, il n’y a rien sous mes doigts, je ne sens rien de mon visage dans le miroir, comme je ne sens rien sous mes doigts quand j’ouvre un livre et que je touche ce qui est écrit.

   On m’a menti, moi qui suis d’abord un corps, avec ma tête que je touche sans cesse parce que je ne la vois pas, ma peau à travers de laquelle je respire, mes poils qui me protègent, mes cheveux, mon sexe qui me reproduit, mes mains et mes bras qui me dirigent dans la nuit, mes jambes et mes pieds qui me déplacent sur la terre dans le jour. Moi qui suis ce que je suis, avec une matière et une odeur avec lesquelles je suis né, avec lesquelles je disparaitrai.

   On m’a menti, on m’a dit que c’était moi dans la glace, que j’étais cette image intouchable, ce reflet insaisissable que l’on ne peut pas atteindre, moi qui suis si proche de moi, qui me touche qui me sens, moi qui suis si fragile, qui ai mal au moindre choc, qui saigne à la moindre blessure, qui m’abîme tous les jours, qui vieillis et qui un jour serai mort et qui ne serai plus que quelques os, un petit tas de poussière sur la terre.

 

Jean-Luc Parant, Le miroir aveugle, Argol, 2016, p. 147-148.

01/07/2016

Jacques Bens, Sonnets irrationnels

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                    Nostalgique

 

Je ne hanterai plus les graves officines

Où mes amis, tout doucement, prennent racines,

Racines que j’envie sous mes airs fanfarons,

 

Car, au-delà de tout, j’aime l’odeur des livres.

 

Si j’ai troqué la plume pour les mancherons

C’est façon de parler, poétique et vaccine),

Si j’ai, dis-je, choisi les champs et les fascines,

Je n’ai pas renié mon sang d’écriveron :

 

Toujours, par dessus tout, j’aime l’odeur des livres.

 

Ah, connaître à nouveau ce monde qui m’enivre !

Retrouver, chaque jour, mes cousins correcteurs !

Renifler le parfum froid des clichés de cuivre !

Revivre, enfin, la vie qui déjà m’a fait vivre,

Et, parbleu ! débarquer comme un triomphateur !

 

Jacques Bens, Sonnets irrationnels, Gallimard, 1965, p. 31.

21/05/2016

Pierre Reverdy, Le Cadran quadrillé

 

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                         Si on osait entrer

 

   Derrière la porte sans vitres deux têtes s’encadrent avec une douce grimace amicale.

   Et par l’autre porte entr’ouverte, celle qui les protège la nuit, on voit les rayons où s’alignant les livres, où se réfugient les rires et les mots des veillées sous la lampe, sous la garde d’un drapeau tricolore et d’un pantin menaçant qui n’a qu’un bras.

   Et tout se meurt en attendant la nuit, la vie des lumières et de leurs rêves.

 

Pierre Reverdy, Le cadran quadrillé, dans Œuvres complètes, I, édition Étienne-Alain Hubert, Flammarion, 2010, p. 842.

 

04/01/2016

André du Bouchet, Entretiens avec Alain Veinstein

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[...]

Alain Veinstein

   Quelle a été la fonction des carnets par rapport à l’écriture des poèmes, et des livres. Vous insistiez sur le travail, tout à l’heure : précisément, on retrouve dans les livres des phrases des carnets soumises à un processus de travail.

 

André du Bouchet

Dans les vrais livres, dans ce qui a pris forme de poème, il y a un travail d’élaboration qui, chaque fois, m’a obligé à sortir du carnet. Il y a un point de cristallisation et de travail sur des mots sortis du carnet qui fait que ce qui est un poème a un commencement et un point final. Lequel constitue généralement une difficulté pour le lecteur Quand on interrompt, on prend congé de ce que l’on a écrit, c’est une rupture, et une rupture appelle un commencement, qui vous engage bien davantage qu’une succession de notes courant indéfiniment. La fin d’un poème vous renvoie en sens inverse au commencement. Pour commencer, comme pour finir, il faut s’engager. Je pense que dans ce qui fait un poème, il y a une difficulté absente d’un livre de notes. Le livre de notes paraît beaucoup plus facile. On prend quelque chose qui est en cours. Peut-être que le lecteur est libéré de la décision qu’il devrait prendre, comme moi-même, au fond, j’ai été libéré de la responsabilité de ce livre, assumée à l’origine par quelqu’un d’autre que moi.

 

André du Bouchet, Entretiens avec Alain Veinstein, L’Atelier contemporain / Institut National de l’Audiovisuel, 2016, p. 78.

26/09/2015

Édouard Levé (1965-2007), Œuvres

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1. Un livre décrit des œuvres dont l’auteur a eu l’idée, mais qu’il n’a pas réalisées.

 

3. La tête de Proust est dessinée sur une page d’À la recherche du temps perdu. Les mots que raye le contour de son visage forment une phrase grammaticalement correcte.

 

57. Un homme tient dans la main gauche Les Fleurs du Mal et dans la main droite un manuel de savoir-vivre du dix-neuvième siècle. Il lit à voix haute en prélevant aléatoirement des mots dans les deux livres, et s’efforce de formuler des phrases grammaticalement correctes.

 

425. Une voix fait le récit de la réalisation d’une œuvre non réalisée, comme si elle l’avait été : amonceler des pipettes dans el désert du Sahel.

 

Édouard Levé, Œuvres, P.O.L, 2015, p. 7, 7, 57 et 144.

 

 

15/09/2015

Raymond Queneau, Le Chien à la mandoline

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L’existence tout de même quel problème

 

J’en ai assez de vivre et non moins de mourir

Que puis-je faire alors ? sinon mourir ou vivre

Mais l’un n’est pas assez et l’autre c’est moisir

Aussi me peut-on voir errer plus ou moins ivre

 

C’est un fait je pourrais écrire un bien beau livre

Où je saurais bêler en me voyant périr

Mais cette activité nullement ne délivre

De faire de la mort l’objet de son désir

 

Les arbres qui marchaient n’inclinaient point leur tête

Les collines courant s’apprêtaient à la fête

De son haut le soleil semait dru ses rayons

 

La nature en ses plis absorbait ses victimes

L’absurde coq chantait ses prouesses minimes

Et je cherchais la rime en rongeant des crayons

 

Raymond Queneau, Le Chien à la mandoline, dans Œuvres complètes, I, Pléiade / Gallimard, 1989, p. 322.

 

 

 

 

13/09/2015

Jules Renard, Journal, 1887-1910

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Il lisait un livre. Il voulait être célèbre comme l’auteur et, pour cela, travailler de l’aube à la nuit ; puis, ayant pris fermement cette résolution, il se levait, allait se promener, faire un tour, souffler.

 

S ! l’inspiration existait, il faudrait ne pas l’attendre ; si elle venait, la chasser comme un chien.

 

La peur de l’ennui est la seule excuse du travail.

 

Amitié, mariage deux êtres qui ne peuvent pas coucher ensemble.

 

La mort des autres nous aide à vivre.

 

Lire toujours plus haut que ce qu’on écrit.

 

Jules Renard, Journal, 1887-1910, édition Léon Guichard et Gilbert Sigaux, Pléiade / Gallimard, 1965, p. 130, 133, 134, 136, 136, 145.

 

12/09/2015

JUles Renard, Sourires pincés

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                            Gens du métier

 

   Un homme de lettres est capable d’avouer ses ridicules pour donner sur sa propre joue un soufflet aux autres.

 

   Un ami sincère est un confrère qui critique vivement et nous répète, « sous le sceau du secret », tous les petits propos doux, mais aigres, qu’on tient sur notre compte.

 

   Un homme de lettres méprise tellement le public qu’il écrit pour le public des choses qu’il méprise lui-même.

 

   Afin de juger sainement d’un livre, essayez de vous faire les ongles en le lisant. Si vous ny parvenez pas, le livre est bon, et si vous vous êtes un peu coupé, il est excellent.

 

Jules Renard, Sourires pincés, dans Œuvres, I, édition Léon Guichard, Pléiade / Gallimard, 1970, p. 264.

03/09/2015

Pascal Quignard, Petits traités, V

                                      Pascal Quignard 2 © E. da Sabbia.JPG

   Photo E. de Sabbia

 

Le livre est un petit parallélépipède où nous serrons des mots que nous emplissons de désir. Ces mots sont agencés en sorte qu’ils évoquent des choses nées de rien et qui ne portent aucune ombre. C’est sur fond de néant une énigme autour de laquelle nous tournons immobiles.

 

   Toute lecture est une chimère, un mixte de soi et d’autre, une activité de scènes à demi souvenues et de vieux sons guettés. Il joue avec les chaînes d’or du langage.

   Il romance sa vie avec ce qu’il lit. Il emploie son corps à ce qui n’est pas. Il argument avec ce qui argumente. Il rêve dans l’abandon. Il aime et, plus simplement qu’il aime, il hait.

 

Pascal Quignard, Petits traités, V, Maeght, 1980, p. 51 et 135.

02/09/2015

Pascal Quignard,Petits traités, IV

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   Une part de silence est le propre des livres de littérature. Elle aimante obscurément dans l’attrait qu’ils exercent sur les individus qui les découvrent.

   De même que l’aoriste français vit extrêmement dans les livres mais n’est plus parlé. De même certains de nos plaisirs que nous nous avouons à peine à nous-mêmes. Que nous laissons à l’état d’idées et d’idées subreptices sinon tout à fait importunes.

 

   Les langues se soucient comme de l’an quarante de leurs vertus, de leur efficace, etc.

   Seuls les hommes qui en disposent rêvent ainsi à leur sujet.

 

Pascal Quignard, Petits traités, IV, Maeght, 1980, p. 77 et 136.

31/08/2015

Pascal Quignard, Petits traités, II

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   Un livre est assez peu de chose, et d’une réalité sans nul doute risible au regard d’un corps. Il ne se transporte au réel que sous les dimensions qui ne peuvent impressionner que les mouches, exalter quelques blattes peut-être, étonner les cirons. Parfois l’œil d’un escargot enfant.

   Il introduit dans le réel une surface dont les côtés excèdent rarement douze à vingt centimètres, et l’épaisseur d’un doigt.

 

Pascal Quignard, Petits tréités, II, Maeght, 1980, p. 83.

16/08/2015

JUles Renard, Journal

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Formules pour accuser réception des livres :

— Voilà un livre qui est bien à vous, cher ami, et je suis heureux de vous le dire.

— Merci ! J’emporte votre livre à la campagne. Je le lirai sous les arbres, au bord de l’eau, dans un décor digne de lui.

 

Il n’y a aucune différence entre la perle vraie et la perle fausse. Le difficile, c’est d’avoir l’air désolé quand on casse ou qu’on perd la perle fausse.

 

L’homme vraiment libre est celui qui sait refuser une invitation à dîner, sans donner de prétexte.

 

Lis toutes les biographies des grands morts, et tu aimeras la vie.

 

Comme on serait meilleur, sans la crainte d’être dupe !

 

Jules Renard, Journal, texte établi par Léon Guichard et Gilbert Sigaux, Pléiade / Gallimard 1961, p. 292, 294, 300, 302, 313

 

20/07/2015

Anaïs Bon, François Heusbourg, seul double

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j’habite tout l’espace de ma solitude

 en songe je conquiers             des habitations

 qui se dérobent

 les livres sont à terre, ma poussière poussée sous les meubles

je ne sais plus qui de moi ou de ma vie regarde l’autre

 par la fenêtre

 

les vêtements retrouvés sont un peu courts

dehors, le jour s’endort

le temps de rêver est le temps d’être seul

ceux que je croyais à mes côtés sont partis

les compagnons véritables se dévoilent

ils portent le masque de l’absent

 

                       « qui chuchote mon nom »

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Anaïs Bon, François Heusbourg, seul double, éditions isabelle sauvage, 2015, p. 13.