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14/03/2025

Henri Droguet, Petits arrangements avec les mots

henri droguet, petits rangements avec les mots, chimère

               Chimère

 

Quelque part vers d’instables confins

dans l’énormité taciturne

l’aridité minérale des collines chauves

et le ciel à la fin lavé

qui ne fait plus son âge

un nuage petit miroir à cendres

                        miroir à nuit

inconsistant furtif galvanisé

toujours presque le même

tout simplement s’exténue

l’air s’allège

 

un monstre inexistant mugit partout

parmi d’autres murmures

et la forêt à quelques pas grondante

n’est plus qu’un songe arraché au silence

le voyant pesé jeté

soufflé    l’enfant provisoire

qui passait ici    passait

                  là

toujours à pas d’heure

ne marche plus

                                             26 novembre 2023

 

Henri Droguet, Petits arrangements avec les mots,

Gallimard, 2025, p. 70.

24/02/2025

Dino Campana, Chants orphiques

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              La chimère

 

Je ne sais si entre des rochers ton pâle

Visage m’apparut, ou si un sourire

De lointains ignorés

Tu fus, baissé le front

D’ivoire éblouissant ou une jeune

Sœur de la Joconde :

Ou des printemps défunts

Pour tes pâleurs mythiques

La Reine ou la Reine adolescente :

Mais pour ton poème ignoré

De douleur et de volupté

Musique jeune fille exsangue,

Marqué de lignes de sang

Dans le cercle des lèvres sinueuses,

Reine de la mélodie :

Mais pour ta vierge tête

Penchée, moi poète nocturne

J’ai veillé les vives étoiles dans les prairies du ciel,

Moi pour ton doux mystère,

Moi pour ta démarche taciturne.

Je ne sais si des cheveux la pâle

Flamme fut la marque

Vivante de sa pâleur,

Je ne sais si ce fut une douce vapeur,

Douce sur ma douleur,

Sourire d’un visage nocturne :

Je regarde les rochers blancs les sources muettes des vents

Et l’immobilité des firmaments

Et les ruisseaux gonflés qui vont pleurant

Et les ombres du travail humain penchées sur les margelles souffrantes

Et toujours dans de tendres cieux des lointaines claires ombres courantes

Et toujours je t'appelle je t’appelle Chimère.

 

Dino Campana, Chants orphiques, édition bilingue, introduction de Maria Luisa Spaziani, postface et traduction de l’italien de Michel Sager, Seghers, 1977, p. 46-47.

 

 

03/09/2015

Pascal Quignard, Petits traités, V

                                      Pascal Quignard 2 © E. da Sabbia.JPG

   Photo E. de Sabbia

 

Le livre est un petit parallélépipède où nous serrons des mots que nous emplissons de désir. Ces mots sont agencés en sorte qu’ils évoquent des choses nées de rien et qui ne portent aucune ombre. C’est sur fond de néant une énigme autour de laquelle nous tournons immobiles.

 

   Toute lecture est une chimère, un mixte de soi et d’autre, une activité de scènes à demi souvenues et de vieux sons guettés. Il joue avec les chaînes d’or du langage.

   Il romance sa vie avec ce qu’il lit. Il emploie son corps à ce qui n’est pas. Il argument avec ce qui argumente. Il rêve dans l’abandon. Il aime et, plus simplement qu’il aime, il hait.

 

Pascal Quignard, Petits traités, V, Maeght, 1980, p. 51 et 135.