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04/09/2017

Jacques Bens (1931-2001), Sonnets irrationnels

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                  Capricieux

 

                   Sur quinze lignes célèbres de Musset

 

Nous sommes seuls, je suis jeune, vous êtes belle,

Si, contre un peu d’ennui, notre esprit se rebelle,

Malgré mille chagrins entre nous élevés,

 

Madame, accordez-nous la douceur d’un caprice.

 

Laissez-nous emporter, fascinés, captivés,

Par une heure d’oubli, parfum de mirabelle,

Pétales effeuillés, jasmins en ribambelle,

Jardins de ces plaisirs que nous avons rêvés.

 

Madame, accordez-vous la douceur d’un caprice.

 

Le plaisir ? Ce n’est pas le plaisir sacrifice,

Aveugle et sans amour, que je vous offre ici.

C’est l’amour sans regret, sans peine, sans entrave,

Qui fait briller les yeux d’une lumière grave,

Et dont on garde au cœur le sourire adouci.

 

Jacques Bens, Sonnets irrationnels, Gallimard, 1965, p. 18.

 

01/07/2016

Jacques Bens, Sonnets irrationnels

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                    Nostalgique

 

Je ne hanterai plus les graves officines

Où mes amis, tout doucement, prennent racines,

Racines que j’envie sous mes airs fanfarons,

 

Car, au-delà de tout, j’aime l’odeur des livres.

 

Si j’ai troqué la plume pour les mancherons

C’est façon de parler, poétique et vaccine),

Si j’ai, dis-je, choisi les champs et les fascines,

Je n’ai pas renié mon sang d’écriveron :

 

Toujours, par dessus tout, j’aime l’odeur des livres.

 

Ah, connaître à nouveau ce monde qui m’enivre !

Retrouver, chaque jour, mes cousins correcteurs !

Renifler le parfum froid des clichés de cuivre !

Revivre, enfin, la vie qui déjà m’a fait vivre,

Et, parbleu ! débarquer comme un triomphateur !

 

Jacques Bens, Sonnets irrationnels, Gallimard, 1965, p. 31.

11/09/2012

Jacques Bens, 41 sonnets irrationnels

Jacques Bens, 41 sonnets irrationnels, poésie

 

—Parlons clair : tu adoptes quoi comme système ?

Si tu préfères : tu mets quoi dans un poème ?

Ta philosophie ?Mmm ? Ton modus vivendi ?

 

— Des bruits, des sons, des mots, des pieds, des vers, des phrases.

 

— Oui, je sais. Mais ce n'est pas ça que je te dis.

Je parle des idées, comment dire ? Du thème,

Du... Ou plutôt, voici : dis-moi ce que tu aimes

Dans les vers honorés, méconnus ou maudits ?

 

— Les bruits, les sons, les mots. Parfois, une ou deux phrases.

 

Un sourire pincé, un cri, mais pas l'emphase,

Une fleur oubliée, un rire démentiel,

Une chanson, par-ci par)là, qui vient, qui jase,

Quatre regrets, mon cœur, et peut-être Pégase,

Ma jeunesse partie,

                              Mer,

                                      Terre,

                                                Soleil,

                                                         Ciel.

 

Jacques Bens, 41 sonnets irrationnels, Gallimard, 1965, p. 57.

                                        

 

19/04/2012

Jacques Bens, 41 Sonnets irrationnels

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                    Amoureux

 

Tu dis oui, tu dis non, tu dis n'importe quoi,

Et tu me ris au nez, et moi je reste coi

Comme un enfant de chœur qui, pris de court, bafouille,

 

Tant l'eau de tes regards trouble et glace mon sang.

 

Au pied des mots brûlants, ma pauvre voix se rouille,

Rengainant ses plus tendres traits en son carquois

De peur de faire naître un sourire narquois

Sur tes lèvres dorées que mon baiser ne mouille.

 

Mais l'eau de tes regards trouble et glace mon sang.

 

Je blâme le crétin morose et languissant

Que je suis devenu sans bien m'en rendre compte,

Le front glacé, langue blanche et l'œil absent.

Comment pourrais-tu voir, en moi, plus qu'un passant ?

C'est ce qu'en gémissant, le soir, je me raconte.

 

Jacques Bens, 41 sonnets irrationnels, Gallimard, 1965, p. 21.