29/04/2023
Marina Tsvétaïéva, Le ciel brûle
Tu m’aimas dans la fausseté
Du vrai — dans le droit du mensonge,
Tu m’aimas — plus loin — c’eût été
Nulle part ! Au-delà ! Hors songe !
Tu m’aimas longtemps et bien plus
Que le temps — la main haut-jetée ! —
Désormais :
-
-
-
-
-
- Tu ne m’aimes plus —
-
-
-
-
C’est en cinq mots la vérité.
(12 décembre1921)
Marina Tsvétaïéva, Le ciel brûle, traduction
P. Léon et E. Malleret, Poésie/Gallimard,
1999, p. 119.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : marina tsvétaïéva, amour, mensonge, vérité | Facebook |
22/07/2021
Samuel Beckett, L'innommable
(...) ce sont les derniers mots, les vrais derniers, ou ce sont les murmures, ça va être les murmures, je connais ça, même pas, on parle de murmures, de cris lointains, tant qu’on peut parler, on en parle avant, on en parle après, ce sont des mensonges, ce sera le silence, mais qui ne dure pas, où l’on écoute, où l’on attend, qu’il se rompe, que la voix le rompe, c’est peut-être le seul, je ne sais pas, il ne vaut rien, c’est tout ce que je sais, ce n’est pas moi, c’est tout ce que je sais, ce n’est pas le :mien, c’est le seul que j’aie eu, ce n’est pas vrai, j’ai dû avoir l’autre, celui qui dure, mais il n’a pas duré, je ne comprends pas, c’est-à-dire que si, il dure toujours, j’y suis toujours je m’y suis laissé, je m’y attends, non, on n’y attend pas, on n’y écoute pas, je ne sais pas, c’est un rêve (...)
Samuel Beckett, L’innommable, éditions de Minuit, 1953, p. 260-261.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES, Beckett Samuel | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : samuel beckett, l’innommable, mot, murmure, mensonge | Facebook |
09/01/2020
Georg Christoph Lichtenberg, Aphorismes
De nos jours trois saillies et un mensonge font un écrivain.
Les filles de paysans vont pieds nus et les filles élégantes seins nus.
Penser pour agir et bavarder.
Le courage, le bavardage et la foule sont de notre côté. Que voulons-nous de plus ?
Il existe des gens qui croient que tout ce quui se dit avec un visage sérieux est raisonnable.
Georg Christoph Lichtenberg, Aphorismes, Denoël, 1985, p. 125,128, 131, 136,138.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : georg christoph lichtenberg, aphorismes, penser, mensonge, sein | Facebook |
22/11/2016
Jean-Luc Parant, Le miroir aveugle
De la nuit et du vide
On m’a menti, il n’y a rien sous mes doigts, je ne sens rien de mon visage dans le miroir, comme je ne sens rien sous mes doigts quand j’ouvre un livre et que je touche ce qui est écrit.
On m’a menti, moi qui suis d’abord un corps, avec ma tête que je touche sans cesse parce que je ne la vois pas, ma peau à travers de laquelle je respire, mes poils qui me protègent, mes cheveux, mon sexe qui me reproduit, mes mains et mes bras qui me dirigent dans la nuit, mes jambes et mes pieds qui me déplacent sur la terre dans le jour. Moi qui suis ce que je suis, avec une matière et une odeur avec lesquelles je suis né, avec lesquelles je disparaitrai.
On m’a menti, on m’a dit que c’était moi dans la glace, que j’étais cette image intouchable, ce reflet insaisissable que l’on ne peut pas atteindre, moi qui suis si proche de moi, qui me touche qui me sens, moi qui suis si fragile, qui ai mal au moindre choc, qui saigne à la moindre blessure, qui m’abîme tous les jours, qui vieillis et qui un jour serai mort et qui ne serai plus que quelques os, un petit tas de poussière sur la terre.
Jean-Luc Parant, Le miroir aveugle, Argol, 2016, p. 147-148.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : jean-luc prant, la miroir aveugle, visage, mensonge, toucher, corps, livre | Facebook |
22/02/2016
Lyonel Trouillot, Tu diras
Carnaval
La nuit est moins factice dans une ville sans réverbères
Et nul ne saura le visage de la blessure qui danse sous le masque.
Qui dit masque dit-il mascarade ?
Qui dit chagrin dit-il silence ?
Le masque est un tombeau qui rit
et n’épouvante que son porteur.
Les enfants savent que quand le cœur devient
une bombe à retardement
la bombe n’éclate jamais.
Une bombe, ça se mange chaud
dans une rue où ce qui était vivant doit mourir.
Ô mon amour,
qui d’amour n’a jamais eu que le nom
et l’odeur rance du sexe,
sommes-nous de cette foule qu’on voit se ruer dans le mensonge ?
Heureusement,
pour le cœur le plus vil,
la main la plus tremblante,
entre le dimanche et le mardi, il y a le lundi gras.
Le plus triste de la fête demeure l’entre-deux :
lorsque la bête humaine enlève son masque pour souffler
et ne trouve à la place du visage
qu’un chiffon qui fait bonne figure.
Mon amour,
plus je danse plus j’ai faim.
Sommes-nous de cette servitude inaudible
dans le vacarme,
et l’homme qui tombe
piétiné par la foule
perd les deux biens propres avec lesquels
il faut tomber :
sa route et son crachat.
Mon amour,
que serons-nous demain ?
Que fûmes-nous hier
sans route ni crachat ?
Pas même danseurs de corde,
pas même bêtes de cirque.
Pas même l’élégance d’un masque funéraire
qui rendrait à la mort l’antique dignité.
Mon amour,
nous sommes l’enfant
et la foule dessinée par la main de l’enfant,
dans laquelle avancent séparées l’une de l’autre
nos destinées baignant dans leurs caricatures.
Lyonel Trouillot, Tu diras, dans La revue de belles-lettres,
‘’Poètes de la Caraïbe’’, 2015, I, Genève, p. 91-92.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : lionel trouillot, tu diras, carnaval, masque, mensonge, foule, dignité | Facebook |
07/12/2015
Michel Deguy, Biefs
J’ai connu un vieux couple qui se déchirait de procès à dessein — peu conscient — de remettre en question son propre passé : féroce anamnèse, jusqu’au premier regard de fiancés, déjà truqué.
O salves du cœur, fantasia des yeux, l’état sauvage, l’impatience de toute conséquence ( j’ai connu un fervent cavalier peut-être à cause d’une image des Huns tôt imposée). Gestes perdus, balles perdues, enfant perdu, si perdu que pas une théorie du lapsus n’y retrouvera ce qui fut sien.
Et qu’elle y retrouve une trace, elle entendra l’éclat de rire du gitan ! Liberté brisée brisante, vague incalculable sur le corail errant, torrent jeune.
Michel Deguy, Biefs, Gallimard, 1964, p. 75.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES, Deguy Michel | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : michel deguy, biefs, couple, mensonge, cavalier, gitan, lapsus, liberté, anamnèse | Facebook |
15/04/2014
Georges Lambrichs (1917-1992), Les rapports absolus
Le mensonge à refaire
Mon malaise est affichage. Comme si je ne protégeais pas mon intériorité en lui ménageant les artifices, les marches de mes actes, parfois le secret, de toute manière le mystère de ce que je suis amené à faire. Comme si mes liaisons avaient été des empêchements, des calculs, des choix, des impostures. L'amour n'est pas qu'échange, il est sacrificiel. Et puisqu'il vaut mieux que je déclare ce qui à mes yeux prendrait trop d'importance à être tu, je ne me sens actuellement aucune aptitude aux adhésions par accolement. Mon univers personnel est une opacité qui ne se partage pas, et surtout pas avec les sources de lumière et de raison qui s'écoulent chez nos femmes à l'endroit de quelque régime glandulaire. Le circuit de toute vie maritale est un luxe d'une insoutenable négligence.
Que peut bien me faire, dés lors, celle qui, sans éclat, me regarde ? ou m'accompagne, comme on dit, dans mes pensées, dans mon avidité, dans mon pathétique ? Celle qui me demande à boire, à l'aimer, à rencontrer mes amis, à vivre nue, à partir pour la mer, à faire un feu, à l'étreindre, qui calcule mon argent, qui m'en apporte ? Celle qui me demande ce que je fais pour le savoir ? Et ce que je pense pour rien. Il faut croire, n'est-ce pas, qu'elle est vraiment ce qu'elle dit. Elle parle du sens de sa vie. Alors que le sens de la mienne, évidemment, est celui d'être coupé de ce qui me décide à inventer d'autres rapports avec le monde.
Comme si je ne connaissais plus que la passion de trahir ce que j'ai sous la main qui me plaît, qui somnole fraîchement.
C'est le moment de quelque grande tricherie attendue par ceux qui ne coïncident pas avec la vérité de l'histoire parce qu'ils ont trouvé le moyen de séduire.
Il ne s'était agi pour eux, à première vue, que de se cacher.
Georges Lambrichs, Les rapports absolus, collection Métamorphoses, Gallimard, 1949, p. 61-63.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : georges lambrichs, les rapports absolus, mensonge, couple, vie ordinaire, tricherie, échange | Facebook |
06/01/2014
Henri Thomas, Poésies, préface de Jacques Brenner
Chauve-souris
La fadeur qui s’en va de la femme endormie
me poursuit vaguement, inquiétant ma vie.
Ce début de poème exprime une tristesse
si confuse qu’un rien la changerait en liesse.
Pourquoi liesse, pourquoi tristesse, pourquoi
ne pas rester tranquille et fort et sûr de soi ?
Un rameau monte de la plaine du sommeil,
c’est le jour, ébloui de renaître pareil.
M’envoler dans ce monde à l’énorme ramure,
aigle ou petit oiseau, quelle belle aventure !
Hélas, chauve-souris de cette voûte obscure,
je dors, alors que s’ensoleille la nature.
L’homme divers, comme un miroir qui bougerait
me fait peur, et la femme aux humides attraits
m’emmène au loin au pays des faibles cris,
des mensonges, et des fatigues de midi.
Le jour s’éteint, salut, crépuscule banal,
il est temps de glisser vers le monde infernal.
Henri Thomas, Poésies, préface de Jacques Brenner, Poésie / Gallimard, 1970, p. 161.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : henri thomas, poésies, préface de jacques brenner, chauve-souris, femme, mensonge, tristesse | Facebook |