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24/04/2022

Edmond Jabès, Le Soupçon Le Désert

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Le mensonge des origines

 

                             L’origine ne serait, peut-être, que la brûlure de      son effacement     

 

  J’ai vécu à des époques différentes de notre histoire, depuis des siècles. J’ai oublié les lieux où j’ai séjourné, comme ceux que j’ai seulement traversés.

  Je n’ai retenu, de mon passé, que quelques phrases prises dans des livres introuvables, que quelques rares paroles, prononcées, peut-être, par moi-même où gardées secrètes.

  À mesure que ma mémoire me les restitue, ma plume s’en empare.

 

  « Qui suis-je ? — Autant demander au miroir de répondre de l’univers qui s’y mire », avait écrit reb Abet.

 

  Nous étions assis l’un près de l’autre. Il faisait déjà presque noir dans la chambre. Elle s’est levée, m’a dévisagé un moment comme si elle ne me reconnaissait plus, puis elle est partie sans prononcer un mot.

 

Mes lèvres conservent le goût de ses lèvres. Je ne puis ignorer qu’elle a existé, que j’existais.

 

Edmond Jabès, Le Soupçon Le Désert, Gallimard, 1978, p. 28.

11/08/2017

Emond Jabès, Le Soupçon Le Désert

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   Le livre de la prime enfance serait-il l’avant-livre dont nous mourrons ? Serait-il le livre de la mort que nous feuilletons tout au long de nos livres sans savoir jamais avec certitude s’il nous accompagne et s’il est « le livre qui est dans le livre » ?

   Ainsi, être nommé serait accepter, de la mort, un destin de vivant : serait pour qui reçoit un nom, s’élever des ténèbres vers le jour ; un jour, lui aussi, dans le jour, plus ancien que celui de notre naissance et dont nous saurons, par le biais fébrile d’une signature, marquer l’avènement. Rien ne se fait, cependant, qui n’ait été préparé dès longtemps avec minutie et comme en dehors de nous, ce qui laisserait supposer que ce « dehors » serait, peut-être, le tréfonds, car le corps écrit, comme le livre, est sans limites et, de surcroît, nous amènerait à penser que c’est bien l’écriture qui fait éclater les limites, qu’il n’y aurait point d’illimité vécu hors de l’écriture laquelle, ayant pouvoir incontesté de délimiter, simultanément assigne à ce qu’elle limite de nouvelles bornes, elles-mêmes, aussitôt, dépassées.

 

Edmond Jabès, Le Soupçon Le Désert, Gallimard, 1978, p. 93.

11/05/2017

Edmond Jabès, Le Soupçon Le Désert

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   Pratiquer l’écriture c’est pratiquer, sur sa vie, une ouverture par laquelle la vie se fera texte. Le vocable est l’étape vers l’inconnu où l’esprit paiera le prix de sa témérité ; cet inconnu sans lequel la pensée ne serait qu’une pensée morte et jamais une pensée à mourir, au plus vif, au plus écartelé de sa mort.

 

Edmond Jabès, Le Soupçon Le Désert, Gallimard, 1978, p. 81.