20/07/2024
Constantin Cavafy, Poèmes
Mélancolie de Jason, fils de Cléandre : Poète en Commagène ; 505 ap. J.C.
Vieillissement de mon corps et de ma figure —
c’est une blessure d’un effroyable couteau.
Je n’ai plus d’endurance.
A toi je recours, Art de la Poésie,
qui, tant soit peu, te connais en remèdes :
tentatives d’assoupissement de la douleur,
par l’Imagination et par le Verbe.
Blessure d’un effroyable couteau —
Art de la Poésie, apporte tes remèdes,
pour endormir — pour quelque temps — la douleur.
Constantin Cavafy, Poèmes, traduction Georges Papoutsakis, Les Belles Lettres, 1958, p. 153.
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17/07/2024
Constantin Cavafy, Jours anciens
Très loin
Je voudrais évoquer ce souvenir…
Mais il est effacé… presque rien n’en demeure,
il gît très loin, dans mes années adolescentes.
Une peau faite de jasmin…
Août — (était-ce en août ?) cette nuit…
Je me souviens à peine des yeux ; ils étaient bleus, je crois…
Ah ! oui, bleus : d’un bleu de saphir.
Constantin Cavafy, Jours anciens, traduction Bruno Roy, Fata Morgana, 1978, np.
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11/06/2022
Constantin Cavafy, Il est venu pour lire : deux versions
Il est venu pour lire
Il est venu pour lire. Deux ou trois volumes sont entrouverts, des historiens, des poètes. Mais à peine a-t-il lu pendant une dizaine de minutes, puis il y a renoncé. Il somnole sur le canapé. Il se consacre entièrement aux lettres, mais il a vingt-trois ans et il est très beau. Et, cet après-midi, l’amour a passé sur son corps parfait, sur ses lèvres. La passion a pris possession de cette chair tout imprégnée de beauté, sans inepte pudeur quant au genre de jouissance.
Marguerite Yourcenar, Présentation critique de Constantin Cavafy, suivie d’une traduction intégrale de ses poèmes par M. Y. et Constantin Dimaras, Gallimard, 1958, p. 203.
Il est venu pour lire
Il est venu pour lire. Deux, trois volumes
sont ouverts : historiens et poètes.
Mais à peine eut-il lu, dix minutes,
qu’il les abandonna. Sur le canapé il somnole.
Il appartient entièrement au monde des livres —
mais il a vingt-trois ans et il est très beau ;
et cet après-midi l’amour a passé
dans sa chair superbe, sur ses lèvres.
Dans sa chair, toute de beauté,
la chaleur amoureuse a passé ; sans qu’une pudeur
ridicule le retienne sur la nature du plaisir...
Constantin Cavafy, Poèmes, traduction Georges Papoutsakis,
Les Belles-Lettres, 1977, p. 169.
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10/06/2022
Constantin Cavafy, janvier 1904 : deux versions
Janvier 1904
Ah ! ces nuits de janvier
où je m’attarde à recréer par la pensée
les lointains instants : je te retrouve,
j’entends tes derniers mots, j’entends les premiers.
Nuits désespérées de janvier,
lorsque la vision fuit, me laissant seul.
Qu’elle s’évanouit vite !
plus d’arbres, de rues, de maisons de lumières ;
ton corps fait pour l’amour s(éteint, il se dissipe.
Constantin Cavafy, Jours anciens, traduction Bruno
Roy, Fata Morgana, 1978, np.
Janvier 1904
Ah ! ces nuits de janvier !
Quand je revis par la pensée
Les instants où je t’ai rencontré,
Que j’entends nos dernières paroles, et aussi les premières.
Ces nuits désespérées de janvier,
Quand la vision se dissipe et m’abandonne...
Comme elle a hâte de disparaître !
Les arbres, les rues, les maisons, les lumières, tout s’en va,
De même que ton visage aimé qui s’estompe et se perd.
Constantin Cavafy, Œuvres poétiques, traduction Socrate C. Zervos et
Patricia Portier, Imprimerie Nationale, 1991, np.
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22/04/2019
Constantin Cavafy, Jours de 1908
Jours de 1908
Il s'est retrouvé cette année-là sans travail ;
il vivait donc des cartes,
du trictrac et des prêts.
Une place, à trois livres par mois, dans une petite
papeterie lui avait été proposée.
Mais il la refusa sans hésiter.
Ça n'allait pas. Ce n'était pas un salaire pour lui,
jeune homme assez instruit, âgé de vingt-cinq ans.
À peine s'il gagnait par jour deux shillings, ou trois.
Que tirer de plus, pauvre garçon, des cartes et du trictrac
dans les cafés populaires de son rang,
même s'il jouait habilement, même s'il choisissait pour partenaires
des sots.
Quant aux prêts, n'en parlons pas.
Il obtenait rarement un thaler, c'était un demi-thaler le plus souvent,
il devait même parfois se contenter du shilling.
Pour une semaine quelquefois, ou davantage,
délivré des effrayantes veillées,
il allait se rafraîchir aux bains, nager le matin.
Ses vêtements étaient dans un état minable.
Il portait un costume, toujours le même, un costume
couleur cannelle, très fané.
Ah, jours de l'été mille neuf cent huit,
votre vision idéale, esthétisée,
fait abstraction du costume couleur cannelle, très fané.
Votre vision l'a gardé
tel qu'au moment de s'en défaire, d'enlever
les vêtements indignes, les sous-vêtements reprisés.
Tout nu ; parfaitement beau ; une merveille.
Les cheveux négligés, un peu ébouriffés ;
les membres légèrement hâlés
d'avoir été nus sur la plage, aux bains.
Constantin Cavafy, traduit du grec par Maria Tsoutsoura, dans
Europe, "Constantin Cavafy", n° 1010-1011, juin-juillet, 2013, p. 66-67.
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14/01/2015
Constantin Cavafy, Poèmes
Désirs
Semblables à des corps superbes de morts qui n’ont point vieilli,
ensevelis, au milieu des pleurs, dans un splendide mausolée,
des roses à la tête et des jasmins aux pieds —
semblables à ces corps sont les désirs qui passèrent
sans être accomplis, et dont aucun ne parvint
à une nuit de volupté ou à son lumineux matin.
Les fenêtres
Dans ces chambres obscures, où je passe
des jours qui m’oppressent, je rôde de long en large
cherchant à trouver les fenêtres. — Lorsqu’il s’en ouvrira
une, ce me sera une consolation. —
Mais il n’y a point de fenêtres, ou c’est moi
qui ne puis les trouver. Peut-être en est-il mieux ainsi.
Peut-être la lumière ne serait que nouvelle tyrannie.
Qui sait quelles choses nouvelles elle ferait surgir…
Constantin Cavafy, Poèmes, traduits par Georges Papoutsakis,
Les Belles Lettres, 1977 (1ère édition, 1958), p. 25 et 37.
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29/09/2013
Constantin Cavafy, Jours de 1908
Jours de 1908
Il s'est retrouvé cette année-là sans travail ;
il vivait donc des cartes,
du trictrac et des prêts.
Une place, à trois livres par mois, dans une petite
papeterie lui avait été proposée.
Mais il la refusa sans hésiter.
Ça n'allait pas. Ce n'était pas un salaire pour lui,
jeune homme assez instruit, âgé de vingt-cinq ans.
À peine s'il gagnait par jour deux shillings, ou trois.
Que tirer de plus, pauvre garçon, des cartes et du trictrac
dans les cafés populaires de son rang,
même s'il jouait habilement, même s'il choisissait pour partenaires
des sots.
Quant aux prêts, n'en parlons pas.
Il obtenait rarement un thaler, c'était un demi-thaler le plus souvent,
il devait même parfois se contenter du shilling.
Pour une semaine quelquefois, ou davantage,
délivré des effrayantes veillées,
il allait se rafraîchir aux bains, nager le matin.
Ses vêtements étaient dans un état minable.
Il portait un costume, toujours e même, un costume
couleur cannelle, très fané.
Ah, jours de l'été mille neuf cent huit,
votre vision idéale, esthétisée,
fait abstraction du costume couleur cannelle, très fané.
Votre vision l'a gardé
tel qu'au moment de s'en défaire, d'enlever
les vêtements indignes, les sous-vêtements reprisés.
Tout nu ; parfaitement beau ; une merveille.
Les cheveux négligés, un peu ébouriffés ;
les membres légèrement hâlés
d'aoir été nus sur la plage, aux bains.
Constantin Cavafy, traduit du grec par Maria Tsoutsoura, dans
Europe, "Constantin Cavafy", n° 1010-1011, juin-juillet
2013, p. 66-67.
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23/06/2011
Constantin Cavafy, 6 traductions de : Mer matinale
Par orde chronologique :
MER MATINALE
Que je m’arrête ici ! Et qu’à mon tour je contemple un peu la nature ! Belles couleurs bleues de la mer matinale et du ciel sans nuage… Sables jaunes… Tout cela est éclairé avec grandeur et magnificence. Oui, m’arrêter ici, et me figurer que je vois ce paysage (en vérité, je l’ai aperçu l’espace d’un instant, au premier abord), et non pas comme partout mes illusions, mes souvenirs, mes voluptueux phantasmes…
Marguerite Yourcenar, Présentation critique de Constantin Cavafy, 1863-1933, suivie d’une traduction intégrale de ses poèmes par Marguerite Yourcenar et Constantin Dimaras, Gallimard, 1959, p. 123.
MER MATINALE
Ici, que je m’arrête ; et que je voie un peu, moi aussi, la nature.
D’une mer matinale et d’un ciel sans nuages
les bleus splendides et le rivage jaune ; le tout
d’une belle et abondante lumière éclairé.
Ici que je m’arrête. Je veux bien croire que je vois cela
(n’est-il pas vrai que je l’ai vu, sitôt arrêté ?),
cela, et non, encore ici, mes hallucinations,
mes souvenirs, les spectres de la volupté.
C. C., Poèmes, traduits par Georges Papoutsakis, préface de André Mirambel, Les Belles–Lettres, 1977, p. 85.
MER MATINALE
Qu’ici je m’arrête. Et qu’à mon tour je regarde un peu la nature.
D’une mer matinale et d’un ciel sans nuages
les bleus resplendissants ; le jaune rivage.
Tout cela beau et baigné de lumière.
Qu’ici je m’arrête, pour me donner à croire
que je les vois, ces choses ‑ ne les ai-je pas vues en arrivant ? –
elles, non plus mes chimères,
mes souvenirs, les fantômes du plaisir.
C. C., Poèmes anciens ou retrouvés, traduits du grec et présentés par Gilles Ortlieb
et Pierre Leyris, Seghers, 1978, p. 47.
MER MATINALE
M’arrêter ici. Regarder, moi aussi, un instant la nature :
Le rivage jaune, les bleus lumineux
De la mer matinale et du ciel dans nuages
Dans leur grande et belle clarté.
M’arrêter ici. Me donner l’illusion de voir cela
— Ne l’ai-je pas vraiment vu dans l'instant de mon premier regard ? —
Et non pas, là encore, mes chimères,
Mes souvenirs, les images du plaisir.
C. C., Œuvres poétiques, Traduction Socate C. Zervos et Patricia Portier, Imprimerie nationale, 1991, n p.
MER MATINALE
Ah, m’arrêter ici. À mon tour contempler un peu la nature.
D’une mer matinale et d’un ciel sans nuage
les bleus étincelants, et le sable jaune, le tout
sous une belle et vaste lumière.
Oui, m’arrêter ici. Et me figurer que je vois cela
(je l’ai vu, en vérité, à l’instant où je me suis arrêté) ;
et non ici encore mes fantasmes,
mes souvenirs, ces spectres de la volupté.
C.C., En attendant les barbares et autres poèmes, traduits et préfacés par Dominique
Grandmont, Poésie/Gallimard, 1999 (2003 pour les notes revues et complétées), p. 92.
MER MATINALE
Que je m’arrête ici pour voir, moi aussi, un peu de nature.
Bleus splendides d’une mer matinale et d’un ciel sans nuages ;
et jaunes rivages ;
tout baigne dans une belle et grande clarté.
Que je m’arrête ici. Que je me leurre de voir ces choses
(je les ai vues, sans doute, un instant quand je m’arrêtai)
et non pas, ici aussi, mes visions
mes souvenirs, les images de la volupté.
C. C., Poèmes, traduits du grec par Ange S. Vlachos, Genève, Héros-Limite,
2010, p. 66.
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