19/02/2018
Sergueï Essenine, Journal d'un poète
Caravelles haridelles
4.
Bêtes, venez à moi ! venez bêtes farouches
épancher toute haine dans la coupe de mes mains !
Il est grand temps que la lune là-haut
cesse enfin de laper les nuages.
Sœurs chiennes, frères chiens,
traqué comme vous parmi les hommes
qu’ai-je à faire de caravelles haridelels
ou des voilures de corbeaux.
Si la faim suintant de murs en ruine
vient à s’agripper à ma chevelure,
je mangerai la moitié de ma jambe
et vous offrirai l’autre en pâture.
Je n’irai nulle part avec les gens,
mieux vaut crever ensemble, avec vous
que de ma terre aimée ramasser une pierre
pour la lancer sur mon fou de prochain.
Sergueï Essenine, Journal d’un poète, traduction du
russe Christiane Pighetti, éditions de la Différence,
2014, p. 187.
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26/09/2017
Camille Olivier, éparpillements
Cahier 2
chacun va d’une maison à l’autre
de ses parents à soi-même parents
le fil électrique bouge
il y a du vent
se soulèvent les hirondelles
une maison est retranchement
endroit de repos sans oscillation
plus de relations coupées
(enfin on a remis mon carillon à onze heures
du matin vous vous rendez compte quelle honte)
et quand je sors retrouvant le mouvement
entre deux points
les animaux viennent à ma rencontre
pas seulement les veaux bruns aux yeux ronds
mais le faon, mais le pinson
viennent à ma rencontre
pour que je revienne sauvage aussitôt
on m’a mise dans la maison des rêves
mais ce n’était pas le bon moment
et je souffrais comme une bête
une bête folle se cogne contre la vitre
va vers la lumière
on pourrait tout imaginer et
on ne pourrait rien faire
pas même laver un carreau
pas même nettoyer une porte
tu délimitais les parterres faisant le tour
et le centre était envahi d’herbes hautes
Camille Loivier, éparpillements, isabelle sauvage,
2017, p. 61-62.
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04/06/2017
Jacques Lèbre, L'immensité du ciel
Bêtes
Du milieu d’un pré elles s’approchent de la clôture
lorsque nous nous arrêtons pour leur adresser la parole,
dans l'illusion de je ne sais quelle entente,
alors que nos voix ne font jamais, pour elles,
que le petit bruit d'un ruisseau dans l'air
(dans l'eau des voyelles : les galets des consonnes).
Les bêtes aiment ceux qui leur parlent.
Elles écoutent une musique qui n'a pas de sens,
une musique qui crépite comme un feu de paille
(sans doute ce que durent nos vies dans l'éternité).
Du bord d'une clôture, en pleine campagne,
lassées, elles retournent, lentes, au milieu du pré.
Jacques Lèbre, L'Immensité du ciel, La Nouvelle Escampette, 2016, p. 26.
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02/02/2015
Christian Prigent, Grand-mère Quéquette
éloge du cochon
Après les enfants, on distingue les bêtes, peintes en mur du fond au gras de fumée comme sur les parois d’Altamira. Elles assurent bien, les bêtes de profil perdu en guirlandes queue leu leu tête bêche, le corps du décor. Prière à leurs pieds, pensée en ferveur : beau-doux animaux, que dire de vous ? Les mots, bien forcé, ont peu de recours face à vos atours privés de paroles. Bêtes, quand vous me faites peur d’être sans savoir même que vous êtes, ou quand, par dégoût d’être qui je suis comme imprécision parmi créatures ou œil d’inquiétude à fleur du bouillon placide des textures, j’aspire à penser pas plus que vous-mêmes angéliquement en poils de slip isothermique, bêtes, quand je vous aime de rien dire de mal puisque dites rien et d’aller vers rien puisque toujours là à l’endroit prévu dès même le début d’avant les débuts, bêtes, quand je jalouse vos inclinations de végétation en toute insolence dans l’indifférence, bêtes, quand par prudence, ou dol, ou pétoche, j’ai de la tendance à du réticent en intelligence, bêtes, quand je m’active à aimer sommeil d’abrutissement en cul de bouteille, consommation d’hontes, festin de caca au moins en virtuel, croupi en pipi de pure idiotie, stage en bouillasson jusqu’à la tignasse, appétit de soupe faite de crottes de biques, boufftance de bouillie de refrains dingos et glapis tordus en parler gaga — bêtes vous me montez sans cesse à la tête et j’aime le trou que cette pensée douce d’ébriété fait dans la fatigue qui rend mon cerveau à force de fuites en complexités démantibulées par des anxiétés plus mou que cervelles. Bêtes, merci de tuer au moins quand je dors tout parler en accent humain. Bêtes, merci d’abattre à ras des gadoues l’instinct de ciel vide qui énerve ma tête.
Christian Prigent, Grand-mère Quéquette, P. O. L, 2003, p. 139-140.
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