25/10/2020
John Donne, Poésie
L’automnale (élégie IX)
Beautés de printemps et d’été n’ont plus de grâce
Que ne m’en a montrée un visage d’automne.
Les jeunes beautés imposent l’amour : c’est viol ;
Celle-ci le conseille : on ne peut que céder.
Fût-il honteux d’aimer, ici n’est nulle honte,
Car notre affection prend le nom de respect.
En sa jeunesse elle eut son âge d’or ? C’est vrai,
Mais, éprouvé souvent, cet or est toujours neuf.
Elle a connu le temps des torrides ardeurs,
Et voici le climat plus doux de son tropique.
John Donne, Poésie, traduction Robert Ellrodt,
Imprimerie nationale, 1993, p. 215.
L’automnale (élégie IX)
Les couleurs du printemps et de l’été sont pâles
Près de certain visage aux grâces automnales.
Une jeune beauté vous contraint de l’aimer ;
C’est viol. Celle-ci plaît, et vous sait garder.
L’Amour fût-il honteux, il garde ici la face
En prenant du Respect et le nom et la place.
Sa jeunesse, il est vrai, était son Âge d’Or :
Mais, souvent éprouvé, son or est neuf encor.
Jadis fut ssa saison torride et implacable ;
Son climat tropical est ores tolérable.
John Donne, Poèmes, traduction de ce poème Jean
Fuzier, Poésie / Gallimard, 1991, p.49.
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01/11/2016
Paul de Roux, Au jour le jour
Photographie Jacques Sassier
1/11 (Toussaint)
On sait qu’il est difficile de commencer. De tracer les premières lettres, qui vont en entrainer d’autres. Et c’est dans ces lettres que se trouve un pouvoir, pouvoir souvent dénié — ne serait-ce que par superstition, lorsque l’on écrit soi-même, des personnes disparues depuis longtemps vivent encore pour nous grâce à ces petits signes noirs sur le papier. Tous ceux que l’on a aimés, que l’on souffre d’avoir mal aimés, on voudrait trouver pour eux des phrases qui soient autant de tuniques d’affection, qui les réchauffent (s’il se peut) et nous réchauffent de leur souvenir.
Paul de Roux, Au jour le jour 5, Carnets 2000-2005, édition établie et présentée par Gilles Ortlieb, Le bruit du temps, 2014, p. 133.
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05/12/2015
Pierre Silvain, Assise devant la mer
Maintenant qu’il se soulève au-dessus du lit, il voit sa mère debout devant la table de toilette, en combinaison légère, ses épaules dénudées, et dans le miroir incliné son visage de profil tandis que par petites touches, d’une houppette en cygne, elle se poudre les joues, le front. Quand son regard rencontre soudain le sien qu’un reflet lumineux parmi les piqûres couleur de rouille lui renvoie, elle s’arrête, interdite, honteuse peut-être d’avoir oublié la présence de l’enfant, ou bien troublée par l’interrogation qu’elle découvre dans les yeux sombres qui ne se détournent pas. Elle va prendre aussitôt sur le dos d’une chaise sa robe bleue imprimée de pois blancs qu’elle-même a coupée et cousue, droite, sans plis, décolleté en pointe, la revêt, la lisse doucement du plat de la main sur les hanches, le ventre. Il observe chacun de ses gestes sans un cillement et lorsqu’elle vient s’asseoir au bord du lit, il sent la poudre de riz l’envelopper d’un faible nuage de rose, mais il reste aussi tendu que s’il se défendait de respirer un parfum interdit. Un instant indécise ou désarmée devant l’enfant transi par une crainte puérile, la mère ouvre ses bras, l’attire contre elle, contre ses seins qui s’écartent sous la pression de la tête de plus en plus pesante, abandonnée. Pourtant, il ne dort pas, il est tout entier ce corps sans défense qu’il laisse retourner au corps maternel dont le même mouvement berceur qu’autrefois, quand il ne savait rien du monde autour de lui, rien d’autre que l’effleurement d’un souffle ou le duvet d’un baiser de lèvres sur ses lèvres, l’endort, tandis qu’il entend les paroles d’une chanson — un peu triste — s’éloigner, se brouiller et enfin mourir là-bas où sa mère l’attend.
Pierre Silvain, Assise devant la mer, Verdier, 2009, p. 37-38. © Photo Marina Poole.
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