15/10/2021
George Oppen, Poésie complète
Du désastre
En fin de compte l’air
Est la lumière nue du soleil dont il faut extraire
Les objets de valeur lyrique. À partir du désastre
Du naufrage, des familles entières campaient
Jusqu’à leurs taudis, et survivaient.
Là grâce à quelle morale
De l’espoir
Qui pour les fils
Achève sa métaphysique
Sur les pelouses étroites des maisons.
George Oppen, Poésie complète, traduction
Yves di Manno, Corti, 2011, p. 65.
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13/11/2020
Bohdan Chlibec, Le sang de la bourse
Le conciliateur
La vie ne sera pas leur œuvre,
et même s’ils venaient peupler l’abîme
et que leurs descendants s’entassaient jusqu’aux sommets,
ils resteraient des multiplicateurs du vide,
des reproducteurs du désastre.
Divers peuples vivent encore et toujours
innombrables, mais sans un seul homme.
Des portes barricadées, voilà
ce qu’ils poussent devant eux.
Bohdan Chlibec, Le sang de la bourse, traduction du tchèque
Petr Zavadil et Cédric Demangeot, éditions Fissile,
2020, p. 15.
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14/04/2018
Paul Éluard, Le front couvert
Le battement de l'horloge comme une arme brisée
La cheminée émue où se pâme la cime
D'un arbre dernier éclairé
L'habituel vase clos des désastres
Des mauvais rêves
Je fais corps avec eux
Des ruines de l'horloge
Sort un animal abrupt désespoir du cavalier
À l'aube doublera l'écrevisse clouée
Sur la porte de ce refuge
Un jour de plus j'étais sauvé
On ne me brisait pas les doigts
Ni le rouge ni le jaune ni le blanc ni le nègre
On me laissait même la femme
Pour distinguer entre les hommes
On m'abandonnait au-dehors
Sur un navire de délices
Vers des pays qui sont les miens
Parce que je ne les connais pas
Un jour de plus je respirais naïvement
Une mer et des cieux volatils
J'éclipsais de ma silhouette
Le soleil qui m'aurait suivi
Ici j'ai ma part de ténèbres
Chambre secrète sans serrure sans espoir
Je remonte le temps jusqu'aux pires absences
Combien de nuits soudain
Sans confiance sans un beau jour sans horizon
Quelle gerbe rognée
Un grand froid de corail
Ombre du cœur
Ternir mes yeux qui s'entr'ouvrent
Sans donner prise au matin fraternel
Je ne veux plus dormir seul
Je ne veux plus m'éveiller
Perclus de sommeil et de rêves
Sans reconnaître la lumière
Et la vie au premier instant.
Paul Éluard, Le front couvert (1936), dans Œuvres complètes, tome I, édition Lucien Scheler, Pléiade / Gallimard, 1968, p. 467-468.
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15/01/2014
Andrea Inglese, Mes cahiers de poèmes
Dans ce poème
le delta est surchargé
le carbone de l'antarctique
sera déjà épuisé
mes tasses jadis
avaient des anses
dans cet état où je ne peux voir de hérons
de porcs-épics ni non plus de petites taupes mortes sur le sentier
j'ai face à moi quelques lettres à remplir
je ne dois pas les écrire tout a déjà été écrit
chaque ligne chaque phrase le nom et son adjectif
mais il y a quand même des espaces qui seront remplis
des monogrammes de parafes par les archivistes dans notre dos
ce que je vois eux ne le voient pas
ce que je ne comprends pas eux le comprennent
en face il y a le retard non spécifié de la mort
du coin des rues des personnages
du désastre sur les bords
du rétroviseur
masse de marchandises graduée discontinue
qui glisse qui revient qu'on extrait
mais dans le livre des comptes : en croisant
les anciennes données et celles du millimètre
au fond de la courbe descendante
dans les tracés calculés par défaut
même mon sommeil incolore
le filet effrangé des destinations
prend la forme certaine, apaisée
d'un soulagement statistique
Andrea Inglese, Mes cahiers de poèmes, à la suite de Lettres à la Réinsertion Culturelle du Chômeur, traduit de l'italien par Stéphane Bouquet,
NOUS, 2013, p. 77-78.
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